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GUSTAVE FLAUBERT (1821-1880). La noce normande

Publié le 21/06/2011

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flaubert

Fils d'un chirurgien de l'hôpital de Rouen, Gustave Flaubert fit quelques beaux voyages, avec son ami Maxime du Camp, en Grèce, en Syrie, en Égypte; puis il se fixa dans sa maison de campagne de Croisset, où il écrivit la plupart de ses romans. Madame Bovary, publiée dans la Revue de Paris en 1857, est l'histoire très simple et très navrante d'une femme incomprise, sentimentale et criminelle, qui finit par s'empoisonner. Mais Flaubert, qui s'était montré réaliste absolu dans Madame Bovary, écrivit ensuite un roman historique, archéologique et exotique : Salammbô (1862). Le cadre, magnifique, est formé par la Carthage des guerres puniques et le pays environnant, où se déroule la révolte des mercenaires d'Hamilcar. Il donna enfin l'Éducation sentimentale, — Bouvard et Pécuchet, — et quelques nouvelles. — Flaubert est un styliste : sa langue est pure et précise, sa phrase harmonieuse et impeccable. La noce normande (1857).

Ce morceau, tiré de Madame Bovary, est composé de petits détails : c'est ici de l'observation directe et réaliste. Dans Salammbô, Flaubert choisit tout ce qui peut éblouir les yeux; dans Madame Bovary, il s'en tient à la vulgarité, mais il y a beaucoup d'art dans ce réalisme : on analysera les objets, les physionomies, les gestes, les costumes. Les conviés arrivèrent de bonne heure dans des voitures, carrioles à un cheval, chars-à-bancs à deux roues, vieux cabriolets sans capote, tapissières à rideaux de cuir, et les jeunes gens des villages les plus voisins dans des charrettes où ils se tenaient debout, en rang, les mains appuyées sur les ridelles pour ne pas tomber, allant au trot et secoués dur. Il en vint de dix lieues loin, de Goderville, de Normanville et de Carry. On avait invité tous les parents des deux familles, on s'était raccommodé avec des amis brouillés, on avait écrit à des connaissances perdues de vue depuis longtemps. De temps à autre, on entendait des coups de fouet derrière la haie; bientôt la barrière s'ouvrait : c'était une carriole qui entrait. Galopant jusqu'à la première marche du perron, elle s'y arrêtait court, et vidait son monde qui sortait de tous côtés en se frottant les genoux et en s'étirant les bras. Les dames, en bonnet, avaient des robes à la façon de la ville, des chaînes de montre en or, des pèlerines à bouts croisés dans la ceinture, ou de petits fichus de couleur attachés dans le dos avec des épingles, et qui leur découvraient le cou par derrière. Les gamins, vêtus pareillement à leurs papas, semblaient incommodés par leurs habits neufs (beaucoup même étrennèrent ce jour-là la première paire de bottes de leur existence), et l'on voyait à côté d'eux, ne soufflant mot, dans la robe blanche de la première communion, rallongée pour la circonstance, quelque grande fillette de quatorze à seize ans, leur cousine ou leur soeur aînée sans doute, rougeaude, ahurie, les cheveux gras de pommade à la rose, et ayant bien peur de salir ses gants. Comme il n'y avait point assez de valets d'écurie pour dételer toutes les voitures, les messieurs retroussaient leurs manches et s'y mettaient eux-mêmes. Suivant leurs positions sociales différentes, ils avaient des habits, des redingotes, des vestes, des habits-vestes; — bons habits, entourés de toute la considération d'une famille et qui ne sortaient de l'armoire que pour les solennités ; redingotes à grandes basques flottant au vent, à collet cylindrique, à poches larges comme des sacs; vestes de gros drap, qui accompagnaient ordinairement quelque casquette cerclée de cuivre à sa visière; habits-vestes très courts, ayant dans le dos deux boutons rapprochés comme une paire d'yeux, et dont les pans semblaient avoir été coupés à même, en un seul bloc, par la hache d'un charpentier. Quelques-uns encore (mais ceux-là, bien sûr, devaient dîner au bas bout de la table) portaient des blouses de cérémonie, c'est-à-dire dont le col était rabattu sur les épaules, le dos froncé à petits plis, et la taille attachée très bas par une ceinture cousue. Et les chemises sur les poitrines bombaient comme des cuirasses! Tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s'écartaient des têtes, on était rasé de près; quelques-uns même qui s'étaient levés dès l'aube, n'ayant pas vu clair à se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez ou le long des mâchoires, des pelures d'épiderme larges comme des écus de trois francs, et qu'avait enflammées le grand air pendant la route, ce qui marbrait un peu de plaques roses toutes ces grosses faces blanches épanouies. La mairie se trouvant à une demi-lieue de la ferme, on s'y rendit à pied et l'on revint de même, une fois la cérémonie faite à l'église. Le cortège, d'abord uni comme une seule écharpe de couleurs, qui ondulait dans la campagne, le long de l'étroit sentier serpentant entre les blés verts, s'allongea bientôt et se coupa en groupes différents qui s'attardaient à causer. Le ménétrier allait en tête avec son violon empanaché de rubans à la coquille, les mariés ensuite, les parents, les amis, tout au hasard, et les enfants restaient derrière, s'amusant à arracher les clochettes des brins d'avoine, ou à jouer entre eux, sans qu'on les vît.

(Madame Bovary, Fasquelle, éditeur.)  

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une description. — Description d'une noce normande. Montrez que cette description est faite de détails, — exactement et finement observés; Ces détails vous paraissent-ils bien choisis? Mettent-ils sous vos yeux, en quelque sorte, les objets, les costumes, les physionomies? (indiquer quelques détails caractéristiques); Voyez-vous en imagination la noce normande ? Montrez que cette description, malgré la multiplicité des détails, laisse en vous une impression d'ensemble très nette.

II. — L'analyse du morceau. — Parlez de l'art avec lequel est composé ce morceau ; — distinguez-en les différentes parties : a) L'arrivée des convives (les voitures, — les costumes, — les physionomies); b) Le cortège (uni, — puis coupé en groupes) ; Les convives étaient nombreux : quelles circonstances nous l'indiquent ? Pourquoi descendaient-ils de voiture en se frottant les genoux et en s'étirant les bras? Dites pourquoi les enfants semblaient incommodés par leurs habits neufs; En quels termes l'auteur parle-t-il de la grande fillette de quatorze à seize ans? Comment vous apparaît le cortège ?

III. — Le style; — les expressions. — Par quoi est caractérisée cette description ? (observation, réaliste...); Insistez sur ce réalisme au point de vue de l'étude du style (emploi du mot propre, faisant image : la carriole vidait son monde... ; la fillette..., rougeaude, ahurie, les cheveux gras de pommade à la rose...; les chemises sur les poitrines bombaient comme des cuirasses... ; tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s'écartaient des têtes...; des balafres en diagonale sous le nez...); Ce réalisme vous paraît-il choquant ? Quel attrait donne-t-il plutôt à la description ? Que signifient les mots : ridelles, écus, ménétrier? Quel est le sens des expressions suivantes : des redingotes à grandes basques, — le bas bout de la table, — un violon empanaché de rubans?

IV. — La grammaire. — Indiquez les mots de la même famille que carriole, — que cabriolet: Trouvez un synonyme de raccommodé (on s'était raccommodé avec des amis brouillés), — d'incommodés (les gamins incommodés par leurs habits neufs) ; Quels sont les compléments des verbes dans la première phrase de la lecture ? Nature de chacun d'eux.

Rédaction. -- Faites le tableau d'une noce de village.   

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