Jean Giono, Les Ames fortes
Publié le 26/04/2011
Extrait du document
Thérèse fait un portrait de sa protectrice, Mme Numance — et raconte les débuts de sa faillite financière. (Au moment où se passait l'événement — vers 1880 —, Thérèse était servante à l'auberge du pays.) Elle, comment vous dire ? Pas laide. A cette époque, elle pouvait avoir vingt-huit à trente ans. Mais maigre. Des yeux de loup. Elle te dévisageait. C'était une demoiselle Rodolphe, des marchands de drap d'Avignon. Élevée au couvent. Assez grande. Toujours habillée avec des amazones (*). Petit chapeau avec des plumes. Ce que j'ai pu avoir envie de ces plumes. C'était joli ! Maigre mais avec ses palatines à brandebourgs (2) elle réussissait à se faire un buste. Elle trottait. Non, pas laide du tout. Mais alors, elle, jamais un mot à personne. Pas plus à moi qu'au pape. Dans les maisons bourgeoises, quand elle y allait avec son mari, c'était bonjour, bonsoir, un mot ou deux, c'est tout. Il n'y a qu'une chose qu'elle faisait : elle dévisageait tout le monde comme si elle allait vous manger. D y avait des fois, moi, où ses yeux me faisaient peur. Elle vous fixait. Pas méchamment. Même souvent avec un petit air, pas précisément de moquerie, mais un peu. Ce n'était pas de toi qu'elle se moquait. A mon avis, elle ne te voyait même pas. Or, un beau jour, qu'est-ce qu'on apprend ? Elle avait fait des dettes à son mari. C'est un homme de Valence qui vient : « M. Numance? — Oui, monsieur. « Alors, il lui dit : « Voilà : votre femme me doit vingt mille francs. — Mais ce n'est pas possible ! Mais comment ? Mais vous devez vous tromper ! — Non, voilà les papiers, c'est sa signature, c'est... « alors, là, les bras lui en sont tombés. Vingt mille francs ! Qu'est-ce qu'elle a pu faire de tout ça ! Enfin, ici à Châtillon (3) où, si tu dépenses un sou tout le monde le sait. Ses toilettes? Non. Il les payait. Non, il l'a dit : les toilettes, c'est moi, c'est l'argent de la maison. Alors quoi? Je vous dis : sa taille, tu l'aurais tenue dans les deux mains : ce n'est pas pour de la nourriture ou de la gourmandise. Alors, où était passé tout cet argent? Jean Giono, Les Ames fortes, 1950. Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez étudier, notamment, comment la narratrice passe du registre de la relation d'une expérience qu'elle a vécue à une autre forme de récit.
Liens utiles
- AMES FORTES (Les) Jean Giono (résumé)
- AMES FORTES (les), roman de Giono
- Analyse linéaire Le Moulin De Pologne - Jean Giono
- Un roi sans divertissement de Jean Giono (analyse détaillée)
- Que MA JOIE DEMEURE, de Jean Giono