Discours d'hommage à Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran-Damas
Publié le 16/04/2012
Extrait du document
Monsieur s le ministre de la Culture et de la Communication,
Monsieur le ministre de l’Education,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Monsieur le Maire de Fort-de-France,
Mesdames Messieurs,
Je voudrais tout d’abord exprimer ma vive gratitude à la ville de Fort-de-France, à ses autorités, aux élus locaux pour la qualité de l’accueil et les marques d’égard qu’ils ont bien voulu me témoigner à l’occasion de cet événement.
Il n’y a pas si longtemps de cela, bien avant de recevoir l’invitation à cette assemblée commémorative, en lisant un article d’un grand journal que je ne citerai pas, une question m’est venue à l’esprit, peut-être par le jeu du hasard. Elle portait sur l’importance de la transmission du savoir, des connaissances acquises durant de longs siècles d’existence. Il m’a semblé judicieux de rédiger une réponse à cette problématique. Et maintenant que je suis devant vous, je me dois d’exposer mes pensées à propos de ce sujet mais aussi d’un combat mené de front par trois écrivains qui ont eu à cœur de défendre la dignité de leur culture et de leur peuple au moyen de la littérature. Cependant, il me serait impossible de rendre cet hommage sans aborder le sujet de la négritude.
Nous le savons, les racines de la négritude sont anciennes et diverses et qu’elle trouva ses véritables contours dans les années 1930 avec la troïka, c'est-à-dire l’alliance de Césaire, Damas et Senghor. Les pensées, les réflexions de ces trois hommes se trouvent au carrefour de trois influences : la philosophie des Lumières, le Panafricanisme et le marxisme. Leur lutte a eu pour ambition d’affirmer haut et fort la grandeur de l’histoire et de la civilisation noire face au monde occidental qui, les avait jusque-là dévalorisées. Ces hommes ont voulu faire de leur identité nègre, et de l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, une source de fierté. Parmi les « détraqueurs «de la négritude, Fanon considère le concept trop réducteur. Dans son projet de thèse en psychiatrie, Peau noire, masque blanc, il étudie les conséquences humaines du colonialisme et du racisme et fait le portrait de l’homme noir antillais, victime des préjugés de couleur et des complexes d’infériorité qu’il a intériorisé.
Pour Césaire cité par Marc Rombaut « la conscience d’être noir, simple reconnaissance d’un fait qui implique acceptation, prise en charge de son destin de noir, de son histoire et de sa culture « est la négritude. Il s’agit de fédérer un peuple, et je reprendrais l’une de ses plus célèbres phrases « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche «. Cette mission qu’il s’est confié, je puis dire qu’il l’a accomplie, au moins par le biais de la littérature.
Son père disait de lui « Quand Aimé parle, la grammaire sourit «. Poète, dramaturge, romancier mais aussi homme politique, fervent défenseur de la liberté des peuples, son discours sur le colonialisme dira sous la forme du pamphlet qui, je le rappelle, est un texte virulent qui remet en cause l’ordre établit, toute son hostilité au colonialisme européen. On dit très souvent que Césaire fut influencé par Rimbaud et les surréalistes. Mais sait-on qu’il n’avait écrit jusqu’alors que des vers à la manière de Verlaine et Baudelaire Juste avant de commencer le Cahier ? Non. Dans cet ouvrage, texte impossible à classer dans une catégorie prévue par les manuels d’histoire littéraire, il se met à écrire n’importe quoi, sauf ce qui est convenu d’appeler poésie dans son milieu d’étudiants en lettres à l’Ecole normale supérieure. Les mots de Césaire sortaient de sa tête. En possession d’un vocabulaire beaucoup plus large que celui d’une universitaire français, il lui fallut sa propre poésie, il la bâtit à sa taille, douée d’un langage bien à lui. Grâce à son niveau de culture polyvalent, il a pu faire ce qu’il voulait de la langue, renvoyer toutes les formes de poésie précédentes en quelque sorte aux oubliettes. Voilà peut-être les seules leçons de style qu’un jeune poète pourrait tirer du Cahier d’un retour au pays natal : leçons de sincérité, de recherche de l’inconnu, « ce terrible inconnu qui nous regarder dans le miroir « comme il le disait.
Le jour son décès, nous, alors, confinés sur notre, je cite « fragile épaisseur de terre « comme il le dit dans son Cahier, notre peine et notre tristesse submergèrent le cœur et l’esprit de tous ceux dans le monde qui parfois de très loin avaient reconnu dans la voix de cet homme « debout «, de ce « nègre «, l’une des expressions les plus pures de l’universalité de la conscience humaine.
