Entretien avec Jack Lemmon - anthologie du cinéma.
Publié le 19/05/2013
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The Cineaste : Les comédies ne doivent pas forcément se limiter au divertissement, non ? Est-il possible d’après vous d’affirmer des points de vue à travers la comédie ?
Jack Lemmon : Oui, et je suis d’avis que l’on peut et que l’on devrait utiliser la comédie à cette fin le plus souvent possible.
Curieusement, les gens se souviendront plus facilement d’une démonstration véhiculée par la comédie que
d’une démonstration véhiculée par la tragédie.
Je crois aussi, et c’est particulièrement vrai à notre époque, étant donné les problèmes mondiaux, que toute occasion de rire est extrêmement bénéfique.
Évidemment, j’aime autant le drame
que la comédie, mais je dois admettre qu’il est particulièrement gratifiant d’apporter de la joie aux autres par le rire.
L’une des dernières choses que mon père, que j’adorais, m’a dite avant de mourir, il y a de ça environ vingt ans… Je ne
veux pas paraître larmoyant, mais il était très malade, à l’hôpital, et l’une des dernières choses qu’il m’a dites a été une chose qu’il m’avait souvent dite auparavant.
Il m’a regardé, a souri et a dit : « Donne un peu de soleil ».
En gros, ce
qu’il disait, c’était « Donne un peu de joie autour de toi », et les acteurs ont cette chance d’être en situation de le faire.
The Cineaste : Cela doit donc vous faire plaisir qu’outre Missing et le Syndrome chinois, les Cubains projettent Certains l’aiment chaud ici cette semaine.
Jack Lemmon : Ce que je trouve particulièrement gratifiant, c’est qu’au bout de vingt-cinq ans Certains l’aiment chaud est toujours très populaire, et pas seulement dans le monde entier, mais aussi en Amérique.
Billy Wilder, qui l’a
écrit et réalisé, est un ami très proche, et je considère que ce film est l’une des farces les mieux écrites et les mieux mises en scène que j’ai jamais eu la chance de tourner, et même de voir.
J’aimerais pouvoir en dire autant d’un autre !
The Cineaste : Comment expliquez-vous votre aptitude à jouer avec succès des rôles aussi variés que les vôtres ?
Jack Lemmon : Lorsque j’étais étudiant à Harvard, je regrettais qu’il y ait si peu de cours dans le domaine des arts du spectacle ou de la création, parce que c’est ceux-là qui m’intéressaient.
Toutefois, je pense que l’éducation généraliste
et ouverte que j’ai reçue, ainsi que la chance de me trouver avec plein de gens venus de parties du monde et de milieux différents, a été un réel plus pour moi par la suite comme acteur parce qu’elle m’a exposé à différentes façons de voir
les choses.
Elle m’a permis d’avoir un point de vue plus ouvert pour appréhender différents personnages.
En règle générale, j’ai été plutôt attiré par les rôles contemporains, c’est pourquoi j’utilise mes propres expériences de la vie ou le
résultat de mes propres observations des gens pour mettre au point mes interprétations.
Juste après Harvard, pendant mes premières années à New York, j’ai fait tous les métiers.
J’ai même travaillé dans un petit night-club où je faisais sept boulots différents en même temps : j’étais l’orchestre à moi tout seul, ce qui
constituait à jouer sur un petit piano dont la moitié des touches ne marchait pas, et, avec les autres, je devais aussi monter sur scène pour y jouer des sketches et des parodies.
Je faisais également office de « maître d’hôtel », et de videur,
et ça, ça n’était pas franchement évident, car je pesais à peine plus de 65 kilos.
Ce sont les premiers temps de la télévision en direct qui nous ont vraiment apporté la meilleure formation, bien qu’à mon avis aucun d’entre nous ne s’en soit rendu compte à l’époque.
Il n’y avait pas encore de stars télé parce tout cela
était trop nouveau, et c’est pourquoi, une fois que vous commenciez à être connu et distribué, vous pouviez fort bien vous retrouver avec cinq lignes à dire une semaine et avec cent la suivante.
