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FEU ET RESPECT : LE COMPLEXE DE PROMÉTHÉE

Publié le 26/06/2012

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Il y a donc à la base de la connaissance enfantine du feu, une interférence" du naturel et du social où le social est presque toujours dominant. Peut-être le verra-t-on mieux si l'on compare la piqûre et la brûlure. Elles donnent, l'une et l'autre, lieu à des réflexes.

Pourquoi les pointes ne sont-elles pas, comme le feu, objet de respect et de crainte ? C'est précisément parce que les interdictions sociales concernant les pointes sont de beaucoup plus faibles que les interdictions concernant le feu.

Voici alors la véritable base du respect devant la flamme : si l'enfant approche sa main du feu, son père lui donne un coup de règle sur les doigts. Le feu frappe sans avoir besoin de brûler. Que ce feu soit flamme ou chaleur, lampe ou fourneau, la vigilance des parents est la même. Le feu est donc initialement l'objet d'une interdiction générale ; d'où cette conclusion : l'interdiction sociale est notre première connaissance générale sur le feu. Ce qu'on connaît d'abord du feu c'est qu'on ne doit pas le toucher. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, les interdictions se spiritualisent : le coup de règle est remplacé par la voix courroucée ; la voix courroucée par le récit des dangers d'incendie, par les légendes sur le feu du ciel. Ainsi le phénomène naturel est rapidement impliqué dans des connaissances sociales, complexes et confuses, qui ne laissent guère de place pour la connaissance naïve.

Dès lors, puisque les inhibitions sont de prime abord des interdictions sociales, le problème de la connaissance personnelle du feu est le problème de la désobéissance adroite. L'enfant veut faire comme son père, loin de son père, et de même qu'un petit Prométhée il dérobe des allumettes. Il court alors dans les champs et, au creux d'un ravin, aidé de ses compagnons, il fonde le foyer de l'école buissonnière. L'enfant des villes ne connaît guère ce feu qui flambe entre trois pierres ; il n'a pas goûté la prunelle frite ni l'escargot placé tout gluant sur les braises rouges. Il peut échapper à ce complexe de Prométhée dont j'ai souvent senti l'action. Seul ce complexe peut nous faire comprendre l'intérêt que rencontre toujours la légende, en soi bien pauvre, du père du Feu. Il ne faut d'ailleurs pas se hâter de confondre ce complexe de Prométhée et le complexe d'Oedipe de la psychanalyse classique... Nous proposons de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. Or, c'est en maniant l'objet, c'est en perfectionnant notre connaissance objective que nous pouvons espérer nous mettre plus clairement au niveau intellectuel que nous avons admiré chez nos parents et nos maîtres. La suprématie par des instincts plus puissants tente naturellement un bien plus grand nombre d'individus, mais des esprits plus rares doivent aussi être examinés par le psychologue. Si l'intellectualité pure est exceptionnelle, elle n'en est pas moins très caractéristique d'une évolution spécifiquement humaine. Le complexe de Prométhée est le complexe d'OEdipe de la vie intellectuelle.

 

La Psychanalyse du Feu

Gallimard, Collection      Psychologie «, pp. 28 à 31.

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