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et Alexandre ; car dépenser le bien d'autrui n'enlève rien à ton prestige, mais te l'accroît.

Publié le 01/10/2013

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et Alexandre ; car dépenser le bien d'autrui n'enlève rien à ton prestige, mais te l'accroît. C'est seulement de dépenser du tien qui te nuit. Et il n'y a chose qui se consume elle-même comme la libéralité : à mesure que tu en uses, tu perds la faculté d'en user ; et tu deviens ou pauvre et méprisable ou, pour fuir la pauvreté, rapace et odieux. Et entre toutes les choses dont un prince doit se garder, il y a le fait d'être méprisable et odieux ; et à l'une et l'autre chose la libéralité te conduit. Par conséquent, il y a plus de sagesse à s'en tenir au nom de ladre, qui engendre un mauvais renom sans haine, que, pour vouloir le nom de libéral, être obligé d'encourir le nom de rapace, qui engendre un mauvais renom avec haine. XVII DE LA CRUAUTÉ ET PITIÉ ; ET S'IL VAUT MIEUX ÊTRE AIMÉ QUE CRAINT, OU L'INVERSE Venant ensuite aux autres qualités ci-dessus nommées, je dis que tout prince doit désirer d'être tenu pour pitoyable et non pour cruel : cependant il doit prendre garde de ne point mal user de cette pitié. César Borgia était tenu pour cruel ; cependant, cette sienne cruauté avait rassemblé la Romagne, l'avait unifiée, réduite en paix et fidélité. Ce en quoi, à bien considérer les choses, on verra qu'il a été beaucoup plus pitoyable que le peuple florentin, lequel, pour éviter le nom de cruel, laissa détruire Pistoia. Il faut, par conséquent, qu'un prince ne se soucie pas d'avoir le mauvais renom de cruel, pour tenir ses sujets unis et fidèles : car avec très peu d'exemples il sera plus pitoyable que ceux qui, par excès de pitié, laissent se poursuivre les désordres, d'où naissent meurtres et rapines ; car ceux-ci d'ordinaire nuisent à une collectivité entière, et les exécutions qui viennent du prince nuisent à un particulier. Et parmi tous les princes, c'est au prince nouveau qu'il est impossible d'éviter le nom de cruel, parce que les Etats nouveaux sont pleins de périls. Et par la bouche de Didon, Virgile dit : Res dura, et regni novitas me talia cogunt Moliri, et late fines custode tueril. 1. « Les circonstances difficiles et la nouveauté de mon règne me contraignent à procéder ainsi, et à faire garder toutes les frontières « (Énéide, I, 563564). Toutefois, il ne doit pas croire ni agir à la légère, ni se faire peur à lui-même, et procéder d'une façon tempérée par la sagesse et l'humanité, de peur que trop de confiance ne fasse de lui un imprudent, que trop de défiance ne le rende intolérable. De là naît une dispute : s'il est meilleur d'être aimé que craint, ou l'inverse. On répond qu'on voudrait être l'un et l'autre ; mais comme il est difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr d'être craint qu'aimé, quand on doit manquer de l'un des deux. Des hommes, en effet, on peut dire généralement ceci : qu'ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, ennemis des dangers, avides de gain ; et tant que tu leur fais du bien, ils sont tout à toi, t'offrent leur sang, leurs biens, leur vie, leurs enfants, comme j'ai dit plus haut, quand le besoin est lointain ; mais quand il s'approche de toi, ils se dérobent. Et le prince qui s'est entièrement reposé sur leurs paroles, se trouvant dénué d'autres préparatifs, succombe ; car les amitiés qui s'acquièrent à prix d'argent, et non par grandeur et noblesse d'âme, on les paye, mais on ne les possède pas, et quand les temps sont venus, on ne peut les dépenser. Et les hommes hésitent moins à nuire à un qui se fait aimer qu'à un qui se fait craindre ; car l'amour est maintenu par un lien d'obligation qui, parce que les hommes sont méchants, est rompu par toute occasion de profit particulier ; mais la crainte est maintenue par une peur de châtiment qui ne t'abandonne jamais. Le prince, cependant, doit se faire craindre en sorte que s'il n'acquiert pas l'amour il évite la haine, car être craint et n'être pas haï peuvent très bien se trouver ensemble ; et cela arrivera toujours pourvu qu'il s'abstienne des biens de ses concitoyens et de ses sujets, et de leurs femmes ; et quand pourtant il lui faudrait procéder contre le sang de quelqu'un, le faire, pourvu qu'il y ait justification convenable et cause manifeste ; mais surtout, s'abstenir du bien d'autrui : car les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine. Et puis, les motifs pour ôter les biens ne font jamais défaut ; et toujours celui qui commence à vivre de rapine trouve motif

« XVII DE LA CRUAUTÉ ET PITIÉ ; ET S'IL VAUT MIEUX ÊTRE AIMÉ QUE CRAINT, OU L'INVERSE Venant ensuite aux autres qualités ci-dessus nommées, je dis que tout prince doit désirer d'être tenu pour pitoyable et non pour cruel : cependant il doit prendre garde de ne point mal user de cette pitié.

César Borgia était tenu pour cruel ; cepen- dant, cette sienne cruauté avait rassemblé la Romagne, l'avait unifiée, réduite en paix et fidélité.

Ce en quoi, à bien considérer les choses, on verra qu'il a été beaucoup plus pitoyable que le peuple florentin, lequel, pour éviter le nom de cruel, laissa détruire Pistoia.

Il faut, par conséquent, qu'un prince ne se soucie pas d'avoir le mauvais renom de cruel, pour tenir ses sujets unis et fidèles : car avec très peu d'exemples il sera plus pitoyable que ceux qui, par excès de pitié, laissent se poursuivre les désordres, d'où naissent meurtres et rapines ; car ceux-ci d'ordinaire nuisent à une collectivité entière, et les exécutions qui viennent du prince nuisent à un particulier.

Et parmi tous les princes, c'est au prince nouveau qu'il est impossible d'éviter le nom de cruel, parce que les Etats nouveaux sont pleins de périls.

Et par la bouche de Didon, Virgile dit : Res dura, et regni novitas me talia cogunt Moliri, et late fines custode tueril.

1.

« Les circonstances difficiles et la nouveauté de mon règne me contrai- gnent à procéder ainsi, et à faire garder toutes les frontières » (Énéide, I, 563- 564).. »

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