Jean-Louis Servan-Schreiber, Le Pouvoir d'informer, Éditions Robert Laffont
Publié le 31/03/2011
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Quantité et qualité de l'information d'aujourd'hui. En un siècle, de l'invention du télégraphe en 1840 au début de la Seconde Guerre mondiale, toutes les bases techniques d'une information moderne de masse ont été mises en place : télégraphe (1840), rotative de journaux (1847), téléphone (1870), T.S.F. (1922), enfin télévision (1930). En même temps, la chute des royaumes et des empires autoritaires a mis partout à la mode, sinon en vigueur, la liberté d'expression. Les conditions matérielles et politiques de l'explosion de l'information étaient enfin rassemblées et bouleversaient de ce fait les habitudes de pensée et les comportements. De rare, elle devenait surabondante; de tardive, instantanée; de coûteuse, bon marché et souvent gratuite ; de fausse ... moins fausse.
Alors que pendant des siècles l'homme informé a fait figure de privilégié, l'information n'est plus, pour le citoyen des pays développés, qu'un produit de consommation qu'il n'hésite pas à gaspiller. S'il lui paraît encore un peu gênant de jeter de la nourriture ou de ne pas ouvrir un livre après l'avoir acheté, il ne sourcille même pas lorsque le poissonnier enroule ses harengs dans un journal dont personne n'a lu plus de deux colonnes. Les revues s'empilent sur les tables des abonnés qui n'ont pas le loisir de les parcourir. Les radios et les télévisions demeurent fermées, la plupart du temps, pendant que le torrent de nouvelles qu'elles débitent n'est capté que par des minorités successives d'auditeurs. Plus qu'un produit, l'information est aujourd'hui considérée, au même titre que l'eau et l'électricité, comme une ressource en permanence disponible et à laquelle on n'a accès qu'en fonction des besoins du moment ou de ses habitudes. Le prix de l'information est, en même temps, devenu dérisoire. Pour la valeur d'une semaine de viande, on reçoit chaque jour, pendant un an, des dizaines de grandes pages bourrées d'articles. Quant aux nouvelles diffusées par la radio et la télévision, elles sont gratuites, une fois que l'on a acheté et payé la redevance d'un appareil conçu avant tout comme un instrument de loisir. Devenue financièrement un sous-produit de la publicité, l'information, ainsi à portée de presque toutes les bourses, est la denrée moderne la plus démocratique puisque c'est la même que s'offre un ministre ou un employé de banque. Ce qui diffère entre eux, c'est que l'employé dispose, s'il le veut, de plus de temps que le ministre pour l'absorber et y réfléchir, mais que celui-ci est généralement mieux préparé pour en tirer des conclusions et s'en servir (c'est du moins ce que croit encore l'employé). Mais de tous les progrès, le plus essentiel et le plus inachevé réside dans la qualité. L'habitude d'écrire et d'enregistrer, la recherche du fait, sa description, sa vérification, la naissance de véritables métiers de l'information ont accru en même temps sa fiabilité et les exigences du public. Il suffit néanmoins de prêter attention aux nouvelles captées en une seule journée pour mesurer la portée limitée de ces efforts. Exagérations, généralisations, simplifications excessives, omissions, mauvaises interprétations, sans insister sur une foule d'erreurs de fait, continuent à déformer les messages diffusés à profusion. Ces inexactitudes et ces contre-vérités sont d'autant plus dangereuses que l'intimidante stature des médias laisse les consommateurs de nouvelles supposer que le contenu est à la hauteur du contenant. Aussi les erreurs font-elles plus facilement leur chemin dans des esprits qui n'ont pas, comme ceux de leurs grands-parents, été formés à mettre en doute ce qu'on leur disait. Certes, la grande majorité des informations est exacte dans l'ensemble, alors qu'un siècle auparavant, la grande majorité était à l'inverse erronée. Mais cela ne rend que plus dangereuse la minorité des nouvelles qui demeure fausse et que les lecteurs même rompus à ce métier n'ont pas le moyen de discriminer des autres... Jean-Louis Servan-Schreiber, Le Pouvoir d'informer, Éditions Robert Laffont, 1972, pp. 295-297.
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