Jean Servier, L'Homme et l'Invisible
Publié le 27/04/2011
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L'astrologie est entrée dans les mœurs de l'Occident en cette seconde moitié du XXe siècle plus qu'à aucune autre époque de l'Histoire, grâce à la diffusion que lui donne la presse. Elle se grandit tant qu'elle peut, se dilatant dans le vide immense de notre vie spirituelle avec ses revues particulières, ses pages et ses colonnes réservées dans la plupart des quotidiens et des hebdomadaires. Qu'un périodique constate une baisse dans son tirage, il lui suffit d'annoncer « vos chances en amour et en argent « pour redresser aussitôt la courbe de sa vente et la maintenir tout au long d'une savante distillation des douze signes et des trente-six décans. Mais il n'y a pas que la presse. Tout un peuple d'astrologues, de devins et de voyantes vit de cette angoisse de l'homme blanc. Ils sont plus nombreux qu'au temps de Babylone ou de Memphis, plus respectés qu'à Athènes et à Rome ; près de dix mille dans la région parisienne payant une patente plus élevée que celle des médecins et ayant sans doute un chiffre d'affaires au moins égal. D'inoffensifs bijoux de bazar deviennent autant de talismans parés des noms prestigieux de « croix merveilleuse «, « gemme mystérieuse «, « bijou irradiant «. Un hebdomadaire imprime les signes planétaires de Paracelse et les offre en prime à ses lecteurs : il suffit de les découper et de les coller sur du bristol pour que la chance se tourne enfin vers celui qui les portera avec foi. Tout se passe comme si quatre siècles de rationalisme apparent s'effondraient en silence. Il est impossible de délimiter l'ampleur de ce phénomène sociologique. Les chercheurs entendent rester dans une perspective marxiste et veulent ignorer ce grand mouvement de l'Occident qui ne s'accorde pas avec leurs théories de base. Les spécialistes de la sociologie religieuse acceptent de mettre en statistiques la pratique des religions officielles, mais refusent d'envisager les produits de remplacement grâce auxquels l'homme blanc désacralisé calme son angoisse. Même si les sociologues acceptaient de voir enfin, par-delà leurs spéculations philosophiques, les réalités de la vie quotidienne, une enquête de ce genre serait bien difficile à mener. Quelle maîtresse de maison avouera passer plus de temps chez la voyante que chez le coiffeur, quel homme d'affaires reconnaîtra avoir envoyé dix timbres pour recevoir « notre brochure illustrée sur le pentacle miraculeux sans aucun engagement de votre part «, quel banquier dira qu'il rencontre toutes les semaines une concierge illuminée et qu'il attend d'un esprit-guide des conseils pour jouer en Bourse, quel homme politique en vue admettra qu'il puise son espérance dans la voix d'une vieille femme penchée sur le marc de café ? Sans doute, au XXe siècle, le point de tout cela pourrait-il être fait si la science officielle cessait de se voiler la face. Il est possible d'évaluer le bien-fondé de l'astrologie en confiant à des machines électroniques cent mille horoscopes, par exemple, et autant de biographies mises en fiches perforées. D n'y aurait là, pour un groupe de chercheurs, que quelques années de travail, après quoi, nous saurions, chiffres en main, s'il faut admettre ou interdire ; si l'astrologie doit être enseignée dans les facultés, comme la psychologie, par exemple, ou démasquée comme une escroquerie. Mais peut-être l'homme blanc veut-il garder son incertitude. L'astrologie est le dernier lien qui l'unit au merveilleux, elle persiste en Occident par son côté matériel dont tout le monde s'accommode : elle paraît aussi probable qu'une météorologie, elle ne demande aucun renoncement, ne laisse entrevoir aucune promesse. L'homme blanc croit à la chance, à la veine, à la fortune, au mariage heureux, aux gains, à la Loterie nationale, au tiercé ou au « totocalcio « comme le condamné à la réclusion perpétuelle croit à la Belle, au tremblement de terre qui détruira les murs de sa prison, à la révolution qui lui en ouvrira les portes: Tout un peuple de voyantes, d'astrologues et de marchands de talismans en vit : seule la chance peut permettre de rattraper l'inégalité sociale de notre civilisation et les plus défavorisés y comptent bien. L'homme blanc est seul dans l'humanité à avoir ce rêve. Son frère des civilisations traditionnelles consulte l'avenir par l'intermédiaire d'un initié ou d'un prêtre pour connaître la volonté des dieux, c'est-à-dire le motif exact de l'harmonie du monde dans lequel il veut s'insérer. L'Occidental cherche un « truc « pour forcer la chance, une « combine «, une « tricherie « pour venir à bout du destin, qu'il s'est pourtant forgé lui-même, en pensant : « On ne sait jamais. « L'homme des civilisations traditionnelles, frappé par la maladie, essaiera de savoir en quoi il a offensé l'Invisible. Si la cause de son mal n'est pas métaphysique — psychosomatique si l'on veut — il cherchera à se procurer les meilleurs remèdes matériels possibles y compris ceux de l'homme blanc. L'Occidental utilise d'abord tous les remèdes matériels qu'il connaît pour finir entre les mains des guérisseurs, répétant encore : « On ne sait jamais. « Sans jamais chercher en lui la cause de son mal. Le talisman porté par l'homme des civilisations traditionnelles est une arche d'alliance (1), le rappel d'un contrat passé avec l'Invisible. Les porte-bonheur de plus en plus nombreux de l'Occident ne sont que des gris-gris. Jean Servier, L'Homme et l'Invisible, pages 349-352, Laffont, 1964. 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