Devoir de Philosophie

La Bete Humaine conviction première: il était sur la bonne piste, le portrait que le témoin faisait de l'assassin se trouvait être si exact, que chaque trait nouveau ajoutait à la certitude.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

La Bete Humaine conviction première: il était sur la bonne piste, le portrait que le témoin faisait de l'assassin se trouvait être si exact, que chaque trait nouveau ajoutait à la certitude. C'était ce ménage, soupçonné injustement, qui, par sa déposition accablante, ferait tomber la tête du coupable. Entrez là, dit-il aux Roubaud et à Jacques, en les faisant passer dans la pièce voisine, quand ils eurent signé leurs interrogatoires. Attendez que je vous appelle. Immédiatement, il donna l'ordre qu'on amenât le prisonnier; et il était si heureux, qu'il poussa, avec son greffier, la belle humeur jusqu'à dire: Laurent, nous le tenons. Mais la porte s'était ouverte, deux gendarmes avaient paru, conduisant un grand garçon de vingt-cinq à trente ans. Ils se retirèrent sur un signe du juge, et Cabuche resta seul au milieu du cabinet, ahuri, avec un hérissement fauve de bête traquée. C'était un gaillard, au cou puissant, aux poings énormes, blond, très blanc de peau, la barbe rare, à peine un duvet doré qui frisait, soyeux. La face massive, le front bas disaient la violence de l'être borné, tout à la sensation immédiate; mais il y avait comme un besoin de soumission tendre, dans la bouche large et dans le nez carré de bon chien. Saisi brutalement au fond de son trou, de grand matin, arraché à sa forêt, exaspéré des accusations qu'il ne comprenait pas, il avait déjà, avec son effarement et sa blouse déchirée, l'air louche du prévenu, cet air de bandit sournois que la prison donne au plus honnête homme. La nuit tombait, la pièce était noire, et il se renfonçait dans l'ombre, lorsque l'huissier apporta une grosse lampe, au globe nu, dont la vive lumière lui éclaira le visage. Alors, découvert, il demeura immobile. Tout de suite, M. Denizet avait fixé sur lui ses gros yeux clairs, aux paupières lourdes. Et il ne parlait pas, c'était l'engagement muet, l'essai premier de sa puissance, avant la guerre de sauvage, guerre de ruses, de pièges, de tortures morales. Cet homme était le coupable, tout devenait licite contre lui, il n'avait plus que le droit d'avouer son crime. L'interrogatoire commença, très lent. Savez-vous de quel crime vous êtes accusé? Cabuche, la voix empâtée de colère impuissante, grogna: On ne me l'a pas dit, mais je m'en doute bien. On en a assez causé! Vous connaissiez monsieur Grandmorin? Oui, oui, je le connaissais, trop! Une fille Louisette, votre maîtresse, est entrée, comme femme de chambre, chez madame Bonnehon. Un sursaut de rage emporta le carrier. Dans la colère, il voyait rouge. Nom de Dieu! ceux qui disent ça sont de sacrés menteurs. Louisette n'était pas ma maîtresse. Curieusement, le juge l'avait regardé se fâcher. Et, faisant faire un crochet à l'interrogatoire: Vous êtes très violent, vous avez été condamné à cinq ans de prison pour avoir tué un homme, dans une querelle. IV 63 La Bete Humaine Cabuche baissa la tête. C'était sa honte, cette condamnation. Il murmura: Il avait tapé le premier... Je n'ai fait que quatre ans, on m'a gracié d'un an. Alors, reprit M. Denizet, vous prétendez que la fille Louisette n'était pas votre maîtresse? De nouveau, il serra les poings. Puis, d'une voix basse, entrecoupée: Comprenez donc, elle était gamine, pas quatorze ans encore, quand je suis revenu de là-bas... Alors, tout le monde me fuyait, on m'aurait jeté des pierres. Et elle, dans la forêt, où je la rencontrais toujours, elle s'approchait, elle causait, elle était gentille, oh! gentille... Nous sommes donc devenus amis comme ça. Nous nous tenions par la main, en nous promenant. C'était si bon, si bon, dans ce temps-là!... Bien sûr qu'elle grandissait et que je songeais à elle. Je ne peux pas dire le contraire, j'étais comme un fou, tant je l'aimais. Elle m'aimait très fort aussi, et ça aurait fini par arriver, ce que vous dites, quand on l'a séparée de moi, en la mettant à Doinville, chez cette dame... Puis, un soir, en rentrant de la carrière, je l'ai trouvée devant ma porte, à moitié folle, si abîmée, qu'elle brûlait de fièvre. Elle n'avait pas osé rentrer chez ses parents, elle venait mourir chez moi... Ah! nom de Dieu, le cochon! j'aurais dû courir le saigner tout de suite! Le juge pinçait ses lèvres fines, étonné de l'accent sincère de cet homme. Décidément, il fallait jouer serré, il avait affaire à plus forte partie qu'il n'avait cru. Oui, je sais l'histoire épouvantable que vous et cette fille avez inventée. Remarquez seulement que toute la vie de monsieur Grandmorin le mettait au-dessus de vos accusations. Éperdu, les yeux ronds, les mains tremblantes, le carrier bégayait: Quoi? qu'est-ce que nous avons inventé?... C'est les autres qui mentent, et c'est nous qu'on accuse de menteries! Mais oui, ne faites pas l'innocent... J'ai déjà interrogé Misard, l'homme qui a épousé la mère de votre maîtresse. Je le confronterai avec vous, s'il est nécessaire. Vous verrez ce qu'il pense de votre histoire, lui... Et prenez bien garde à vos réponses. Nous avons des témoins, nous savons tout, vous feriez mieux de dire la vérité. C'était son ordinaire tactique d'intimidation, même lorsqu'il ne savait rien et qu'il n'avait pas de témoins. Ainsi nierez-vous que, publiquement, vous avez crié partout que vous saigneriez monsieur Grandmorin? Ah! ça, oui, je l'ai dit. Et je le disais de bon coeur, allez! car la main me démangeait bougrement! Une surprise arrêta net M. Denizet, qui s'attendait à un système de complète dénégation. Comment! le prévenu avouait ses menaces. Quelle ruse cela cachait-il? Craignant d'être allé trop vite en besogne, il se recueillit un instant, puis le dévisagea, en lui posant cette question brusque: Qu'avez-vous fait pendant la nuit du 14 au 15 février? Je me suis couché à la nuit, vers six heures... J'étais un peu souffrant, et mon cousin Louis m'a même rendu le service de conduire une charge de pierres à Doinville. Oui, on a vu votre cousin, avec la voiture, traverser la voie, au passage à niveau. Mais votre cousin, interrogé, n'a pu répondre qu'une chose: c'est que vous l'avez quitté vers midi et qu'il ne vous a plus revu... IV 64

