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Des écritures au féminin

Publié le 30/11/2011

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« Connaissance de l'Orient «, chez Gallimard, publie les OEuvres poétiques complètes de Li Qingzhao, Li Ts'ing-tchao dans l'ancienne translittération. Cette poètesse chinoise, née en 1081, n'a rien raconté que son amour. C'est le seul thème de ses poèmes. Elle y raconte avec Zhao Ming-cheng, amateur d'objets d'art auxquels il a consacré de longues et savantes études. Mais le bonheur, comme la vie et l'amour sont brefs. Li est veuve; les Mandchous envahissent la Chine, détruisent les collections patiemment réunis par son mari et le reste de sa vie se passe à se rappeler sa jeunesse et à méditer sur la gravité de ce qui est, de ce qui fut et de ce qui n'est plus. La voix, à travers la traduction, reste troublante, merveilleusement pure. C'est une voix de femme attachée à ses souvenirs et à leur douceur mélancolique.

« nie l'épaisseur de l'espace, comme la durée du temps et installe l'esprit dans une autre dimension, qui est celle de la spiritualité.

Le Dit du Genji est de cet ordre.

Les histoires de reîtres qu'on y trouve, comme les plaisirs de l'amour, avec les délices de la souffrance qui en constituent comme la trame, n'ont de signification que dans un contexte boud­ dhique, celui de la répétition du mal dans.!~ répé~~­ tion des passions.

Le corps, avec les pla1s1rs qu li donne, est aussi porteur de douleur .

La passion enracine l'esprit dans le mal.

Il n'y a pas de satis­ faction vraie dans l'amour qui en réclame toujours davantage, qui se détruit toujours lui-même et ne se plaît qu'à la souffrance, celle qui naît de la trahi­ son, de la jalousie ou de l'absence.

Ce gros livre apparaît alors, au terme de la lecture, comme une réflexion sur la condition humaine, beaucoup plus que comme une épopée guerrière et érotique.

La morale de l'histoire est assez déprimante que sym­ bolise un autre thème, celui de l'eau qui s'en va en emportant tout avec elle dans une éternité qu'on imagine pas.

L'homme appartient, dirait-on, au temps, qui est action, la femme, celle de la société nippone de l'an mil, à l'intemporel.

Le même thème sera développé par le théâtre nô qui mettra, comme le kabuki, au xvm• siècle, l'accent sur la présence de la mort dans l'amour.

L'amour encore, et son ombre, sont au centre des Carnets intimes d'Anna Gregorievna qui vien­ nent d'être publiés aux éditions Stock par Jean­ Claude Lanne.

Anna Gregorievna fut la seconde femme de Dostoïevski, avec qui elle alla vivre à Genève en 1867.

Là aussi, c'est l'attente.

Il ne semble pas que la vie avec le romancier fut une joie quotidienne: d'abord parce que l'argent man~uait au ménage et que Fiodor, qu'Anna appelle Fedia, était souvent contraint d'aller déposer des vête­ ments chez un fripier ou son anneau de mariage au Mont-de-Piété, pour pouvoir se nourrir avec sa femme.

Dostoïevski a des crises d'épilepsie, l'al­ cool lui donne des crises de démence; un jour, sous l'effet de la colère, il tord jusqu'à le rompre, le bras de sa femme.

Elle, pour faire · vivre le ménage, compte tout et le raconte.

Si elle trouve une bobine de fil moins chère qu'une autre, elle est heureuse et pense devoir en faire la mention.

Pendant ce temps, l'écrivain, qui a la passion du jeu, va perdre tout l'argent du ménage dans des casinos où, à l'enten­ dre, il a fait fortune dix fois par soir avant de tout perdre.

L'auteur de Crime et châtiment manquait singulièrement d'imagination quand il voulait se faire pardonner ses escapades.

Ce qu'il y a de tra­ gique et d'émouvant dans ce texte, c'est, non la soumission de cette femme, mais son amour pour son mari qu'elle a épousé à vingt ans, l'année pré­ cédente, dont elle attend tin enfant, qui ne vivra d'ailleurs pas.

