Il y avait d'abord la solitude
Publié le 20/06/2012
Extrait du document
«Malraux s'éprend de la belle et tragique aventure humaine, la
court lui-même, et dans chacune de ses oeuvres la redit et nous en
instruit« (A. GIDE).
L'oeuvre de Malraux épouse en effet étroitement une vie extraordinairement
remplie : constamment engagé avec passion dans les
grandes actions collectives de notre temps (Chine, 1926-1927;
Espagne, 1936-1937; Résistance, 1943-1945), il a su aussi transformer
son expérience individuelle en des ouvrages où, confrontant
l'ho=e aux limites de sa condition et aux forces de l'histoire, il
tente de trouver le sens de l'aventure humaine et de fonder « la
notion d'ho=e «.
Parti à 22 ans, en 1923, en Indochine pour une mission archéologique,
il entre en contact avec les mouvements révolutionnaires en
Annam, puis en Chine où il séjourne en 1926-1927, travaillant avec
le Kuomintang. Il assiste à différents épisodes de la révolution
chinoise à Canton et Shanghai La découverte de la culture orientale,
l'engagement dans la lutte politique lui inspirent un cycle asiatique :
Les Conquérants, 1928; La Voie royale, 1930; La Condition humaine,
1933, prix Goncourt.
La Condition humaine raconte en une série de séquences précisément
datées, l'insurrection de Shanghaï (mars 1927): une coalition
de groupes communistes, syndicalistes et terroristes prennent
possession de la ville tenue jusque-là par des« gouvernementaux«.
Le chef, un co=uniste (historiquement Chou-En-Laï), est dans
le roman un métis franco-japonais, Kyo Gisors: alors qu'il se prépare
à l'action, sous l'effet d'un mouvement de jalousie, il se sent
pour un moment séparé de sa femme, May, une militante, à qui
le lie une profonde tendresse.
«
84
Kyo rentra, s'habilla en un instant : pantalon, chandail.
Des espadrilles
(il aurait peut-être à grimper).
Il était prêt.
May lui tendit les lèvres.
L'esprit de Kyo voulait l'embrasser;
sa bouche, non
-comme si, indépendante, elle eût gardé ran
cune.
Il l'embrassa enfin, mal.
Elle le regarda avec tristesse,
les paupières affaissées; ses yeux pleins d'ombre devenaient
puissamment expressifs, dès que l'expression venait des
muscles.
JI partit.
Il marchait à côté de Katow, une fois de plus.
Il ne pouvait
pourtant se délivrer d'elle.
«Tout à l'heure, elle me semblait
une folle ou une aveugle.
Je ne la connais pas.
Je ne la connais
que dans
la mesure où je l'aime, que dans le sens où je l'aime.
On ne possède d'un être que ce qu'on change en lui, dit mon
père ...
Et après?" Il s'enfonçait en lui-même comme dans cette
ruelle de plus en plus noire, où même les isolateurs du télé
graphe ne luisaient plus sur le ciel.
Il y retrouvait l'angoisse,
et se souvint des disques : « On entend la voix des autres avec
ses oreilles, la sienne avec la
gorge.>> Oui.
Sa vie aussi, on
l'entend avec la gorge, et celle des autres? ...
Il y avait d'abord
la solitude, la solitude immuable derrière la multitude mortelle
comme la grande nuit primitive derrière cette nuit dense et
basse sous quoi guettait la ville déserte, pleine d'espoir et de
haine.
«Mais moi, pour moi, pour la gorge, que suis-je? Une
espèce d'aflirmation absolue, d'affirmation de fou: une inten
sité plus grande que celle de tout le reste.
Pour les autres, je
suis
ce que j'ai fait.>> Pour May seule, il n'était pas ce qu'il avait
fait; pour lui
seuL elle était tout autre chose que sa biographie.
L'étreinte par laquelle l'amour maintient les êtres collés l'un
à l'autre contre la solitude, ce n'était pas à l'homme qu'elle
apportait son aide; c'était au
fou, au monstre incomparable,
préférable à
tout, que tout être est pout soi-même et qu'il choie
dans son
cœur.
Depuis que sa mère était morte, May était le
seul être pour qui
il ne fût pas Kyo Gisors, mais la plus étroite
complicité.
,
pensa-t-il, extraordinairement d'accord avec la nuit, comme
si sa pensée n'eût plus été faite pour la lumière..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Aimer ou solitude
- Poèmes sur la solitude
- SOLITUDE DE LA PITIÉ. (résumé) Jean Giono
- POUR UNE PHILOSOPHIE DE LA SOLITUDE [A Philosophy of solitude]. (résumé) de John Cowper Powys
- AIR DE LA SOLITUDE Gustave Roud (résumé)