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Contes d'une grand-mere --Qui sait?

Publié le 11/04/2014

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Contes d'une grand-mere --Qui sait? Peut-être! peut-être! Un jour, Elsie lui demanda si elle disait sérieusement une pareille chose, et miss Barbara répéta d'un air malin: --Peut-être, ma chère enfant, peut-être! Il n'en fallut pas davantage pour exciter la curiosité d'Elsie; elle ne croyait plus aux fées, car elle était déjà grandelette, elle avait bien douze ans. Mais elle regrettait fort de n'y plus croire, et il n'eût pas fallu la prier beaucoup pour qu'elle y crût encore. Le fait est que miss Barbara avait d'étranges habitudes. Elle ne mangeait presque rien et ne dormait presque pas. On n'était même pas bien certain qu'elle dormît, car on n'avait jamais vu son lit défait. Elle disait qu'elle le refaisait, elle-même chaque jour, de grand matin, en s'éveillant, parce qu'elle ne pouvait dormir que dans un lit dressé à sa guise. Le soir, aussitôt qu'Elsie quittait le salon en compagnie de sa bonne qui couchait auprès d'elle, miss Barbara se retirait avec empressement dans le pavillon qu'elle avait choisi et demandé pour logement, et on assurait qu'on y voyait de la lumière jusqu'au jour. On prétendait même que, la nuit, elle se promenait avec une petite lanterne en parlant tout haut avec des êtres invisibles. La bonne d'Elsie en disait tant, qu'un beau soir, Elsie éprouva un irrésistible désir de savoir ce qui se passait chez sa gouvernante et de surprendre les mystères du pavillon. Mais comment oser aller la nuit dans un pareil endroit? Il fallait faire au moins deux cents pas à travers un massif de lilas que couvrait un grand cèdre, suivre sous ce double ombrage une allée étroite, sinueuse et toute noire! --Jamais, pensa Elsie, je n'aurai ce courage-là. Les sots propos des bonnes l'avaient rendue peureuse. Aussi ne s'y hasarda-t-elle pas. Mais elle se risqua pourtant le lendemain à questionner Barbara sur l'emploi de ses longues veillées. --Je m'occupe, répondit tranquillement la fée aux gros yeux. Ma journée entière vous est consacrée; le soir m'appartient. Je l'emploie à travailler pour mon compte. --Vous ne savez donc pas tout, que vous étudiez toujours? --Plus on étudie, mieux on voit qu'on ne sait rien encore. --Mais qu'est-ce que vous étudiez donc tant? Le latin? le grec? --Je sais le grec et le latin. C'est autre chose qui m'occupe. --Quoi donc? Vous ne voulez pas le dire? --Je regarde ce que moi seule je peux voir. --Vous voyez quoi? --Permettez-moi de ne pas vous le dire; vous voudriez le voir aussi, et vous ne pourriez pas ou vous le verriez mal, ce qui serait un chagrin pour vous. --C'est donc bien beau, ce que vous voyez? LA FÉE AUX GROS YEUX 71 Contes d'une grand-mere --Plus beau que tout ce que vous avez vu et verrez jamais de beau dans vos rêves. --Ma chère miss Barbara, faites-le-moi voir, je vous en supplie! --Non, mon enfant, jamais! Cela ne dépend pas de moi. --Eh bien, je le verrai! s'écria Elsie dépitée. J'irai la nuit chez vous, et vous ne me mettrez pas dehors. --Je ne crains pas votre visite. Vous n'oseriez jamais venir! --Il faut donc du courage pour assister à vos sabbats? --Il faut de la patience et vous en manquez absolument. Elsie prit de l'humeur et parla d'autre chose. Puis elle revint à la charge et tourmenta si bien la fée, que celle-ci promit de la conduire le soir à son pavillon, mais en l'avertissant qu'elle ne verrait rien ou ne comprendrait rien à ce qu'elle verrait. Voir! voir quelque chose de nouveau, d'inconnu, quelle soif, quelle émotion pour une petite fille curieuse! Elsie n'eut pas d'appétit à dîner, elle bondissait involontairement sur sa chaise, elle comptait les heures, les minutes. Enfin, après les occupations de la soirée, elle obtint de sa mère la permission de se rendre au pavillon avec sa gouvernante. A peine étaient-elles dans le jardin qu'elles firent une rencontre dont miss Barbara parut fort émue. C'était pourtant un homme d'apparence très-inoffensive que M. Bat, le précepteur des frères d'Elsie. Il n'était pas beau: maigre, très-brun, les oreilles et le nez pointus, et toujours vêtu de noir de la tête aux pieds, avec des habits à longues basques, très-pointues aussi. Il était timide, craintif même; hors de ses leçons, il disparaissait comme s'il eût éprouvé le besoin de se cacher. Il ne parlait jamais à table, et le soir, en attendant l'heure de présider au coucher de ses élèves, il se promenait en rond sur la terrasse du jardin, ce qui ne faisait de mal à personne, mais paraissait être l'indice d'une tête sans réflexion livrée à une oisiveté stupide. Miss Barbara n'en jugeait pas ainsi. Elle avait M. Bat en horreur, d'abord à cause de son nom qui signifie chauve-souris en anglais. Elle prétendait que, quand on a le malheur de porter un pareil nom, il faut s'expatrier afin de pouvoir s'en attribuer un autre en pays étranger. Et puis elle avait toute sorte de préventions contre lui, elle lui en voulait d'être de bon appétit, elle le croyait vorace et cruel. Elle assurait que ses bizarres promenades en rond dénotaient les plus funestes inclinations et cachaient les plus sinistres desseins. Aussi, lorsqu'elle le vit sur la terrasse, elle frissonna. Elsie sentit trembler son bras auquel le sien s'était accroché. Qu'y avait-il de surprenant à ce que M. Bat, qui aimait le grand air, fût dehors jusqu'au moment de la retraite de ses élèves, qui se couchaient plus tard qu'Elsie, la plus jeune des trois? Miss Barbara n'en fut pas moins scandalisée, et, en passant près de lui, elle ne put se retenir de lui dire d'un ton sec: --Est-ce que vous comptez rester là toute la nuit? M. Bat fit un mouvement pour s'enfuir; mais, craignant d'être impoli, il s'efforça pour répondre et répondit sous forme de question: --Est-ce que ma présence gêne quelqu'un, et désire-t-on que je rentre? --Je n'ai pas d'ordres à vous donner, reprit Barbara avec aigreur, mais il m'est permis de croire que vous seriez mieux au parloir avec la famille. LA FÉE AUX GROS YEUX 72

