Faites-nous de bonne langue...
Publié le 27/04/2011
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Seulement 3 % des habitants de la planète ont aujourd'hui le français comme langue maternelle ou véhiculaire : il ne faut jamais perdre de vue cette donnée essentielle lorsqu'on se préoccupe, comme le fait le pouvoir actuel, avec plus de détermination peut-être que l'ancien, de préserver notre langue. Ce n'est pas qu'en ce domaine l'élément quantitatif soit nécessairement prédominant. La langue la plus parlée de la terre est sans doute le chinois : personne ne songe à en faire un instrument de communication universel, alors qu'une récente étude de « Newsweek « constatait que le seul parler qui fasse vraiment obstacle aujourd'hui à l'expansion de l'anglais est encore le nôtre. Reste que, de toute évidence, le français est en repli, alors que l'anglais gagne. Gagne en raison de sa fabuleuse vitalité, de son aptitude à créer des mots simples, des monosyllabes la plupart du temps, presque des onomatopées, là où nous allons chercher de lourdes racines grecques ou germaniques. Gagne parce qu'il est devenu une langue supranationale : celle du « creuset « qui a fait de dizaines de millions d'immigrants et de descendants d'immigrants des citoyens des États-Unis, et aussi de ce Commonwealth qui continue de rassembler chaque année autour de la reine Elizabeth des présidents et des premiers ministres aux caractéristiques ethniques, religieuses, idéologiques, sociales les plus diverses, mais dont la fierté commune est d'avoir fréquenté dans leur jeunesse quelque collège britannique. Parce qu'il est la langue de la communication internationale : celle de la recherche, celle des affaires, celle des voyages — ceux qui protestent contre les annonces en anglais d'Air-Inter ne sont pas nécessairement fâchés s'il leur arrive de prendre des appareils soviétiques ou chinois, d'entendre les hôtesses en faire autant (...). La vérité, c'est que, dans le monde aujourd'hui, c'est un handicap, pour quiconque a affaire à des étrangers, de ne pouvoir s'exprimer en anglais. C'est bien pourquoi la Chine fait actuellement un tel effort pour populariser l'enseignement de la « langue de l'impérialisme «, des usines allant jusqu'à interrompre leur production pour permettre l'écoute collective des cours d'anglais de « la Voix de l'Amérique « Ceux qui ont la délicate mission de défendre le français ont-ils assez médité la façon dont l'anglais se répand ? Notons d'abord qu'au libre-échangisme économique des Anglo-Saxons correspond leur libre-échangisme linguistique. Personne ne proteste outre-Manche, comme outre-Atlantique, lorsque des mots français envahissent ce qu'on n'ose plus appeler la langue de Shakespeare : or le snobisme est aussi francomane chez les anglophones qu'il est anglomane chez les francophones. Pour désigner la confrérie internationale des snobs, ont dit d'ailleurs aussi bien la « café (pas cofee) society « que le « jet-set «. Feuilletez les trois « Times «, celui de Londres, celui de New York et le « Financial «, vous y trouverez souvent des mots français, y compris dans les titres et la publicité. Le grand dictionnaire d'Oxford n'est-il pas le premier à accueillir tout mot qui a été imprimé une fois dans une publication de langue anglaise ? Il est vrai qu'il est agaçant de voir envahir le français par un jargon anglo-saxon d'autant plus pénible qu'il est souvent employé à contretemps — ou à contresens. Mais il n'est pas moins triste de constater sa pollution par le charabia pur et simple, l'alourdissement délibéré, le vocabulaire hermétique, les phrases interminables, l'enchevêtrement des « qui «. Une belle langue, une langue simple, claire, vivante, n'a pas besoin de gendarmes pour la défendre. Elle a surtout besoin d'écrivains et d'enseignants capables de la nourrir, de la faire vivre, de la transmettre, de l'adapter aux besoins de ce temps, de l'alléger sans en renier le génie, de lui rendre sa saveur que trop de jocrisses (1) lui ont enlevée. Loin de nous l'idée de dissuader les chercheurs d'aller toujours plus loin dans l'exploration des possibilités de la langue. Mais ne comptons pas trop sur eux pour faire se précipiter les lecteurs d'au-delà des mers sur les rayons français de leurs librairies, alors qu'il y a tant d'auteurs de chez nous dont le seul nom fait venir l'eau à la bouche. Prenons exemple sur la cuisine française qui, ancienne comme nouvelle, demeure sans conteste la première à la bourse mondiale des réputations : il n'y aurait peut-être pas un tel effort à faire pour que se répande aussi l'idée que la langue française est toujours la plus juteuse. A-t-on assez relevé que son recul a coïncidé avec un certain déclin de l'éclat de notre littérature ? Il y a vingt ans encore, on citait d'un pôle à l'autre les noms de trente grands écrivains ou penseurs français : le nombre, aujourd'hui, serait plus faible, et l'âge moyen des intéressés, surtout, bien plus élevé... La veine se serait-elle tarie qui a fait naître sur ce sol tant d'auteurs de dimension universelle ? Il est difficile de le croire. Mais de certains de ceux qui tiennent aujourd'hui une plume on dirait qu'ils se sentiraient déshonorés à l'idée de s'exprimer comme tout le monde, d'énoncer simplement des choses simples. La préciosité ne manque pas d'un certain charme : elle ne séduira jamais les gros bataillons. Et il n'y aurait pas beaucoup à miser sur l'avenir d'une langue repliée sur elle-même, fixée une fois pour toutes, protégée par une couche de textes juridiques des influences pernicieuses du dehors. André Fontaine, Article de 1982. Dans une première partie, vous présenterez un résumé ou une analyse de ce texte. Dans une seconde partie, intitulée discussion, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier ; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.
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