CRITIQUE DE L'ARGUMENT ONTOLOGIQUE (Critique de la Raison pure, Dialectique transcendentale) - KANT
Publié le 05/02/2011
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Cent thalers réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles. Car, comme les thalers possibles expriment le concept, et les thalers réels l'objet et sa position en lui-même, si celui-ci contenait plus que celui-là, mon concept n'exprimerait plus l'objet tout entier, et par conséquent il n'y serait plus conforme. Mais je suis plus riche avec cent thalers réels que si je n'en ai que l'idée (c'est-à-dire s'ils sont simplement possibles). En effet l'objet en réalité n'est pas simplement contenu d'une manière analytique dans mon concept, mais il ajoute synthétiquement à mon concept (qui est une détermination de mon état), sans que les cent thalers conçus soient eux-mêmes le moins du monde augmentés par cet être placé en dehors de mon concept. Quand donc je conçois une chose, quels que soient et si nombreux que soient les prédicats au moyen desquels je la conçois (même en la déterminant complètement), par cela seul que j'ajoute que cette chose existe, je n'ajoute absolument rien à la chose. Autrement il n'existerait plus la même chose, mais quelque chose de plus que je n'ai pensé dans le concept, et je ne pourrais plus dire que c'est exactement l'objet de mon concept qui existe. Si dans une chose je conçois toute réalité, à l'exception d'une seule, parce que je dis que cette chose défectueuse existe, la réalité qui lui manque ne s'y ajoute pas pour cela ; mais elle existe précisément aussi défectueuse que je l'ai conçue, autrement il existerait quelque autre chose que ce que j'ai conçu. Si donc je conçois un être comme la suprême réalité (sans défaut), il reste toujours à savoir si cet être existe ou non. En effet, bien qu'à mon concept il ne manque rien du contenu réel possible d'une chose en général, il manque cependant encore quelque chose au rapport à tout mon état intellectuel, à savoir que la connaissance d'un objet soit possible aussi à posteriori. Et ici se montre la cause de la difficulté qui règne sur ce point. S'il s'agissait d'un objet des sens, je ne pourrais pas confondre l'existence de la chose avec le simple concept de la chose. En effet, le concept ne me fait concevoir l'objet que comme conforme aux conditions universelles d'une connaissance empirique possible en général, tandis que l'existence me le fait concevoir comme compris dans le contexte de toute l'expérience ; et, si le concept de l'objet n'est nullement augmenté par sa liaison avec le contenu de toute l'expérience, notre pensée en reçoit de plus une perception possible. Si au contraire nous voulons penser l'existence par le seul moyen de la pure catégorie, il n'est pas étonnant que nous ne puissions indiquer aucun critérium qui serve à la distinguer de la simple possibilité. Quelle que soit la nature et l'étendue du contenu de notre concept d'un objet, nous sommes obligés de sortir de ce concept pour lui attribuer l'existence. A l'égard des objets des sens le passage se fait au moyen de l'enchaînement qui rattache le concept à quelqu'une de mes perceptions suivant les lois empiriques ; mais pour les objets de la pensée pure il n'y a aucun moyen de reconnaître leur existence, puisqu'il faudrait la reconnaître tout à fait à priori, mais que notre conscience de toute existence (qu'elle résulte soit immédiatement de la perception, soit de raisonnements qui rattachent quelque chose à la perception) appartient entièrement à l'unité de l'expérience, et que, si une existence hors de ce champ ne doit pas être tenue pour absolument impossible, elle n'en est pas moins une supposition que rien ne peut justifier. Le concept d'un être suprême est une idée très utile à beaucoup d'égards mais, précisément parce qu'il n'est qu'une idée, il est tout à fait incapable d'étendre à lui seul notre connaissance par rapport à ce qui existe. Il ne peut même pas nous instruire davantage relativement à la possibilité. Le caractère analytique de la possibilité, qui consiste en ce que de simples positions (des réalités) n'engendrent pas de contradiction, ne peut pas sans doute lui être contesté ; mais, comme la liaison de toutes les propriétés réelles en une chose est une synthèse dont nous ne pouvons juger a priori la possibilité, puisque les réalités ne nous sont pas données spécifiquement et que, quand même cela arriverait, il n'en résulterait aucun jugement, le caractère de la possibilité des connaissances synthétiques devant toujours être cherché dans l'expérience, à laquelle l'objet d'une idée ne peut appartenir, il s'en faut de beaucoup que l'illustre Leibniz ait fait ce dont il se flattait, c'est-à-dire qu'il soit parvenu à connaître à priori la possibilité d'un être idéal aussi élevé. Cette preuve ontologique (cartésienne) si vantée, qui prétend démontrer par des concepts l'existence d'un être suprême, perd donc toute sa peine, et l'on ne deviendra pas plus riche en connaissances avec de simples idées qu'un marchand ne le deviendrait en argent, si dans la pensée d'augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à son livre de caisse.
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