Entretien avec Akira Kurosawa - anthologie du cinéma.
Publié le 19/05/2013
Extrait du document
«
identifié l’avait été.
Mon allusion était claire, mais les dirigeants du studio n’avaient pas été capables de la décrypter lorsqu’ils avaient lu le script.
C’est pourquoi ils avaient approuvé ce dernier et investi leur argent.
Les producteurs sont
les gens qui comprennent le moins bien les films.
The Cineaste : Sont-ils pires que les critiques ?
Akira Kurosawa : Sans aucun doute.
Nous écrivons les scripts intelligemment et nous les soumettons aux producteurs.
Ceux-ci n’y comprennent vraiment rien.
Quant aux critiques, il y en a de toutes sortes.
Beaucoup de critiques
japonais se comportent bizarrement.
Ils écrivent leurs papiers comme s’il y avait entre eux certaines règles à respecter du genre : « Cette fois, j’écris une bonne critique, donc toi, tu en écris une mauvaise.
» Cela dépend de qui les paie, et
pas de leur propre volonté ou de leurs propres opinions.
The Cineaste : On a assisté récemment au Japon à une « intellectualisation » d’une certaine partie de la critique avec l’arrivée d’universitaires qui écrivent des critiques de films en les passant au crible de nouvelles disciplines comme
le structuralisme.
Cela a-t-il contribué d’après vous à relever le niveau qualitatif de la critique ?
Akira Kurosawa : Ils utilisent une terminologie extrêmement pédante.
Je ne crois ni à une telle rationalisation ni à un tel jargon.
Le cinéma doit être considéré avec des sentiments humains, avec plus de franchise.
Par exemple, que peut
bien vouloir dire « la pensée perpendiculaire au cinéma » ? Ils tiennent à utiliser ce genre de jargon, mais je ne vois vraiment pas ce que cela signifie.
C’est aussi le cas en particulier des critiques musicaux.
Toru Takemitsu et d’autres ont
dit que ces critiques ne comprennent rien à rien, et se demandent bien ce qu’ils veulent dire avec un tel jargon.
M.
Hideo Kobayashi [NdE.
un célèbre critique d’art ] disait qu’après avoir écrit des milliers de critiques, il avait conclu que les seules qu’il approuvait étaient en fin de compte celles qui disaient du bien des œuvres.
Il pensait que le rôle
des critiques est d’encourager les artistes en mettant en lumière les aspects positifs de leurs œuvres ; faire ressortir les aspects négatifs est tout simplement absurde.
Mieux vaut se taire.
Si vous la critiquez durement, une œuvre ne
s’améliorera pas pour autant.
Si vous détestez une œuvre, contentez-vous de l’ignorer.
C’est ce qu’il disait.
Les artistes et les critiques ne s’entendront jamais.
Les artistes veulent qu’on chante leurs louanges, qu’ils le méritent ou non.
Le pire, c’est quand un critique éreinte une œuvre pour ridiculiser ceux qui la portent aux nues, pas parce qu’il
croit en ce qu’il écrit mais parce qu’il veut se faire remarquer.
En outre, les critiques sont libres de critiquer et d’écrire des méchancetés.
Ce que je ne tolérerai pas, c’est qu’on m’attaque haineusement, en me traitant d’imbécile et d’idiot.
Je ne comprends vraiment pas ce que j’ai pu faire à ce type pour mériter ça.
La critique doit être inspirée par l’amour, pas par la haine.
Les critiques japonais disent des choses incompréhensibles.
Cette fois-ci, par exemple, ils ont prétendu que j’avais fait Ran pour faire de l’argent.
Si c’était le cas, j’aurais fait un film plus facile.
Ce film a été très difficile à réaliser.
Enfin ! J’ai l’habitude des calomnies.
Je mentirai en disant que ça ne me touche pas, mais je les ignore.
The Cineaste : Vous avez dit une fois que le plus important pour les jeunes qui veulent devenir réalisateurs, c’est de lire les grands classiques de la littérature mondiale.
Le croyez-vous toujours ?
Akira Kurosawa : Absolument.
Il est pratiquement impossible de tout lire, donc il faut trouver les écrivains que l’on aime.
