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D'ailleurs, on le sait, la correspondance ne se faisait qu'en langage chiffré, et par une méthode qui, si elle exigeait le secret, donnait du moins une sécurité absolue.

Publié le 01/11/2013

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langage
D'ailleurs, on le sait, la correspondance ne se faisait qu'en langage chiffré, et par une méthode qui, si elle exigeait le secret, donnait du moins une sécurité absolue. Trois jours après l'arrivée du pigeon voyageur dont le billet avait été intercepté par Sarcany, le 21 mai vers huit heures du soir, Ladislas Zathmar et Étienne Bathory se trouvaient tous les deux dans le cabinet de travail, en attendant le retour de Mathias Sandorf. Ses affaires personnelles avaient récemment obligé le comte à retourner en Transylvanie et jusqu'à son château d'Artenak ; mais il avait pu profiter de ce voyage pour conférer avec ses amis de Klausenbourg, capitale de la province, et il devait revenir ce jour-même, après leur avoir communiqué le contenu de cette dépêche, dont Sarcany avait conservé le double. Depuis le départ du comte Sandorf, d'autres correspondances avaient été échangées entre Trieste et Bude, et plusieurs billets chiffrés étaient arrivés par pigeons. En ce moment même, Ladislas Zathmar s'occupait à rétablir leur texte cryptogrammatique en texte clair, au moyen de cet appareil qui est connu sous le nom de « grille. « En effet, ces dépêches étaient combinées d'après une très simple méthode, - celle de la transposition des lettres. Dans ce système, chaque lettre conserve sa valeur alphabétique, c'est-à-dire qu'un b signifie b, qu'un o signifie o, etc. Mais les lettres sont successivement transposées, suivant les pleins ou les vides d'une grille, qui, appliquée sur la dépêche, ne laisse apparaître les lettres que dans l'ordre où il faut les lire, en cachant les autres. Ces grilles, d'un si vieil usage, maintenant très perfectionnées d'après le système du colonel Fleissner, paraissent encore être le meilleur procédé et le plus sûr, quand il s'agit d'obtenir un cryptogramme indéchiffrable. Dans toutes les autres méthodes par interversion, - soit systèmes à base invariable ou à simple clef, dans lesquels chaque lettre de l'alphabet est toujours représentée par une même lettre ou un même signe, - soit systèmes à base variable ou à double clef, dans lesquels on change d'alphabet à chaque lettre, - la sécurité n'est pas complète. Certains déchiffreurs exercés sont capables de faire des prodiges dans ce genre de recherches, en opérant, ou par un calcul de probabilités, ou par un travail de tâtonnements. Rien qu'en se basant sur les lettres que leur emploi plus fréquent fait répéter un plus grand nombre de fois dans le cryptogramme, - e dans les langues française, anglaise et allemande, o en espagnol, a en russe, e et i en italien, - ils parviennent à restituer aux lettres du texte cryptographié la signification qu'elles ont dans le texte clair. Aussi est-il peu de dépêches, établies d'après ces méthodes, qui puissent résister à leurs sagaces déductions. Il semble donc que les grilles ou les dictionnaires chiffrés, - c'est-à-dire ceux dans lesquels certains mots usuels représentant des phrases toutes faites sont indiqués par des nombres, - doivent donner les plus parfaites garanties d'indéchiffrabilité. Mais ces deux systèmes ont un assez grave inconvénient : ils exigent un secret absolu, ou plutôt l'obligation où l'on est de ne jamais laisser tomber entre des mains étrangères les appareils ou livres qui servent à les former. En effet, sans la grille ou le dictionnaire, si l'on ne peut arriver à lire ces dépêches, tout le monde les lira, au contraire, si le dictionnaire ou la grille ont été dérobés. C'était donc au moyen d'une grille, c'est-à-dire un découpage en carton, troué à de certaines places, que les correspondances du comte Sandorf et de ses partisans étaient composées ; mais, par surcroît de précautions, au cas même où les grilles dont ses amis et lui se servaient eussent été perdues ou volées, il n'en serait résulté aucun inconvénient, car, de part et d'autre, toute dépêche, dès qu'elle avait été lue, était immédiatement détruite. Donc, il ne devait jamais rester trace de ce complot, dans lequel les plus nobles seigneurs, les magnats de la Hongrie, unis aux représentants de la bourgeoisie et du