Introduction Après avoir longtemps cru qu'une chose est vraie «parce qu'elle est écrite dans le journal», la conviction populaire s'est inversée.
Publié le 29/10/2013
Extrait du document
«
La fabrication de l'information
Aujourd'hui, il n'est plus que quelques dictateurs per-
dus ou une poignée de corrompus pour être convaincus
qu'un gros titre dans la presse pourra ébranler leur
empire et qu'il leur faut couvrir d'ombre leurs actions.
Paradoxalement, sous ses habits de modernité, Internet
ressemble à sa façon à un nouveau sursaut de cette même
vieille certitude : voilà enfin le réseau qui va permettre à
chacun d'entre nous d'accéder aux fameuses informations
que les puissants tentent de nous dissimuler...
Cela fait pourtant longtemps qu'un certain nombre de
régimes autoritaires ont compris que la Une d'un journal
ne change pas vraiment le cours des choses.
Prenons
Kaboul ou Pékin.
L'un et l'autre ont été accusés non pas
une fois, non pas deux fois, mais à des dizaines de
reprises de violer ce qu'il est convenu d'appeler les
droits de l'homme.
Se sont-ils adoucis pour autant ? En
Chine, les arrestations ne se font même plus de façon
clandestine.
Les caméras, même dissidentes, filment ou
évoquent les rafles.
En Afghanistan, l'application de la
justice des talibans, qui coupent les mains ou distribuent
le fouet, a lieu devant des stades bondés et les agences
de presse internationales qui y assistent en donnent de
temps en temps le compte rendu.
L'étalage médiatique
de la force fait désormais partie de l'arsenal de répres-
sion ou de dissuasion.
Il faut bien constater que laisser
voir une situation provoque rarement autre chose que
quelques vagues protestations d'instances internationales
ou une poignée de pétitions.
Au contraire, un pouvoir qui agit ouvertement, même
dans l'injustice, sera crédité d'au moins une valeur : la
transparence.
Ce n'est pas rien, c'est même l'essentiel.
Un homme ou un État «transparent» ne peut être tout à
8
Introduction
fait mauvais, pense-t-on.
Le terme vit d'ailleurs une exis-
tence brillante.
Plus de réformes ni de combats qui ne
soient menés sous son étendard.
Les organisations inter-
nationales recommandent à certains pays de se plier à
des « élections transparentes », la loi sur le financement
électoral sera baptisée celle de la transparence.
En dehors des trésoriers des partis politiques, rares
sont ceux qui aujourd'hui pourraient décrire les méca-
nismes ou la philosophie d'un tel texte, savoir s'il
répond ou non à l'idéal républicain d'un scrutin impar-
tial et représentatif.
En revanche, chacun sait que récol-
ter de l'argent en secret est désormais la faute la plus
grave.
Sera jugé malin un homme politique qui s'enrichit
par une bonne grosse opération boursière, même si les
conséquences de celle-ci se révèlent dramatiques pour
un pays ou une entreprise.
En revanche, s'il accepte, en
cachette, un voyage à Tahiti offert par une entreprise, il
deviendra l'incarnation du mal absolu.
La transparence s'est aujourd'hui imposée comme la
norme centrale de notre société.
La figure du bien passe
par le fait de pouvoir être montré.
Plus généralement,
pour qu'une situation puisse être exposée, il faut qu'elle
soit avant tout représentable, qu'elle puisse apparaître.
La presse s'est fait le gendarme de cette norme.
Par là,
elle contribue à construire et reconstruire chaque jour
le monde.
Le travail d'un journaliste ne consiste souvent plus à
rendre compte de la réalité, mais à faire entrer celle-ci
dans le monde de la représentation.
Ce phénomène
nous a conduits à vouloir envisager la presse non plus
comme une des pièces de notre système, mais comme
un univers en soi, autonome, avec ses codes, ses images,
9.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Que vaut une preuve contre un préjugé : Introduction : Preuve signifie connaissance démontrée, c’est aussi une démarche rationnelle qui sert à établir que quelque chose est vrai.
- Dans les années cinquante, certains ont cru avec assez de conviction que l'ordinateurallait créer de l'intelligence artificielle pour annoncer des résultats pour la décennie suivante.
- « Le premier [précepte] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention [...]. » Descartes, Discours de la méthode, 1637. Commentez. ?
- «La vraie liberté, c'est pouvoir toute chose sur soi» - Montaigne.
- Peut-on dire d'une chose qu'elle est vraie ?