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Discours sur la première décade de Tite-Live VII COMBIEN LES ACCUSATIONS SONT NÉCESSAIRES DANS

Publié le 01/10/2013

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Discours sur la première décade de Tite-Live VII COMBIEN LES ACCUSATIONS SONT NÉCESSAIRES DANS UNE RÉPUBLIQUE POUR Y MAINTENIR LA LIBERTÉ C eux qui sont préposés à la garde de la liberté d 'un pays ne peuvent être revêtus d 'une a utorité plus utile, plus nécessaire même que celle qui leur donne le pouvoir d'accuser les citoyens devant le peuple, devant u n conseil, ~n magistrat, et cela, à l'occasion de toute atteinte portée à l'Etat. Cette institution a deux avantages extrêmement précieux : le p remier est d ' empêcher, par, la crainte de l'accusation, les citoyens de rien tenter contre l'Etat, o u bien de les faire p unir sur-le-champ de l' attentat commis ; le second, d'offrir une issue normale aux haines qui, p our une raison o u p our une autre, fermentent dans les cités contre tel o u tel. Si ces haines ne trouvent point d'issue normale, elles recourent à la violence, ruine des républiques. Rien au contraire ne rendra une république ferme et assurée comme de canaliser, p our ainsi dire, par la loi les h umeurs qui l'agitent. C'est ce q ue plusieurs exemples peuvent prouver, et surtout celui de Coriolan, rapporté par Tite-Live. La noblesse romaine, selon cet historien, était très irritée contre le p euple; elle l'accusait d'avoir usurpé trop de pouvoir, par la création des tribuns, uniquement employés à le défendre : or Rome dans la disette avait envoyé en Sicile p our se p rocurer d u blé. Coriolan, ennemi de la faction populaire, conseilla au sénat de saisir cette occasion qui se présentait de châtier le peuple, et de lui enlever l'autorité qu'il avait usurpée au préjudice de la noblesse en ne lui distribuant pas ce blé et en l' affa- 205 Machiavel m ant. Cette proposition, parvenue à la connaissance d u peuple, excita une indignation si générale, q u'au sortir d u sénat Coriolan e ût été mis en pièces si les tribuns ne l'avaient cité devant eux p our présenter sa défense. C'est à l'occasion de cet événement que nous observons combien il est utile, important, dans une république, d'avoir des institutions qui fournissent à la masse des citoyeps des moyens d'exhaler leur aversion contre u n autre citoyen. A défaut de ces moyens autorisés par la loi, o n en emploie d'illégaux, qui, sans contredit, produisent des effets bien plus funestes. Q ue dans ces occasions u n i ndividu , soit lésé, q u'on c ommette même à son égard une injustice, l'Etat n'éprouve que peu o u p oint de désordre. E n effet, cette injustice n'est le fait ni d 'une violence privée ni d 'une i ntervention étrangère, deux causes puissantes de la ruine de la liberté, mais uniquement de la force publique et des lois, contenues dans des bornes qu'elles ne dépassent pas au point de renverser la république. E t p our fortifier cette vérité par u n exemple, je me contenterai de celui de Coriolan : que l'on réfléchisse aux maux qui pouvaient résulter p our la république romaine s'il eût été massacré dans une émeute p opulaire; l 'attentat commis contre lui eût été une violence de particuliers à particuliers ; cette espèce de violence p roduit la peur ; la p eur cherche des moyens de défense, appelle les partisans ; des partisans paissent les factions dans une ville, et des factions la ruine de l'Etat. N ous avons vu de nos jours la révolution causée à Florence par l'impuissance o ù se trouvait la m ultitude de recevoir une satisfaction légale contre u n citoyen, Francesco Valori 8 o Son audace, ses e mportements, le firent s oupçonner de vues ambitieuses qui le p ortaient à s'élever au-dessus d u rang de simple citoyen dans une ville o ù il avait déjà le crédit et l'autorité d 'un prince. La république n'avait le moyen de résister à son parti q u'en lui opposant u n parti contraire. La connaissance qu'il avait de cette impuissance faisait qu'il ne redoutait plus rien, excepté quelque sédition, en prévision de laquelle il se m it à recruter des partisans. Ses adversaires, faute de moyens légaux p our s'y opposer, firent de 2 06 Discours sur la première décade de Tite-Live même, et l'on en vint aux mains. Si o n e ût p u lui opposer des armes fournies par la loi, o n e ût détruit son autorité sans rendre sa ruine funeste à d'autres q u'à lui ; tandis que les moyens extraordinaires qu'il fallut employer p our e n venir à b out e ntraînèrent avec lui dans sa chute une infinité d'autres nobles. Ce qui s'est passé à Florence à l'occasion de Pierre Soderini 9 servira à prouver cette vérité. Ces malheureux événements dérivent tous d u m ême vice : le défaut, dans cette république, d 'un m oyen légal d'accusation contre les citoyens ambitieux et puissants. C ontre des coupables de cette importance, u n t ribunal de h uit juges ne saurait suffire : i l faut que les juges soient infiniment nombreux, parce que, dans ces circonstances, le p etit nombre se plie facilement à la volonté d u p etit nombre. Si Florence eût été un tribunal redoutable o ù ses citoyens eussent p u citer Soderini, en cas de malversations de sa part, le peuple eût assouvi sa vengeance contre lui sans faire venir l'armée espagnole. Si au contraire il e ût été irréprochable, aucun d'eux n 'eût osé l'accuser de peur d'être accusé à son tour, et bientôt eût été réprimée chez tous la rage jalouse qui causa tant de mal. D 'où l 'on peut conclure q~e toutes les fois q u'on voit des forces étrangères appelées dans un Etat par un parti, o n p eut attribuer ce désordre au vice de sa C onstitution ; o n p eut assurer qu'il lui manque, dans le cercle fermé de ses lois, l'échappatoire qui donnerait libre cours aux accès de méchanceté si naturels aux hommes. O n remédie à ce défaut en ouvrant aux accusations u n tribunal assez nombreux, et en lui d onnant des formes assez solennelles pour le faire respecter. A Rome, t out était si bien réglé que, dans les plus grands différends qu'il y eut entre le sénat et le peuple, jamais ni le peuple, ni le sénat, ni aucun citoyen, ne, fut tenté d'appeler des forces étrangères : le remède était dans l'Etat même, ils n'avaient nul besoin de l'aller chercher au-dehors. Si probants que soient les exemples que j'ai cités, je veux cepeJ\dant en rapporter un autre tiré de la mê~e histoire de Tite-Live. A Clusium, l'une des plus célèbres villes d'Etrurie de ces temps-là, u n certain Lucumon avait violé la soeur d'Aruns. Celui-ci, ne pouvant s'en venger en raison de la puissance du coupable, passa chez les 207
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« Machiavel mant.