peuple, allaient jouer leur tête. Précisément, Ladislas Zathmar venait de brûler les dernières dépêches, lorsque l'on frappa discrètement à la porte du cabinet. C'était Borik, qui introduisait le comte Mathias Sandorf, venu à pied de la gare voisine. Ladislas Zathmar alla aussitôt à lui : « Votre voyage, Mathias ?... demanda-t-il avec l'empressement d'un homme qui veut être rassuré tout d'abord. - Il a réussi, Zathmar, répondit le comte Sandorf. Je ne pouvais douter des sentiments de mes amis de la Transylvanie, et nous sommes assurés de leur concours. - Tu leur as communiqué cette dépêche qui nous est arrivée de Pesth, il y a trois jours ? reprit Étienne Bathory, dont l'intimité avec le comte Sandorf allait jusqu'au tutoiement. - Oui, Étienne, répondit Mathias Sandorf, oui, ils sont prévenus. Eux aussi sont prêts ! Ils se lèveront au premier signal. En deux heures, nous serons maîtres de Bude et de Pesth, en une demi-journée des principaux comitats en deçà et au-delà de la Theiss, en une journée de la Transylvanie et du gouvernement des Limites militaires. Et alors huit millions de Hongrois auront reconquis leur indépendance ! - Et la diète ? demanda Bathory. - Nos partisans y sont en majorité, répondit Mathias Sandorf. Ils formeront aussitôt le nouveau gouvernement, qui prendra la direction des affaires. Tout ira régulièrement et facilement, puisque les comitats, en ce qui concerne leur administration, dépendent à peine de la Couronne, et que leurs chefs ont la police à eux. - Mais le conseil de la Lieutenance du royaume que le palatin préside à Bude... reprit Ladislas Zathmar. - Le palatin et le conseil de Bude seront aussitôt mis dans l'impossibilité d'agir... - Et dans l'impossibilité de correspondre avec la chancellerie de Hongrie, à Vienne ? - Oui ! toutes nos mesures sont prises pour que la simultanéité de nos mouvements en assure le succès. - Le succès ! reprit Étienne Bathory. - Oui, le succès ! répondit le comte Sandorf. Dans l'armée, tout ce qui est de notre sang, du sang hongrois, est à nous et pour nous ! Quel est le descendant des anciens Magyars, dont le coeur ne battrait pas à la vue du drapeau des Rodolphe et des Corvin ! « Et Mathias Sandorf prononça ces mots avec l'accent du plus noble patriotisme. « Mais jusque-là, reprit-il, ne négligeons rien pour écarter tout soupçon ! Soyons prudents, nous n'en serons que plus forts ! - Vous n'avez rien entendu dire de suspect à Trieste ? - Non, répondit Ladislas Zathmar. On s'y préoccupe surtout des travaux que l'État fait exécuter à Pola, et pour lesquels la plus grande partie des ouvriers a été embauchée. « En effet, depuis une quinzaine d'années, le gouvernement autrichien, en prévision d'une perte possible de la Vénétie, - perte qui s'est réalisée, - avait eu l'idée de fonder à Pola, à l'extrémité méridionale de la péninsule istrienne, d'immenses arsenaux et un port de guerre, pour commander tout ce fond de l'Adriatique. Malgré les protestations de Trieste, dont ce projet diminuait l'importance maritime, les travaux avaient été poursuivis avec une fiévreuse ardeur. Mathias Sandorf et ses amis pouvaient donc penser que les Triestains seraient disposés à les suivre, dans le cas où le mouvement séparatiste se propagerait jusqu'à eux. Quoi qu'il en fût, le secret de cette conspiration en faveur de l'autonomie hongroise avait été bien gardé. Rien n'aurait pu faire soupçonner à la police que les principaux conjurés fussent alors réunis dans cette modeste maison de l'avenue d'Acquedotto. Ainsi donc, pour la réussite de cette entreprise, il semblait que tout eût été prévu, et qu'il n'y avait plus qu'à attendre le moment précis pour agir. La correspondance chiffrée, échangée entre Trieste et les principales villes de la Hongrie et de la Transylvanie, allait devenir très rare ou même nulle, à moins d'événements improbables. Les oiseaux voyageurs n'auraient plus aucune dépêche à porter désormais, puisque les dernières mesures avaient été arrêtées. Aussi, par excès de précaution, avait-on pris le parti de leur fermer le refuge de la maison de Ladislas Zathmar. Il faut ajouter, d'autre part, que si l'argent est le nerf de la guerre, il est aussi celui des
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« « Votre voyage, Mathias ?… demanda-t-il avecl’empressement d’unhomme quiveut être rassuré toutd’abord. – Il aréussi, Zathmar, réponditlecomte Sandorf.

