François BACON: SCIENCE ET PHILOSOPHIE (De la dignité et du progrès des sciences. Préface).
Publié le 22/02/2012
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...Comme une des plus grandes causes d'indigence est de se croire dans l'abondance, et qu'en se fiant trop au présent on ne pense guère à se ménager de vraies ressources pour l'avenir, il est à propos et même nécessaire qu'avant d'entrer en matière, nous détruisions, et cela franchement et sans détours, cette excessive admiration qu'on prodigue aux choses déjà inventées, afin que les hommes, une fois détrompés à cet égard, cessent de s'en exagérer à eux mêmes ou d'en vanter l'abondance ou l'utilité. Car si on considère d'un peu près toute cette prétendue variété de connaissances qu'on croit répandues dans les livres, productions dont les arts et les sciences sont si fiers, qu'y trouvera-t-on ? D'éternelles répétitions de la même chose un peu diversifiée par la manière de la traiter, mais dont l'invention s'était saisie depuis longtemps ; en sorte que cette abondance, qu'au premier coup d'oeil on croit y voir, se réduit, tout examiné, à bien peu de chose.
Voyons actuellement ce qu'il faut penser de leur utilité. Toute cette prétendue sagesse que nous avons puisée chez les Grecs n'est en quelque sorte que l'enfance de la science, et elle a de commun avec les enfants qu'elle est très apte au babil, mais que, faute de maturité, elle est inhabile à la génération, elle est très féconde en disputes et très stérile en effets.
De plus, si de telles sciences n'étaient absolument mortes, eût-il été possible qu'elles restassent ainsi durant plusieurs siècles, comme clouées presque à la même place, et qu'elles ne présentassent aucun accroissement digne du genre humain, et cela au point que non seulement l'assertion demeure assertion, mais même que la question demeure question ? que toutes ces disputes au lieu de résoudre les difficultés ne font que les nourrir et les fixer et que le tableau de la succession et de la tradition des sciences ne représente que les personnages d'un maître et d'un disciple au lieu de celui d'un inventeur et d'un homme qui ajoute quelque chose de notable aux découvertes de son prédécesseur ? Cependant nous voyons que le contraire a lieu dans les arts mécaniques, lesquels, comme s'ils étaient pénétrés d'un esprit vivifiant, croissent et se perfectionnent de jour en jour, assez grossiers et presque onéreux, presque informes dans les premiers inventeurs, puis enrichis par degrés de nouveaux moyens et de nouvelles facilités, et cela au point qu'on voit les désirs même languir ou changer d'objet plus promptement que ces arts n'arrivent à leur perfection ou à leur plus haute période. La philosophie, au contraire, et les sciences intellectuelles, semblables à des statues, sont encensées et adorées, mais demeurent immobiles. De plus si quelquefois elles fleurissent avec leur premier auteur, elles ne font ensuite que dégénérer ; car si une fois que les hommes se sont coalisés pour s'assujettir à l'opinion d'un seul (comme autant de sénateurs) ils n'ajoutent plus rien au corps même des sciences, mais semblables à autant d'esclaves, ils se mettent à la suite de certains auteurs pour leur servir de cortège et de décoration.
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