Entre deux notes à payer et deux · courses à la poste, pour aller voir si le courrier de Moscou il apporté quelques roubles, elle a besoin de se rappeler sa rencontre avec son mari et cette passion simultanée qui en est résultée.

Elle était sténographe et avait été envoyée chez Dostoïevski par son professeur pour travailler auprès de lui.

Il l'aima et elle l'aima immédiatement.

Leur mariage eut lieu rapidement.

Ils ne s'étaient presque rien dit.

Il avait suffi de deux regards.

Fédor avait le double de l'âge d'Anna Gregorievna.

De temps en temps, elle note : « Nous avons écrit quelques pages "· Il s'agit de l'Idiot.

Cette grisaille n'est éclairée que par une passion dont on mesure vite ce qu'elle a d'insupportable puisqu'elle est faite de misère et parfois de violence endurées.

Dostoïevski n'était pas méchant ; il n'était que misérable, lui-aussi et incapable de réaction.

Avec Anaïs Nin, on retrouve un univers parallèle à celui de ces femmes.

Etre une femme et autres essais que publie Béatrice Commangé chez Stock s'engage aussi dans l'envers d'un miroir que les hommes ont, généralement, du mal à traverser, parce qu'ils s'y regardent, mais n'y voient pas tou­ jours l'image d'autrui, celle de la femme, qui est pourtant, dans la plupart des cas, la femme qu'ils aiment.

Anaïs Nin a pratiqué en profondeur, ce qu'on appelait autrefois l'introspection, cette curio­ sité de soi-même qu'elle compare, dans cette série d'articles à un puits où elle aurait eu le courage ou l'audace de descendre jusqu'à en éprouver, à un moment, la nausée, à un autre, l'impression d'étouffement, comme il arrive dans les entrailles de la terre.

Ce qu'il y a de remarquable dans cette exercice spirituel où l'écrivain veut s'atteindre lui­ même dans la lucidité la plus totale, c'est que l'en­ quête aboutit toujours aux autres.

On n'est soi­ même qu'en se rencontrant avec ses semblables.

Anais Nin a trouvé sa liberté dans ceux qu'elle a rencontrés.

Ce jeu dialectique, ce dialogue sont une aventure.

Et cette aventure se confond avec un regard qui se confond lui-même avec l'écriture.

Le regard n'est-il pas une manière personnelle d'appré­ hender le réel et le réel n'est-il pas un reflet de ce qu'on croit, de ce qu'on crut, de ce qu'on attend.

L'autre et l'ailleurs sont là, avec l'impossible ; l'in­ temporel, et, peut-être, la vérité.

Anais Nin joue au jeu de la vérité, qui est celui du mensonge.

« Je crois, dit-elle, qu'on écrit pour créer un monde dans lequel on puisse vivre "· Cette exilée, dans une famille que le père avait abandonnée, voulait se découvrir en se racontant.

Elle aurait voulu, sinon être homme, être une inspiratrice.

Ce qui ne fut pas.

Alors, elle comprit qu'elle était une femme ; et elle devint femme.

Le féminisme, ou ce qu'on appelle ainsi, nous rebat un peu les oreilles de ce genre de déclaration ; mais le féminisme d'Anais Nin n'était pas installé dans « l'établissement" ; il était un sursaut, une réaction, une volonté et une victoire.

Elle sut que, femme, elle allait écrire l'his­ toire de sa condition de femme.

Ce n'est peut-être pas très neuf, et on pourrait retrouver certains de ses cris et certaines de ses revendications dans toute la littérature féminine depuis des millénaires, à travers Sapho ou Louise Labbé, Madame de Scu- .

déry ou George Sand, pour ne nommer que celles­ là ; mais ce qu'elle dit, elle le proclame avec la voix des femmes de ce siècle, et elle va à son but, et elle touche.

Le féminisme peut énerver; Anaïs Nin va au cœur.. »

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