Cette proposition, parvenue à la connaissance du peuple, excita une indignation si générale, qu'au sortir du sénat Corio­ lan eût été mis en pièces si les tribuns ne l'avaient cité devant eux pour présenter sa défense.

C'est à l'occasion de cet événement que nous observons combien il est utile, important, dans une république, d'avoir des institutions qui fournissent à la masse des citoyeps des moyens d'exhaler leur aversion contre un autre citoyen.

A défaut de ces moyens autorisés par la loi, on en emploie d'illégaux, qui, sans contredit, produisent des effets bien plus funestes.

Que dans ces occasions un individu , soit lésé, qu'on commette même à son égard une injustice, l'Etat n'éprouve que peu ou point de désordre.

En effet, cette injustice n'est le fait ni d'une violence privée ni d'une intervention étrangère, deux causes puissantes de la ruine de la liberté, mais uniquement de la force publique et des lois, contenues dans des bornes qu'elles ne dépassent pas au point de renverser la république.

Et pour fortifier cette vérité par un exemple, je me contente­ rai de celui de Coriolan : que l'on réfléchisse aux maux qui pouvaient résulter pour la république romaine s'il eût été mas­ sacré dans une émeute populaire; l'attentat commis contre lui eût été une violence de particuliers à particuliers ; cette espèce de violence produit la peur ; la peur cherche des moyens de défense, appelle les partisans ; des partisans paissent les factions dans une ville, et des factions la ruine de l'Etat.

Nous avons vu de nos jours la révolution causée à Florence par l'impuissance où se trouvait la multitude de recevoir une satisfac­ tion légale contre un citoyen, Francesco Valori 8 • Son audace, ses emportements, le firent soupçonner de vues ambitieuses qui le portaient à s'élever au-dessus du rang de simple citoyen dans une ville où il avait déjà le crédit et l'autorité d'un prince.

La répu­ blique n'avait le moyen de résister à son parti qu'en lui opposant un parti contraire.

La connaissance qu'il avait de cette impuis­ sance faisait qu'il ne redoutait plus rien, excepté quelque sédition, en prévision de laquelle il se mit à recruter des partisans.

Ses adversaires, faute de moyens légaux pour s'y opposer, firent de 206. »

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