La belle Lisa ne se permettait plus qu'un régal.
Publié le 15/12/2013
Extrait du document
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pour
s’excuser àses propres yeuxduplaisir honnête qu’elleprenait aveclui,sedisait qu’elle compensait ainsilecoup de
poing dontellel’avait assommé, danslacave auxvolailles.
Cependant, lacharcuterie restaitchagrine.
Florents’yhasardait quelquefois encore,serrantlamain deson frère,
dans lesilence glacialdeLisa.
Ilyvenait même dînerdeloin enloin, ledimanche.
Quenufaisaitalorsdegrands effortsde
gaieté, sanspouvoir échauffer lerepas.
Ilmangeait mal,finissait parsefâcher.
Unsoir, ensortant d’unedeces froides
réunions defamille, ildit àsa femme, presque enpleurant :
— Mais qu’est-ce quej’aidonc ! Bienvrai,jene suis pasmalade, tune me trouves paschangé ?… C’estcomme si
j’avais unpoids quelque part.Ettriste avecça,sans savoir pourquoi, maparole d’honneur… Tune sais pas, toi ?
— Une mauvaise disposition, sansdoute, répondit Lisa.
— Non, non,çadure depuis troplongtemps, çam’étouffe… Pourtant,nosaffaires nevont pasmal, jen’ai pasdegros
chagrin, jevais mon train-train habituel…Ettoi aussi, mabonne, tun’es pasbien, tusembles prisedetristesse… Siça
continue, jeferai venir lemédecin.
La belle charcutière leregardait gravement.
— Il n’yapas besoin demédecin, dit-elle.Çapassera… Vois-tu,c’estunmauvais airqui souffle encemoment.
Toutle
monde estmalade danslequartier…
Puis, comme cédantàune tristesse maternelle :
— Ne t’inquiète pas,mon gros… Jene veux pasque tutombes malade.
Ceserait lecomble.
Elle lerenvoyait d’ordinaire àla cuisine, sachant quelebruit deshachoirs, lachanson desgraisses, letapage des
marmites, l’égayaient.
D’ailleurs,elleévitait ainsilesindiscrétions demademoiselle Saget,qui,maintenant, passaitles
matinées entièresàla charcuterie.
Lavieille avaitprisàtâche d’épouvanter Lisa,delapousser àquelque résolution
extrême.
D’abord,elleobtint sesconfidences.
— Ah ! qu’ilya de méchantes gens !dit-elle, desgens quiferaient bienmieux des’occuper deleurs propres affaires…
Si vous saviez, machère madame Quenu…Non,jamais jen’oserai vousrépéter cela.
Comme lacharcutière luiaffirmait queçane pouvait paslatoucher, qu’elleétaitau-dessus desmauvaises langues,
elle luimurmura àl’oreille, par-dessus lesviandes ducomptoir :
— Eh bien ! ondit que monsieur Florentn’estpasvotre cousin…
Et, petit àpetit, ellemontra qu’ellesavaittout.Cen’était qu’une façondetenir Lisaàsa merci.
Lorsque celle-ci
confessa lavérité, partactique également, pouravoir souslamain unepersonne quilatînt aucourant desbavardages du
quartier, lavieille demoiselle juraqu’elle seraitmuette comme unpoisson, qu’ellenieraitlachose lecou surlebillot.
Alors, ellejouit profondément decedrame.
Ellegrossissait chaquejourlesnouvelles inquiétantes.
— Vous devriezprendre vosprécautions, murmurait-elle.
J’aiencore entendu àla triperie deuxfemmes qui
causaient deceque vous savez.
Jene puis pasdire auxgens qu’ils enont menti, vouscomprenez.
Jesemblerais drôle…Ça
court, çacourt.
Onnel’arrêtera plus.Ilfaudra queçacrève.
Quelques joursplustard, elledonna enfinlevéritable assaut.Ellearriva touteffarée, attendit avecdesgestes
d’impatience qu’iln’yeût personne danslaboutique, etlavoix sifflante :
— Vous savezcequ’on raconte… Ceshommes quiseréunissent chezmonsieur Lebigre,ehbien ! ilsont tous des
fusils, etils attendent pourrecommencer commeen48.
Sice n’est pasmalheureux devoir monsieur Gavard,undigne
homme, celui-là,riche,bienposé, semettre avecdesgueux !… J’aivoulu vousavertir, àcause devotre beau-frère.
— C’est desbêtises, cen’est passérieux, ditLisa pour l’aiguillonner.
— Pas sérieux, merci !Lesoir, quand onpasse ruePirouette, onles entend quipoussent descrisaffreux.
Ilsne se
gênent pas,allez.
Vousvousrappelez bienqu’ils ontessayé dedébaucher votremari… Etles cartouches quejeles vois
fabriquer dema fenêtre, est-cedesbêtises ?… Aprèstout,jevous disçadans votre intérêt.
— Bien sûr,jevous remercie.
Seulement, oninvente tantdechoses.
— Ah ! non,cen’est pasinventé, malheureusement… Toutlequartier enparle, d’ailleurs.
Onditque, sila police les
découvre, ilyaura beaucoup depersonnes compromises.
Ainsi,monsieur Gavard…
Mais lacharcutière haussalesépaules, commepourdirequemonsieur Gavardétaitunvieux fou,etque ceserait
bien fait.
— Je parle demonsieur Gavardcomme jeparlerais desautres, devotre beau-frère, parexemple, reprit
sournoisement lavieille.
Ilest lechef, votre beau-frère, àce qu’il paraît… C’esttrèsfâcheux pourvous.
Jevous plains
beaucoup ; carenfin, sila police descendait ici,elle pourrait trèsbien prendre aussimonsieur Quenu.Deuxfrères, c’est
comme lesdeux doigts delamain.
La belle Lisaserécria.
Maiselleétait toute blanche.
Mademoiselle Sagetvenait delatoucher auvifde ses
inquiétudes.
Àpartir decejour, ellen’apporta plusquedeshistoires degens innocents jetésenprison pouravoir hébergé
des scélérats.
Lesoir, enallant prendre soncassis chezlemarchand devin, ellesecomposait unpetit dossier pourle
lendemain matin.Rosen’était pourtant guèrebavarde.
Lavieille comptait surses oreilles etsur ses yeux.
Elleavait
parfaitement remarquélatendresse demonsieur LebigrepourFlorent, sonsoin àle retenir chezlui,ses complaisances si
peu payées parladépense quecegarçon faisaitdanslamaison.
Celalasurprenait d’autantplus,qu’elle n’ignorait pasla.
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