Les rôles étaient aussi très différents les uns
des autres, du comique le plus farce au drame le plus profond, et à la réflexion, je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai été capable par la suite de jouer aussi bien des comédies que des drames au cinéma.
Il y avait ce show télé, par exemple, The Ad Libbers (les improvisateurs).
On était six, quatre types et deux filles, avec Peter Donald, qui était un animateur hors pair de l’époque.
Tout se passait dans un petit théâtre de New York, en
direct bien sûr, avec trois caméras et un public.
Peter choisissait deux comédiens, qui allaient se mettre au milieu de la scène.
Puis il désignait quelqu’un dans le public, qui se levait et lançait une réplique du genre : « Ferme la porte » ou
n’importe quoi d’autre.
L’un des comédiens devait alors se tourner vers l’autre et répéter cette réplique et pendant les trois minutes qui suivaient ils inventaient une scène, dramatique ou comique, de préférence comique, parce qu’à trente
secondes de la fin une lampe rouge s’allumait sur la rampe et il valait mieux pour vous que la chute soit drôle.
Bon, certaines scènes étaient merveilleuses mais d’autres… Oh ! Mon Dieu, c’était l’enfer, vous savez, quand ça se passait
mal et que vous n’arriviez pas à être sur la même longueur d’onde… Mais, quelle expérience !
The Cineaste : Comment décririez-vous votre technique d’acteur ?
Jack Lemmon : En général je travaille de l’intérieur vers l’extérieur.
Autrement dit, je crois qu’il est vraiment très facile de se contenter d’apprendre les répliques, mais que le plus important n’est pas ce qu’un personnage dit mais la
raison pour laquelle il le dit, c’est-à-dire ce qui le motive réellement et sa manière de penser.
Une fois que vous avez compris le personnage, vous pouvez le fignoler en travaillant la façon dont il se déplace, son apparence, ses attitudes, sa
façon de s’habiller, toutes ces particularités de surface.
Mais il arrive que vous puissiez travailler à partir de l’extérieur.
Laurence Olivier a dit que c’est souvent son cas.
Pour moi, cette façon de procéder est dangereuse parce qu’elle
comporte le risque de se retrouver avec une caricature à la place d’un personnage sincère.
Pour Certains l’aiment chaud, par exemple, j’ai effectivement travaillé à partir de l’extérieur parce que je pensais que la façon dont le personnage
se déplaçait et son apparence, son comportement extérieur étaient essentiels.
Alors, j’ai travaillé pendant près d’une semaine devant le miroir avec le maquillage et les perruques.
Je me souviens avoir travaillé plusieurs jours rien qu’avec
le rouge à lèvres, pour en arriver finalement à ces lèvres pulpeuses, parce que je voulais obtenir une apparence bien précise à chaque fois que lui, ou elle, souriait.
Une fois que j’ai eu décidé de l’apparence que je voulais pour le
personnage, je me suis arrangé pour qu’il se comporte d’une certaine façon à l’intérieur pour obtenir le résultat voulu.
The Cineaste : Qu’est-ce qui vous a attiré dans Missing ?
Jack Lemmon : Missing est un film qui a été, qui est toujours, cher à mon cœur parce que, de temps en temps, s’il a de la chance, un artiste se retrouve impliqué dans un film ou une pièce qui peut aller au-delà du seul divertissement et
aider à éclairer le public.
Dans le cas de Missing, j’ai eu le sentiment que le film avait quelque chose de très important à dire mais, en même temps, j’ai trouvé que c’était un travail dramatique merveilleusement bien écrit et intelligent.
Et
par-dessus le marché, il devait être réalisé par Costa Gavras et donc je savais qu’il serait fait avec délicatesse et un réel talent artistique.
J’ai été très fier de participer à cette aventure.
J’ai aussi eu l’impression que le fait qu’il s’agisse d’une histoire vraie et pas d’une fiction était important et qu’il fallait que cette histoire soit connue partout, et tout particulièrement par tous les citoyens américains.
Le plus important peut-être en ce qui concerne Missing est que bien qu’il s’agisse d’un film qui critique l’action supposée de notre gouvernement, il a été fait aux États-Unis sans aucune forme de censure, et je sais de source sûre que cela.
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