Entretien avec Robert Redford - anthologie du cinéma.
Publié le 19/05/2013
Extrait du document
«
Ainsi, c’est vraiment aux gens de voir.
En ce qui concerne la culture indienne, je pense que la meilleure chose qui pourrait arriver pour préserver leur culture serait l’octroi de bourses pour les jeunes des réserves afin qu’ils puissent faire des études.
Ils pourraient ainsi recevoir
une éducation et revenir ensuite aider leur peuple.
Pour moi, ce serait vraiment la meilleure chose.
On ne peut pas reprocher aux promoteurs de vouloir aménager, c’est pour ça qu’ils existent.
Mais si les gens n’aiment pas le résultat, à eux
d’arrêter les frais.
Il me semble qu’il y a dans ce pays de nombreuses opérations de développement dont on pourrait se passer.
Je pense que le développement est très important, et je crois que certains types de développement sont
essentiels, mais il y a tellement de gâchis dans ce pays.
Ce que nous gâchons chaque année, chaque jour, suffirait à certains pays pour vivre.
Je suis vraiment écœuré par le niveau de gâchis, et je pense qu’il y a beaucoup d’opérations de
développement, beaucoup de constructions de résidences secondaires, beaucoup d’aménagements de parcs de loisirs qui ne sont pas nécessaires.
Visiter la campagne telle qu’elle est, pour elle-même, est déjà l’un des plus beaux loisirs qui
soit.
Mais les gens pour qui l’important est seulement de faire de l’argent avec le développement s’en fichent éperdument.
Voilà ce à quoi ces cultures devront faire face.
Ça va être à elles de décider elles-mêmes de leur avenir.
The Cineaste : On touche là à un dilemme, parce que l’American way of life, c’est quand même de faire de l’argent, d’aller de l’avant, de circuler.
Robert Redford : Oui, mais nous sommes un pays schizophrène.
Un pays qui s’est formé grâce au libéralisme, qui a été construit par un groupe de gens qui étaient des libéraux.
Ils ont quitté un autre pays parce qu’ils voulaient la liberté,
une nouvelle façon de vivre, ils voulaient mener une vie plus libérale.
Ils sont arrivés sur une terre nouvelle, l’ont explorée, l’ont peuplée, l’ont développée, et puis ils ont adopté le conservatisme pour la garder.
Je trouve qu’il y a
franchement de l’ironie dans le fait que ce soit le libéralisme qui nous ait amenés ici, mais que ce soit le conservatisme qui nous y maintienne.
Il y a une sorte de tronc central, d’élément principal qui traverse ce pays et qui est
conservateur, et maintenant les éléments libéraux sont d’une certaine façon en marge.
C’est la situation inverse de celle qui a prévalu au départ.
C’est pourquoi je dis qu’il y a une sorte de schizophrénie inhérente à ce pays : nous
proclamons vouloir l’indépendance et la liberté, c’est pour ça que nous sommes venus ici, et pourtant, d’un autre côté, lorsque des groupes commencent à embrasser les idéaux de liberté et d’indépendance, les éléments conservateurs du
pays les taxent de communistes, les accusent de menacer, de freiner le progrès, que sais-je encore.
Ainsi, l’âme du pays possède cette caractéristique schizophrène inhérente.
Et ça s’applique partout.
Ça s’applique aux cultures qui doivent
répondre à la question : « Voulez-vous changer ou voulez-vous rester comme vous êtes ? » Certains considèrent que rester comme ils sont, c’est se condamner au désastre, et d’autres pensent que leur façon de vivre est parfaite comme elle
est, et qu’il ne faut pas bouger.
Pour moi, c’est toujours aussi fascinant.
The Cineaste : Vous avez dit lors d’une conférence de presse, il y a plusieurs semaines, que vous aimiez vraiment l’histoire, qu’elle constituait l’un de vos principaux centres d’intérêt.
L’histoire est une grande pédagogue, elle nous en
apprend beaucoup sur nous-mêmes.
Le cinéma aussi.
Voyez-vous votre rôle de réalisateur non seulement comme celui d’un amuseur et d’un artiste mais aussi comme celui d’un pédagogue ?
Robert Redford : Absolument.
Au risque de paraître prétentieux, si j’en ai l’occasion, le cinéma est toujours pour moi une opportunité d’éduquer et de divertir en même temps, et autant l’un que l’autre.
Je ne crois pas que beaucoup de
gens réagissent favorablement au matraquage — vous savez, il y a beaucoup de films qui ressemblent à une ordonnance ou à un office religieux.