Jene pouvais douterdessentiments demes amis delaTransylvanie, etnous sommes assurésdeleur concours. – Tu leurascommuniqué cettedépêche quinous estarrivée dePesth, ilya trois jours ? reprit Étienne Bathory, dontl’intimité aveclecomte Sandorf allaitjusqu’au tutoiement. – Oui, Étienne, répondit MathiasSandorf, oui,ilssont prévenus.

Euxaussi sontprêts ! Ilsse lèveront aupremier signal.Endeux heures, nousserons maîtres deBude etde Pesth, enune demi-journée desprincipaux comitatsendeçà etau-delà delaTheiss, enune journée dela Transylvanie etdu gouvernement desLimites militaires.

Etalors huitmillions deHongrois auront reconquis leurindépendance ! – Et ladiète ? demanda Bathory. – Nos partisans ysont enmajorité, réponditMathiasSandorf.

Ilsformeront aussitôtlenouveau gouvernement, quiprendra ladirection desaffaires.

Toutirarégulièrement etfacilement, puisque lescomitats, encequi concerne leuradministration, dépendentàpeine dela Couronne, etque leurs chefs ontlapolice àeux. – Mais leconseil delaLieutenance duroyaume quelepalatin préside àBude… repritLadislas Zathmar.

– Le palatin etleconseil deBude seront aussitôt misdans l’impossibilité d’agir… – Et dans l’impossibilité decorrespondre aveclachancellerie deHongrie, àVienne ? – Oui ! toutesnosmesures sontprises pourquelasimultanéité denos mouvements enassure le succès. – Le succès ! repritÉtienne Bathory. – Oui, lesuccès ! répondit lecomte Sandorf.

Dansl’armée, toutcequi estdenotre sang,du sang hongrois, estànous etpour nous ! Quelestledescendant desanciens Magyars, dontle cœur nebattrait pasàla vue dudrapeau desRodolphe etdes Corvin ! » Et Mathias Sandorfprononça cesmots avecl’accent duplus noble patriotisme. « Mais jusque-là, reprit-il,nenégligeons rienpour écarter toutsoupçon ! Soyonsprudents, nous n’enserons queplus forts ! –Vous n’avez rienentendu diredesuspect àTrieste ? – Non, répondit LadislasZathmar.

Ons’ypréoccupe surtoutdestravaux quel’État faitexécuter à Pola, etpour lesquels laplus grande partiedesouvriers aété embauchée. » En effet, depuis unequinzaine d’années, legouvernement autrichien,enprévision d’uneperte possible delaVénétie, –perte quis’est réalisée, –avait eul’idée defonder àPola, àl’extrémité méridionale delapéninsule istrienne,d’immenses arsenauxetun port deguerre, pour commander toutcefond del’Adriatique.

Malgrélesprotestations deTrieste, dontceprojet diminuait l’importance maritime,lestravaux avaientétépoursuivis avecunefiévreuse ardeur. Mathias Sandorfetses amis pouvaient doncpenser quelesTriestains seraientdisposés àles suivre, danslecas oùlemouvement séparatistesepropagerait jusqu’àeux. Quoi qu’ilenfût, lesecret decette conspiration enfaveur del’autonomie hongroiseavaitété bien gardé.

Rienn’aurait pufaire soupçonner àla police quelesprincipaux conjurésfussent alors réunis danscette modeste maisondel’avenue d’Acquedotto. Ainsi donc, pourlaréussite decette entreprise, ilsemblait quetout eûtétéprévu, etqu’il n’y avait plusqu’à attendre lemoment précispouragir.Lacorrespondance chiffrée,échangée entre Trieste etles principales villesdelaHongrie etde laTransylvanie, allaitdevenir trèsrare ou même nulle,àmoins d’événements improbables.Lesoiseaux voyageurs n’auraient plus aucune dépêche àporter désormais, puisquelesdernières mesuresavaientétéarrêtées.

Aussi, par excès deprécaution, avait-onprisleparti deleur fermer lerefuge delamaison deLadislas Zathmar.

Il faut ajouter, d’autrepart,quesil’argent estlenerf delaguerre, ilest aussi celuides. »

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