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JULES LEMAITRE (1853-1914). La solidarité.

Publié le 03/05/2011

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Jules Lemaître, d'abord professeur de l'Université, a débuté dans la critique par des articles sur les Contemporains publiés par la Revue Bleue. Puis il a rédigé le feuilleton dramatique au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes. Il a fait des séries de brillantes conférences sur Racine, Fénelon, Chateaubriand. Il a également composé plusieurs comédies, jouées avec grand succès.

La solidarité.

(Discours prononcé ci la distribution des prix du lycée Charlemagne) (31 Juillet 1894).

...C'est si commode, de vivre dans un coin, pour soi, et tout au plus, pour les siens et pour deux ou trois amis, de se moquer du reste, de croire qu'on a fait tout son devoir d'homme quand on a lâché quelques aumônes prudentes.... C'est là, mes amis, une basse et mauvaise façon de prendre la vie.... Cherchons ce qui nous réunit, et cherchons à nous réunir. L'état d'âme que certains spectacles publics, une revue militaire, les funérailles d'un grand citoyen, propagent dans toute une multitude, cet état singulier, merveilleux, où l'on se sent épris tous ensemble, de quelque chose de supérieur à l'intérêt immédiat de chacun, tâchons de le ressusciter en nous jusque dans l'humble cours de nos occupations journalières, pour les spiritualiser. Vous allez bientôt envahir les professions dites libérales, et quelques-unes des autres. Dans l'exercice de ces professions, souvenez-vous toujours de la communauté. — Médecins ou pharmaciens (oh! de première classe), vous aurez maintes occasions d'être secourables aux pauvres gens, de faire payer pour eux les riches, de réparer ainsi, dans une petite mesure, l'inégalité des conditions et d'appliquer pour votre compte l'impôt progressif sur le revenu. — Notaires (car il y en a ici qui seront notaires), vous pourrez être, un peu, les directeurs de conscience de vos clients, et insinuer quelque souci du juste dans les contrats dont vous aurez le dépôt. — Avocats ou avoués, vous pourrez souvent, par des interprétations d'une généreuse habileté, substituer les commandements de l'équité naturelle, ou même de la pitié, aux présomptions littérales de la loi, qui est impersonnelle, et qui ne prévoit pas les exceptions. — Hommes de négoce ou de finance, vous serez exactement probes; vous ne penserez pas qu'il y ait deux morales, ni qu'il vous soit permis de subordonner votre probité à des hasards, de jouer avec ce que vous n'avez pas, d'être honnête à pile ou face. — Industriels, vous pardonnerez beaucoup à l'aveuglement, aux illusions brutales des souffrants; vous ne fuirez pas leur contact, vous les contraindrez de croire à votre bonne volonté, tant vos actes la feront éclater à leurs yeux; vous vous résignerez à mettre trente ou quarante ans à faire fortune et à ne pas la faire si grosse; car c'est là qu'il en faudra venir.... Pour tout dire, en un mot, humanisez vos professions, quelles qu'elles soient. Faites qu'entre vos mains elles soient toutes, et véritablement, libérales. C'est votre devoir, et c'est votre intérêt.... Jamais moins qu'aujourd'hui on n'a été sûr de demain. Les cadres anciens sont brisés.... Il apparaît avec une clarté croissante que le monde — et chacun de nous par conséquent — ne sera sauvé que par la multiplicité, sinon par l'unanimité, des bonnes volontés individuelles.

(Les Contemporains, 6° série. Lecène et Oudin, édit.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Un remarquable discours de distribution de prix. — Quel thème développe Jules Lemaître dans ce discours? (Cherchons ce qui nous réunit...; souvenez-vous toujours de la communauté...); Montrez que tout concourt, dans le développement, à faire ressortir la nécessité, pour les riches, de remplir le devoir de la solidarité (bien préciser le sens de ce mot) ; Quelles tendances combat l'orateur? (tendances égoïstes, particularistes...); Ne remplit-il pas, en la circonstance, un haut office social en prononçant devant les élèves du lycée Charlemagne, fils de la bourgeoisie, ces fortes paroles : Soyez secourables aux pauvres gens...; ne fuyez pas le contact des souffrants...; humanisez vos professions...? A quels élèves s'adressaient particulièrement ces paroles? Le conseil de la fin ne contient-il pas un avertissement? (dire lequel).

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du morceau : a) Une basse et mauvaise façon de prendre la vie; b) État d'âme d créer en nous; c) Conseils particuliers aux élèves; d) L'intérêt et le devoir; Faut-il se borner à vivre pour soi et pour les siens? Que faut-il faire? Quel doit être notre état d'âme? Quel conseil d'ordre général donne l'orateur aux élèves? (chercher ce qui nous réunit...); Quels conseils particuliers donne-t-il ensuite à ceux qui seront, un jour, médecins ou pharmaciens, — notaires, — avocats ou avoués, — hommes de négoce ou de finance, — industriels? L'intérêt n'est-il pas d'ailleurs d'accord avec le devoir? (dire pourquoi).

III. — Le style; — les expressions. — Faites remarquer la clarté et la netteté du style; Relevez quelques images et montrez-en le pittoresque (Vivre dans son coin...; être honnête à pile ou face...); Quel sentiment implique chacune de ces expressions : quand on a lâché quelques aumônes...; — vous allez bientôt envahir les professions dites libérales? Expliquez cette expression : les présomptions littérales de la loi.

IV. — La grammaire. - Quels sont les mots de la même famille que solidarité? Trouvez un nom de la même famille que chacun des verbes : envahir, insinuer, subordonner, humaniser; Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau; nature de chacune d'elles; fonction de chaque subordonnée.

Rédaction. — Humanisez vos professions, quelles qu'elles soient. Expliquez ces paroles de Jules Lemaître et montrez-en la justesse.

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