Une chose me paraît immuable, l’esprit Césairien nous a consacré, à nous martiniquais, mais aussi à nous français, européens et citoyens du monde, une richesse au combien précieuse tout comme ses acolytes. Selon la définition classique donnée par Senghor lui-même, la négritude est « l’ensemble des valeurs de civilisations du monde noir «. Contrairement aux critiques qu’on lui a adressées, je suis en capacité d’affirmer que la négritude de Senghor n’est pas une forme de racisme.
Si on compare Senghor aux autres écrivains de la négritude qui dénoncent très violemment la puissance coloniale française, Senghor, de par son éducation chrétienne dépasse la haine et le ressentiment pour prôner le pardon, du monde en paix. La métaphore chrétienne du titre du recueil est donc à comprendre en ce sens : de même que l’hostie rappelle le sacrifice du christ pour le salut de l’humanité, les soldats africains sont des « hosties noires « pour qu « advienne un monde meilleur. Dans ce recueil, le poète tente de restaurer la mémoire des soldats noirs engagés durant la guerre et prend la défense des valeurs culturelles et morales de l’Afrique à travers l’éloge de ses camarades.
Homme de lettres, il publie de 1948 à 1993 cinq recueils de poèmes et cinq épais volumes d’articles et de conférence dans lesquels il défend inlassablement les valeurs de la culture négro-africaine et sa vision d’une humanité réunifiée, par de-là les fractures de l’histoire, autour des apports complémentaires de chaque culture, c’est ce qu’il appelle la « civilisation de l’universel «
« Vous ai-je dit ou non qu'il fallait parler français
le français de France
le français du français,
le français français? « (Hoquet, Pigments)
Devant le dégoût des mœurs et des valeurs métropolitaines, on pourrait poser la question : pourquoi Damas écrit-il en français ?
A cela Senghor répondait, parlant au nom de tous les intellectuels africains francophones : « Parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s’adresse aussi aux Français de France et aux autres hommes, parce que le français est une langue de « gentillesse et d’honnêteté «, propos tirés d’Ethiopiques. Au service de cet engagement, Damas emploie une poésie très différente de celle de Senghor ou de Césaire. Poésie moins intellectuelle, proche de la chanson populaire, à la fois par la composition (des couplets encadrés par le refrain) et par la simplicité du vocabulaire employé.
Simple, elle est cependant loin d'être. Notons l'humour qui vient au secours de la révolte. L'auteur accentue le rôle cocasse des situations, joue avec le langage en le découpant ou en jouant sur les mots. Dans Hoquet, un poème issu de son recueil Pigments, il dit
« Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable
se passe de rots
une fourchette n'est pas un cure-dent «
Toutes ces qualités font que cette œuvre passe facilement la rampe et qu'elle est directement accessible au grand public. Et il n'y a pas comme chez Senghor et Césaire, une contradiction entre la finalité, qui est de déclencher une prise de conscience dans les masses, et les moyens utilisés.
En rassemblant simplement des souvenirs d'enfance, usant du style direct qui rend très vivant le dialogue du fils et de sa mère, Damas riche des « « trois fleuves qui coulent dans ses veines «, réussit à nous faire partager sa rancœur contre un système tout entier organisé pour faire perdre aux noirs leur identité, contre le système colonial et oppresseur qui s'efforçait de nier l'identité du peuple nègre, sa culture, son mode d'existence...
La poésie de Damas reste très actuelle, il offre à son œuvre une portée universelle et il nous arrive de penser aux portraits satiriques de Prévert ou de Vian, raillant le conditionnement de toute enfance.
Au service de cette critique, sa poésie directe, frémissante et pleine d'humour touche jusqu’à présent tous ceux qui ont eu l’occasion de s’aventurer dans son univers.
Pour conclure, je dirai qu’il serait dommage de laisser tomber dans l’oubli ces écrivains qui ont eu à cœur de défendre leur culture et leur peuple envers contre tous. Chacun divergeant par l’affirmation personnelle de leur capacité à traduire les maux des sociétés. Je trouve bien évidement que dans nos écoles martiniquaises mais aussi françaises, l’ignorance de ce concept littéraire est honteuse. Je souhaiterai ne plus entendre ma fille se plaindre de la méprisante inculture de ses compagnons de camps d’été vis-à-vis de l’histoire des peuples noirs. Je souhaiterai aussi, que Senghor, Césaire, Damas, Confiant, Chamoiseau, Glissant et les autres soient lus entendus, écoutés, étudiés au même prix que Voltaire, Diderot, Homère et Cie, car ils le méritent de par leur apport à la littérature française et de leur influence humaniste.
Je vous remercie.
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