Mais ces films peuvent être mauvais, inintéressants et ennuyeux, les gens vont les voir parce
qu’on leur fait croire que ça constitue un acte responsable : le film parlera d’une minorité, ou d’une famille relogée ou autre chose de ce genre ; et pourtant, ce ne sera pas un très bon film, et donc les gens n’y prendront pas plaisir.
Ça,
c’est de la pédagogie pure.
D’autres films sont des films de pur divertissement et n’apprennent rien du tout.
J’ai toujours pensé qu’on peut divertir les gens tout en leur apprenant quelque chose sur la façon dont le monde tourne.
Jeremiah Johnson apprenait quelque
chose sur ce qu’étaient vraiment les gens des montagnes.
Ils faisaient partie de nos pionniers ; nos premiers pionniers étaient des montagnards.
Votez McKay offrait de réelles perspectives sur la façon dont les choses se passent dans les
coulisses de la politique.
Et pourtant, du moins je l’espère, c’était aussi un film divertissant.
Downhill Racer (la Descente infernale, 1969) parlait du fonctionnement du sport, de ce sur quoi est mis l’accent dans le sport américain et sur
ce que sont ses priorités.
Des gens comme les autres parlait des sentiments, si on tient à lui coller une étiquette.
Ce pays a une vision très compliquée des sentiments.
En même temps, ce film parlait d’une partie du pays en quelque sorte
coupée d’autres régions, d’autres réalités : un milieu plutôt privilégié, la haute bourgeoisie au nord de Chicago.
J’espère avoir bien montré comment les gens vivent dans cette partie du pays.
Et j’espère que Milagro fera de même.
Donc,
oui, je crois à la possibilité de combiner divertissement et pédagogie dans un film, et en fait, c’est la solution que je préfère.
The Cineaste : Dans Des gens comme les autres les déplacements de caméra étaient mesurés, il n’y avait pas beaucoup de mouvement.
La caméra était vraiment focalisée sur les acteurs ; tout venait d’eux.
Allez-vous modifier votre
façon de diriger pour Milagro ?
Robert Redford : Il y aura plus de mouvement cette fois parce qu’il y a plus de paysage à voir.
La terre est un élément prépondérant dans ce film, c’est littéralement un personnage à part entière.
Il y aura plus de plans axés sur le paysage
et plus de mouvements de caméra.
Mais ce qui ne change pas, c’est que l’accent est mis sur les gens, donc sur les acteurs, les personnages.
Ce qui est intéressant dans ce projet, ce sont les personnages épatants qui peuplent l’histoire.
La
différence avec Des gens comme les autres est que ce dernier était très contenu, très intimiste.
Ce que j’avais en tête avec ce film c’était que le spectateur jette un œil à la vie de quelqu’un, la regarde en quelque sorte à travers le trou de la
serrure.
Ici, le champ de vision s’ouvre plus sur un ensemble de personnages.
Mais c’est toujours la même chose.
C’est une histoire de cœur.
The Cineaste : Dans Des gens comme les autres comme dans Milagro , il y a un processus de guérison qui se déroule.
Dans Des gens comme les autres , le drame est à propos de l’auto-guérison de Conrad et aussi des gens autour de
lui qui se retrouvent impliqués dans cette guérison.
Dans Milagro , les personnages traversent un processus de guérison au cours duquel leur intégrité culturelle est restaurée, renforcée.
Voir un film peut impliquer une sorte de guérison
ou de renforcement indirect, lorsqu’on parvient à comprendre les motifs d’un personnage.
Croyez-vous qu’il est bon qu’un film permette cela ? Est-ce l’un de vos objectifs ?
Robert Redford : Je crois qu’un film est un passage que le public partage avec un personnage.
Le personnage emmène le public dans un voyage, et vous l’accompagnez dans ce qu’il vit.
C’est donc à l’acteur de présenter son personnage
de telle sorte que le public ait l’impression de l’accompagner.
Et ainsi, s’il y parvient, le public peut accompagner le personnage.
L’expérience devient alors plus subjective qu’objective.
Je pense que c’est là qu’un film fonctionne pour
moi, quand il devient une expérience intime.
Je veux dire par là que vous accompagnez la personne à l’écran et que vous ressentez ce qu’elle ressent, ou que vous partagez quelque chose avec elle, et peut-être même des choses
désagréables, pendant deux heures.
C’est pourquoi il n’y a pas pour moi de vrais méchants, ni de vrais héros.
Si vous êtes suffisamment proche des personnages, vous comprendrez au moins pourquoi ils font certaines choses.
Vous ne les
approuverez pas forcément, mais vous les comprendrez.
Et si vous les comprenez, vous les accompagnerez..
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