Jeannot et Colin l'homme du monde le plus savant; mon fils vous devra toute son éducation: je m'imagine pourtant qu'il ne serait pas mal qu'il sût un peu d'histoire.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
pieds de plus ou de moins qu'il ne fallait, il les fesait corriger moyennant vingt louis d'or par chanson; et il fut
mis dans l'_Année littéraire au rang des La Fare, des Chaulieu, des Hamilton, des Sarrasin, et des Voiture.
Madame la marquise crut alors être la mère d'un bel esprit, et donna à souper aux beaux esprits de Paris.
La
tête du jeune homme fut bientôt renversée; il acquit l'art de parler sans s'entendre, et se perfectionna dans
l'habitude de n'être propre à rien.
Quand son père le vit si éloquent, il regretta vivement de ne lui avoir pas
fait apprendre le latin, car il lui aurait acheté une grande charge dans la robe.
La mère, qui avait des
sentiments plus nobles, se chargea de solliciter un régiment pour son fils; et en attendant il fit l'amour.
L'amour est quelquefois plus cher qu'un régiment.
Il dépensa beaucoup, pendant que ses parents s'épuisaient
encore davantage à vivre en grands seigneurs.
Une jeune veuve de qualité, leur voisine, qui n'avait qu'une fortune médiocre, voulut bien se résoudre à mettre
en sûreté les grands biens de monsieur et de madame de La Jeannotière, en se les appropriant, et en épousant
le jeune marquis.
Elle l'attira chez elle, se laissa aimer, lui fit entrevoir qu'il ne lui était pas indifférent, le
conduisit par degrés, l'enchanta, le subjugua sans peine.
Elle lui donnait tantôt des éloges, tantôt des conseils;
elle devint la meilleure amie du père et de la mère.
Une vieille voisine proposa le mariage; les parents,
éblouis de la splendeur de cette alliance, acceptèrent avec joie la proposition: ils donnèrent leur fils unique à
leur amie intime.
Le jeune marquis allait épouser une femme qu'il adorait et dont il était aimé; les amis de la
maison le félicitaient; on allait rédiger les articles, en travaillant aux habits de noce et à l'épithalame.
Il était un matin aux genoux de la charmante épouse que l'amour, l'estime, et l'amitié, allaient lui donner; ils
goûtaient, dans une conversation tendre et animée, les prémices de leur bonheur; ils s'arrangeaient pour
mener une vie délicieuse, lorsqu'un valet de chambre de madame la mère arrive tout effaré.
Voici bien
d'autres nouvelles, dit-il; des huissiers déménagent la maison de monsieur et de madame; tout est saisi par
des créanciers; on parle de prise de corps, et je vais faire mes diligences pour être payé de mes gages.
Voyons
un peu, dit le marquis, ce que c'est que ça, ce que c'est que cette aventure-là.
Oui, dit la veuve, allez punir ces
coquins-là, allez vite.
Il y court, il arrive à la maison; son père était déjà emprisonné: tous les domestiques
avaient fui chacun de leur côté, en emportant tout ce qu'ils avaient pu.
Sa mère était seule, sans secours, sans
consolation , noyée dans les larmes; il ne lui restait rien que le souvenir de sa fortune, de sa beauté, de ses
fautes, et de ses folles dépenses.
Après que le fils eut long-temps pleuré avec la mère, il lui dit enfin: Ne nous désespérons pas; cette jeune
veuve m'aime éperdument; elle est plus généreuse encore que riche, je réponds d'elle; je vole à elle, et je vais
vous l'amener.
Il retourne donc chez sa maîtresse, il la trouve tête à tête avec un jeune officier fort aimable.
Quoi! c'est vous, M.
de La Jeannotière; que venez-vous faire ici? abandonne-t-on ainsi sa mère? Allez chez
cette pauvre femme, et dites-lui que je lui veux toujours du bien: j'ai besoin d'une femme de chambre, et je
lui donnerai la préférence.
Mon garçon, tu me parais assez bien tourné, lui dit l'officier; si tu veux entrer dans
ma compagnie, je te donnerai un bon engagement.
Le marquis stupéfait, la rage dans le coeur, alla chercher son ancien gouverneur, déposa ses douleurs dans
son sein, et lui demanda des conseils.
Celui-ci lui proposa de se faire, comme lui, gouverneur d'enfants.
Hélas! je ne sais rien, vous ne m'avez rien appris, et vous êtes la première cause de mon malheur; et il
sanglotait en lui parlant ainsi.
Faites des romans, lui dit un bel esprit qui était là; c'est une excellente
ressource à Paris.
Le jeune homme, plus désespéré que jamais, courut chez le confesseur de sa mère; c'était un théatin très
accrédité, qui ne dirigeait que les femmes de la première considération; dès qu'il le vit, il se précipita vers lui.
Eh! mon Dieu! monsieur le marquis, où est votre carrosse? comment se porte la respectable madame la
marquise votre mère? Le pauvre malheureux lui conta le désastre de sa famille.
A mesure qu'il s'expliquait, le
théatin prenait une mine plus grave, plus indifférente, plus imposante: Mon fils, voilà où Dieu vous voulait;
les richesses ne servent qu'à corrompre le coeur; Dieu a donc fait la grâce à votre mère de la réduire à la Jeannot et Colin
Jeannot et Colin 4.
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