Du Côté de Chez Swann soupçon peut-être calomnieux pour elle, destiné en tous cas à la faire souffrir et que rien ne pourrait plus détruire, une fois la lettre partie.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
changeait du tout au tout, aux yeux des autres, l'aspect même des signes extérieurs par lesquels ce caractère se
manifestait.
Un mois après le jour où il avait lu la lettre adressée par Odette à Forcheville, Swann alla à un dîner que les
Verdurin donnaient au Bois.
Au moment où on se préparait à partir, il remarqua des conciliabules entre Mme
Verdurin et plusieurs des invités et crut comprendre qu'on rappelait au pianiste de venir le lendemain à une
partie à Chatou; or, lui, Swann, n'y était pas invité.
Les Verdurin n'avaient parlé qu'à demi-voix et en termes vagues, mais le peintre, distrait sans doute, s'écria:
"Il ne faudra aucune lumière et qu'il joue la sonate Clair de lune dans l'obscurité pour mieux voir s'éclairer les
choses."
Mme Verdurin, voyant que Swann était à deux pas, prit cette expression où le désir de faire taire celui qui
parle et de garder un air innocent aux yeux de celui qui entend, se neutralise en une nullité intense du regard,
où l'immobile signe d'intelligence du complice se dissimule sous les sourires de l'ingénu et qui enfin,
commune à tous ceux qui s'aperçoivent d'une gaffe, la révèle instantanément sinon à ceux qui la font, du
moins à celui qui en est l'objet.
Odette eut soudain l'air d'une désespérée qui renonce à lutter contre les
difficultés écrasantes de la vie, et Swann comptait anxieusement les minutes qui le séparaient du moment où,
après avoir quitté ce restaurant, pendant le retour avec elle, il allait pouvoir lui demander des explications,
obtenir qu'elle n'allât pas le lendemain à Chatou ou qu'elle l'y fit inviter et apaiser dans ses bras l'angoisse
qu'il ressentait.
Enfin on demanda leurs voitures.
Mme Verdurin dit à Swann:
\24 Alors, adieu, à bientôt, n'est-ce pas? tâchant par l'amabilité du regard et la contrainte du sourire de
l'empêcher de penser qu'elle ne lui disait pas, comme elle eût toujours fait jusqu'ici:
"A demain à Chatou, à après-demain chez moi."
M.
et Mme Verdurin firent monter avec eux Forcheville, la voiture de Swann s'était rangée derrière la leur
dont il attendait le départ pour faire monter Odette dans la sienne.
"Odette, nous vous ramenons, dit Mme Verdurin, nous avons une petite place pour vous à côté de M.
de
Forcheville.
"Oui, Madame", répondit Odette.
"Comment, mais je croyais que je vous reconduisais", s'écria Swann, disant sans dissimulation, les mots
nécessaires, car la portière était ouverte, les secondes étaient comptées, et il ne pouvait rentrer sans elle dans
l'état où il était.
"Mais Mme Verdurin m'a demandé..."
"Voyons, vous pouvez bien revenir seul, nous vous l'avons laissée assez de fois, dit Mme Verdurin."
\24 Mais c'est que j'avais une chose importante à dire à Madame.
\24 Eh bien! vous la lui écrirez...
\24 Adieu, lui dit Odette en lui tendant la main.
Il essaya de sourire mais il avait l'air atterré.
Du Côté de Chez Swann
DEUXIÈME PARTIE.
UN AMOUR DE SWANN 140.
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