« Cabuche baissa la tête.

C'était sa honte, cette condamnation.

Il murmura: \24Il avait tapé le premier...

Je n'ai fait que quatre ans, on m'a gracié d'un an. \24Alors, reprit M.

Denizet, vous prétendez que la fille Louisette n'était pas votre maîtresse? De nouveau, il serra les poings.

Puis, d'une voix basse, entrecoupée: \24Comprenez donc, elle était gamine, pas quatorze ans encore, quand je suis revenu de là-bas...

Alors, tout le monde me fuyait, on m'aurait jeté des pierres.

Et elle, dans la forêt, où je la rencontrais toujours, elle s'approchait, elle causait, elle était gentille, oh! gentille...

Nous sommes donc devenus amis comme ça.

Nous nous tenions par la main, en nous promenant.

C'était si bon, si bon, dans ce temps-là!...

Bien sûr qu'elle grandissait et que je songeais à elle.

Je ne peux pas dire le contraire, j'étais comme un fou, tant je l'aimais. Elle m'aimait très fort aussi, et ça aurait fini par arriver, ce que vous dites, quand on l'a séparée de moi, en la mettant à Doinville, chez cette dame...

Puis, un soir, en rentrant de la carrière, je l'ai trouvée devant ma porte, à moitié folle, si abîmée, qu'elle brûlait de fièvre.

Elle n'avait pas osé rentrer chez ses parents, elle venait mourir chez moi...

Ah! nom de Dieu, le cochon! j'aurais dû courir le saigner tout de suite! Le juge pinçait ses lèvres fines, étonné de l'accent sincère de cet homme.

Décidément, il fallait jouer serré, il avait affaire à plus forte partie qu'il n'avait cru. \24Oui, je sais l'histoire épouvantable que vous et cette fille avez inventée.

Remarquez seulement que toute la vie de monsieur Grandmorin le mettait au-dessus de vos accusations. Éperdu, les yeux ronds, les mains tremblantes, le carrier bégayait: \24Quoi? qu'est-ce que nous avons inventé?...

C'est les autres qui mentent, et c'est nous qu'on accuse de menteries! \24Mais oui, ne faites pas l'innocent...

J'ai déjà interrogé Misard, l'homme qui a épousé la mère de votre maîtresse.

Je le confronterai avec vous, s'il est nécessaire.

Vous verrez ce qu'il pense de votre histoire, lui...

Et prenez bien garde à vos réponses.

Nous avons des témoins, nous savons tout, vous feriez mieux de dire la vérité. C'était son ordinaire tactique d'intimidation, même lorsqu'il ne savait rien et qu'il n'avait pas de témoins. \24Ainsi nierez-vous que, publiquement, vous avez crié partout que vous saigneriez monsieur Grandmorin? \24Ah! ça, oui, je l'ai dit.

Et je le disais de bon coeur, allez! car la main me démangeait bougrement! Une surprise arrêta net M.

Denizet, qui s'attendait à un système de complète dénégation.

Comment! le prévenu avouait ses menaces.

Quelle ruse cela cachait-il? Craignant d'être allé trop vite en besogne, il se recueillit un instant, puis le dévisagea, en lui posant cette question brusque: \24Qu'avez-vous fait pendant la nuit du 14 au 15 février? \24Je me suis couché à la nuit, vers six heures...

J'étais un peu souffrant, et mon cousin Louis m'a même rendu le service de conduire une charge de pierres à Doinville. \24Oui, on a vu votre cousin, avec la voiture, traverser la voie, au passage à niveau.

Mais votre cousin, interrogé, n'a pu répondre qu'une chose: c'est que vous l'avez quitté vers midi et qu'il ne vous a plus revu...

La Bete Humaine IV 64. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles