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La belle Gabrielle, vol.

Publié le 11/04/2014

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La belle Gabrielle, vol. 1 grands bras et de deux immenses jambes pelotonnés sous un immense dos rond, ce squelette d'araignée habillé d'une étoffe de bure grise, ne furent pas ce qui piqua le plus vivement la curiosité d'Henri. L'escabeau, ou plutôt la petite table sur laquelle le prieur posait ses gigantesques pieds, servait de point d'appui à quantité d'objets bizarres sur lesquels se porta la vue du roi. On y voyait de la cire rouge et molle telle que l'emploient les modeleurs, des ébauchoirs de statuaire, une écritoire et une plume, une petite ardoise, un compas, deux ou trois volumes, du parchemin roulé, une petite fiole contenant une liqueur noirâtre, et une longue baguette de coudrier, qui contribuait à donner à tous les détails de cette scène certain air magique qui sentait singulièrement son capharnaüm de sorcier. Tout à coup l'oreille du roi fut frappée par une voix rauque et criarde en même temps, une voix fêlée qui semblait écorcher chaque parole à sa sortie d'un gosier raboteux. Cette voix psalmodia, sur le ton banal d'un cri de trieur public, la formule suivante: «Est prié le visiteur de consulter l'avis général contenu au présent tableau, et d'excuser l'infirmité du révérend père prieur des génovéfains, qui reçoit avec une humble salutation l'honneur de sa visite.» En même temps, et avant que le roi se fût remis de l'effet que cette abominable voix venait de produire sur ses nerfs, l'un des deux grands bras de l'araignée se détacha du corps par un mouvement en arrière semblable au jeu d'une mécanique, et tendit au roi stupéfait un petit tableau encadré de bois de chêne, sur lequel celui-ci lut les lignes suivantes tracées en caractères d'imprimerie: «Les personnes qui visitent le R.P. prieur sont prévenues que Dieu l'ayant affligé d'une paralysie de la langue, il en est réduit à transmettre sa pensée aux interlocuteurs par la voix d'un frère habitué à le comprendre. Ces personnes sont priées de s'adresser directement dans la conversation au prieur, et jamais au frère interprète, afin d'éviter toute confusion. En effet, ce dernier est forcé, pour traduire exactement, d'employer toujours le pronom je, comme le prieur ferait lui-même s'il pouvait parler. Il est donc important que les visiteurs soient pénétrés de cette idée qu'ils ne parlent effectivement qu'avec le prieur, lequel leur répond en réalité; la voix est empruntée, sans doute, mais sa pensée lui est propre.» Quand le roi eut achevé de lire ces étranges lignes, frère Robert, comme s'il eût supputé lettre à lettre le temps nécessaire à la lecture, allongea de nouveau sa main, reprit le tableau sans cesser de tourner le dos, et le replaça sur la petite table, aux pieds de son prieur. Alors il tendit à celui-ci la baguette de coudrier, que dom Modeste prit machinalement de sa grosse main, et redressa la tête pour entrer en communication plus directe avec le prieur. La baguette s'agita bizarrement entre les doigts de Gorenflot, frère Robert traduisit sur-le-champ de sa voix nasillarde et sans nuances: --C'est un honneur inespéré pour moi de recevoir ici l'illustre chevalier de Crillon que Dieu veuille garder de tout mal! Ayant ainsi parlé, le frère parleur baissa la tête, et en attendant la réponse qui allait se produire, prit un peu de cire qu'il commença de pétrir entre ses doigts avec une extraordinaire vivacité. --Il paraît que je suis bien Crillon pour ces moines, pensa Henri IV. Ils feignent, du moins, de me croire Crillon. Ou ils me trompent ou je les trompe. En dépit de leurs simagrées, nous verrons s'ils sont plus gascons que moi, et lequel de nous forcera l'autre à se compromettre. XXI. LE FRÈRE PARLEUR 157 La belle Gabrielle, vol. 1 --C'est un grand plaisir pour votre hôte, répondit-il avec onction, d'entretenir un religieux si célèbre par son esprit et sa sagesse. Gorenflot cligna béatement des yeux; frère Robert ayant relevé la tête, répondit: --Que désirez-vous de moi? --Beaucoup de choses, dit le roi en s'approchant comme pour voir d'un peu plus près tout l'étalage du frère parleur. Celui-ci toucha le pied du prieur, qui semblait sommeiller. La baguette s'agita vivement aux mains de Gorenflot. Robert s'écria avec une égale vivacité: --M. le chevalier de Crillon voudrait-il bien s'asseoir? Le roi s'approchait toujours. --Là! dit précipitamment le frère Robert, là, derrière, sur le fauteuil. Et en même temps son bras interminable indiquait au roi un fauteuil placé en face de celui de dom Modeste, mais immédiatement derrière l'escabeau du parleur. Le roi recula pour s'y placer bien à regret. --Crillon a été indiscret, se dit-il. La baguette de Gorenflot parla. Robert traduisit: --Quelle est la première de ces questions que vous avez à m'adresser? --Elle est relative à mon maître le roi Henri IV. Ce prince a su les bons conseils que vous donniez souvent à une personne pour laquelle il a de l'estime, et il me charge de vous en remercier. Mais il voudrait savoir en même temps comment vous avez appris que c'était le roi qui fréquentait la maison de Mlle d'Estrées. Les yeux de Gorenflot s'écarquillèrent. Robert, en fourrageant ses ustensiles sur la table, heurta encore une fois la sandale de Gorenflot, et aussitôt la baguette s'agita: --Tout le monde connaît le roi, répondit le parleur, et il suffit d'une personne qui l'ait reconnu allant à la maison d'Estrées, si voisine de notre couvent, pour nous avoir donné avis de sa présence. --En voilà bien long, pensa le roi. Est-ce que deux ou trois coups de baguette jetés dans l'air, à droite et à gauche, peuvent signifier tant de choses? Il ajouta tout haut: --Je croyais que peut-être, en raison même du voisinage, vous auriez pu voir vous-même passer le roi et par conséquent, l'ayant reconnu, le signaler à Mlle d'Estrées. --Je n'ai jamais vu Henri IV, traduisit Robert, donc si je le voyais je ne pourrais le reconnaître. Cette réponse, au lieu de satisfaire Henri, redoubla, on le comprend, ses défiances. Tout ce dialogue, échafaudé sur des signes et des clins d'oeil, lui paraissait d'ailleurs invraisemblable. Rompant la conversation: XXI. LE FRÈRE PARLEUR 158