Puis découvrir les œuvres qu’on aime le plus chez eux et les lire, les relire et les relire encore.
C’est ainsi que
votre compréhension des personnages de ces œuvres s’affine.
La façon dont on comprend une œuvre au bout de la première lecture et la façon dont on l’appréhende après l’avoir lue dix fois sont bien entendu différentes.
De la même
manière, il est également important pour les acteurs de bien comprendre les personnages qu’ils vont jouer.
Le mieux, c’est d’écrire des scénarios.
C’est la base du cinéma, parce qu’un excellent scénario peut devenir un excellent film même aux mains d’un réalisateur de troisième zone.
Par contre, un mauvais scénario ne peut jamais faire un
excellent film, même s’il est tourné par un réalisateur de premier plan.
C’est pourquoi il faut se rendre compte de l’importance des scénarios.
De plus, la pellicule et les décors coûtent très cher et, lorsqu’on veut apprendre la réalisation, on
a rarement la possibilité d’en avoir.
Mais pour écrire un scénario, on n’a besoin que de papier et de crayons.
Au Japon en particulier, la télévision a besoin de beaucoup de bons scénaristes et le cinéma en recherche désespérément.
Si vous
écrivez un bon scénario, vous gagnerez tout de suite de l’argent.
Je dis toujours aux jeunes d’écrire des scénarios, mais ils ne le font pas.
Balzac a dit un jour que le plus important pour les romanciers est de se faire au pensum qui consiste à écrire ligne après ligne les lettres de l’alphabet.
Ces jeunes ne sont pas assez patients pour ça.
En plus, ils ne veulent même pas faire
l’effort de lire des romans.
Bien qu’ils se croient doués, ils n’ont rien à montrer pour le prouver.
Ainsi, pour Ran, j’ai recruté de jeunes aspirants assistants réalisateurs.
J’en ai retenu trois parmi de nombreux candidats, en me basant sur
les scénarios qu’ils proposaient.
J’essaie d’encourager les jeunes talents.
J’ai eu aussi un jeune Italien comme assistant pour Ran. Et bien, il a appris à lire et à écrire le japonais.
Lire et écrire doivent devenir une habitude ; sinon, c’est difficile.
De nos jours, les jeunes assistants réalisateurs n’écrivent plus de scénarios, en prétendant qu’ils sont trop occupés pour ça.
Moi, j’écrivais tout le temps.
En extérieurs, le
travail d’assistant réalisateur était très dur et très prenant, alors j’écrivais à minuit, dans mon lit.
Je n’avais pas de mal à vendre mes scénarios, et à gagner ainsi plus d’argent que mon salaire d’assistant.
Cela signifiait que je pouvais boire
plus.
Et donc, j’écrivais, et je buvais, et quand je n’avais plus le sou, j’écrivais à nouveau.
Mes amis comptaient sur moi pour écrire des scénarios et gagner de l’argent pour leur payer à boire.
Lorsque nous allions boire, nous parlions tout
le temps cinéma.
Le contenu de certaines de ces discussions me servait de matière première pour les projets suivants.
Encore maintenant, lorsqu’avec les acteurs et l’équipe technique nous buvons à la fin de la journée de tournage, nous
parlons de notre travail, et ce sont parfois les discussions les plus importantes que nous ayons.
The Cineaste : Le grand écran du Lincoln Center rend Ran étonnamment spectaculaire, si l’on compare avec ce que donne le film sur les petits écrans des projections de presse.
Akira Kurosawa : À Paris, Ran a été projeté en 70 mm.
Les scènes de bataille étaient particulièrement belles.
Avec un système stéréo 6 canaux, c’était vraiment exaltant.
Malheureusement, les gens qui n’avaient pas pu rentrer dans le
cinéma faisaient beaucoup de bruit dehors et on les entendait jusque dans la salle.
D’un autre côté, des scènes très intimistes, très psychologiques, peuvent ne pas fonctionner dans ce genre de cinéma.
J’ai parfois le sentiment qu’elles sont
plus adaptées à des salles de dimensions plus modestes et plus calmes.
Il n’y a pas beaucoup de cinémas projetant les films en 70 mm.
À Tokyo, il ne doit y en avoir que deux.
Et puis, ça coûte très cher de produire un film en 70 mm..
»
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