La belle Gabrielle, vol.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
apercevait les eaux diaprées d'argent de la haute lagune.
La musique continuait.
Crillon écoutait toujours.
Alors une petite gondole, avec son cabanon de drap noir à houppes soyeuses, s'avança silencieusement par le
travers de la gondole qui portait Crillon.
Un seul barcarol, vêtu à la façon des gens de service et masqué, la dirigeait sans effort.
Cet homme après avoir
rangé son esquif côte à côte avec l'autre, rama quelque temps de conserve comme pour donner la facilité à son
maître de voir et de reconnaître Crillon dans sa gondole.
Puis, sur quelque signe qui lui fut fait sans doute, il
dit un mot aux barcarols du Français, et ceux-ci s'arrêtèrent aussitôt.
Crillon n'avait rien vu de ce manège.
Fâché de voir s'éloigner la barque du concert, il s'apprêtait à interroger
ses barcarols sur leur halte, lorsqu'un poids nouveau fit incliner la gondole à gauche; un frôlement singulier
bruit devant le felcec'est ainsi qu'on nomme la cabineet une ombre, s'interposant à l'entrée, déroba au
chevalier la lumière du fanal rose.
Avant que Crillon n'eût rien vu ou rien compris, une femme entra sous le dais, à reculons selon l'usage, et prit
place à droite sur les coussins sans proférer une parole.
Aussitôt la gondole se remit en chemin et Crillon vit ramer à côté le silencieux barcarol de l'inconnue.
Devant les deux gondoles ainsi mariées marchait toujours la barque des musiciens.
Crillon, avec une galanterie toute française, s'était approché, méditant un compliment sur la beauté, la grâce et
la politesse.
Mais sa compagne était masquée, ensevelie dans une mante de soie toute cousue de dentelles
épaisses de Burano.
Pas un rayon du regard, pas un reflet de l'épiderme, pas même le bruit du souffle pour
avertir Crillon qu'il n'était point en société d'un fantôme.
Lorsqu'il ouvrit la bouche pour interroger, la dame leva lentement son doigt ganté jusqu'à ses lèvres pour le
prier de se taire; il obéit.
Alors elle laissa retomber sa main sur sa robe et rentra dans son immobilité.
Mais à la lueur d'une large
lanterne attachée au quai de la Giudecca, et qui égara son rayon furtif jusqu'aux gondoles, Crillon vit briller
dans les trous du masque deux paillettes de flammes.
L'inconnue le regardait.
Elle le regardait avec toute son
âme.
Elle le regardait fixement, sans vaciller, comme font ces étoiles curieuses qui, cachées sous les plis d'un
nuage noir, contemplent incessamment la terre.
Cependant les gondoles avançaient de front avec une lenteur calculée d'après la marche des musiciens.
La
symphonie, de plus en plus douce et caressante, courait sur l'eau d'une rive à l'autre du canal de la Giudecca;
jamais plus pure nuit n'avait plané sur Venise.
Le flot montait sans colère, et agitait lascivement les herbes
souples et odorantes qui tapissent la lagune.
Toutes ces myriades de diamants qui constellent la voûte céleste, transparaissaient comme sous une gaze au
travers des nuées pâles.
En une pareille nuit, Joseph eût senti son coeur de bronze s'amollir et se fondre
d'amour.
Crillon,, lui, osa regarder à son tour l'inconnue qui ne baissa pas les yeux; il étendit la main pour saisir celle
qui, l'instant d'avant, lui avait recommandé le silence.
Mais, cette main se releva encore pour le même geste
toujours froid et solennel.
Puis, comme il traduisait son étonnement par une exclamation courtoise, l'inconnue
se retourna vers l'entrée de la cabine, et se mit à contempler le ciel et l'eau, moins pour admirer que pour La belle Gabrielle, vol.
1
VI.
UNE AVENTURE DE CRILLON 40.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La belle Gabrielle, vol.
- La belle Gabrielle, vol.
- La belle Gabrielle, vol.
- La belle Gabrielle, vol.
- La belle Gabrielle, vol.