« —C'est un grand plaisir pour votre hôte, répondit-il avec onction, d'entretenir un religieux si célèbre par son esprit et sa sagesse. Gorenflot cligna béatement des yeux; frère Robert ayant relevé la tête, répondit: —Que désirez-vous de moi? —Beaucoup de choses, dit le roi en s'approchant comme pour voir d'un peu plus près tout l'étalage du frère parleur. Celui-ci toucha le pied du prieur, qui semblait sommeiller.

La baguette s'agita vivement aux mains de Gorenflot.

Robert s'écria avec une égale vivacité: —M.

le chevalier de Crillon voudrait-il bien s'asseoir? Le roi s'approchait toujours. —Là! dit précipitamment le frère Robert, là, derrière, sur le fauteuil. Et en même temps son bras interminable indiquait au roi un fauteuil placé en face de celui de dom Modeste, mais immédiatement derrière l'escabeau du parleur.

Le roi recula pour s'y placer bien à regret. —Crillon a été indiscret, se dit-il. La baguette de Gorenflot parla.

Robert traduisit: —Quelle est la première de ces questions que vous avez à m'adresser? —Elle est relative à mon maître le roi Henri IV.

Ce prince a su les bons conseils que vous donniez souvent à une personne pour laquelle il a de l'estime, et il me charge de vous en remercier.

Mais il voudrait savoir en même temps comment vous avez appris que c'était le roi qui fréquentait la maison de Mlle d'Estrées. Les yeux de Gorenflot s'écarquillèrent.

Robert, en fourrageant ses ustensiles sur la table, heurta encore une fois la sandale de Gorenflot, et aussitôt la baguette s'agita: —Tout le monde connaît le roi, répondit le parleur, et il suffit d'une personne qui l'ait reconnu allant à la maison d'Estrées, si voisine de notre couvent, pour nous avoir donné avis de sa présence. —En voilà bien long, pensa le roi.

Est-ce que deux ou trois coups de baguette jetés dans l'air, à droite et à gauche, peuvent signifier tant de choses? Il ajouta tout haut: —Je croyais que peut-être, en raison même du voisinage, vous auriez pu voir vous-même passer le roi et par conséquent, l'ayant reconnu, le signaler à Mlle d'Estrées. —Je n'ai jamais vu Henri IV, traduisit Robert, donc si je le voyais je ne pourrais le reconnaître. Cette réponse, au lieu de satisfaire Henri, redoubla, on le comprend, ses défiances.

Tout ce dialogue, échafaudé sur des signes et des clins d'oeil, lui paraissait d'ailleurs invraisemblable.

Rompant la conversation: La belle Gabrielle, vol.

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