« —Plus beau que tout ce que vous avez vu et verrez jamais de beau dans vos rêves. —Ma chère miss Barbara, faites-le-moi voir, je vous en supplie! —Non, mon enfant, jamais! Cela ne dépend pas de moi. —Eh bien, je le verrai! s'écria Elsie dépitée.

J'irai la nuit chez vous, et vous ne me mettrez pas dehors. —Je ne crains pas votre visite.

Vous n'oseriez jamais venir! —Il faut donc du courage pour assister à vos sabbats? —Il faut de la patience et vous en manquez absolument. Elsie prit de l'humeur et parla d'autre chose.

Puis elle revint à la charge et tourmenta si bien la fée, que celle-ci promit de la conduire le soir à son pavillon, mais en l'avertissant qu'elle ne verrait rien ou ne comprendrait rien à ce qu'elle verrait. Voir! voir quelque chose de nouveau, d'inconnu, quelle soif, quelle émotion pour une petite fille curieuse! Elsie n'eut pas d'appétit à dîner, elle bondissait involontairement sur sa chaise, elle comptait les heures, les minutes.

Enfin, après les occupations de la soirée, elle obtint de sa mère la permission de se rendre au pavillon avec sa gouvernante. A peine étaient-elles dans le jardin qu'elles firent une rencontre dont miss Barbara parut fort émue.

C'était pourtant un homme d'apparence très-inoffensive que M.

Bat, le précepteur des frères d'Elsie.

Il n'était pas beau: maigre, très-brun, les oreilles et le nez pointus, et toujours vêtu de noir de la tête aux pieds, avec des habits à longues basques, très-pointues aussi.

Il était timide, craintif même; hors de ses leçons, il disparaissait comme s'il eût éprouvé le besoin de se cacher.

Il ne parlait jamais à table, et le soir, en attendant l'heure de présider au coucher de ses élèves, il se promenait en rond sur la terrasse du jardin, ce qui ne faisait de mal à personne, mais paraissait être l'indice d'une tête sans réflexion livrée à une oisiveté stupide.

Miss Barbara n'en jugeait pas ainsi.

Elle avait M.

Bat en horreur, d'abord à cause de son nom qui signifie chauve-souris en anglais.

Elle prétendait que, quand on a le malheur de porter un pareil nom, il faut s'expatrier afin de pouvoir s'en attribuer un autre en pays étranger.

Et puis elle avait toute sorte de préventions contre lui, elle lui en voulait d'être de bon appétit, elle le croyait vorace et cruel.

Elle assurait que ses bizarres promenades en rond dénotaient les plus funestes inclinations et cachaient les plus sinistres desseins. Aussi, lorsqu'elle le vit sur la terrasse, elle frissonna.

Elsie sentit trembler son bras auquel le sien s'était accroché.

Qu'y avait-il de surprenant à ce que M.

Bat, qui aimait le grand air, fût dehors jusqu'au moment de la retraite de ses élèves, qui se couchaient plus tard qu'Elsie, la plus jeune des trois? Miss Barbara n'en fut pas moins scandalisée, et, en passant près de lui, elle ne put se retenir de lui dire d'un ton sec: —Est-ce que vous comptez rester là toute la nuit? M.

Bat fit un mouvement pour s'enfuir; mais, craignant d'être impoli, il s'efforça pour répondre et répondit sous forme de question: —Est-ce que ma présence gêne quelqu'un, et désire-t-on que je rentre? —Je n'ai pas d'ordres à vous donner, reprit Barbara avec aigreur, mais il m'est permis de croire que vous seriez mieux au parloir avec la famille.

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