Contes de la bécasse l'amour vrai, le grand amour, ne pouvait
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
chaises !" on se mettait à tortiller la paille, face à face ou côte à côte.
Quand l'enfant allait trop loin ou tentait
d'entrer en relation avec quelque galopin du village, la voix colère du père la rappelait : "Veux-tu bien
revenir ici, crapule !"
C'étaient les seuls mots de tendresse qu'elle entendait.
"Quand elle devint plus grande, on l'envoya faire la récolte des fonds de sièges avariés.
Alors elle ébaucha
quelques connaissances de place en place avec les gamins ; mais c'étaient alors les parents de ses nouveaux
amis qui rappelaient brutalement leurs enfants : "Veux-tu bien venir ici, polisson ! Que je te voie causer avec
les va-nu-pieds !..."
"Souvent les petits gars lui jetaient des pierres.
"Des dames lui ayant donné quelques sous, elle les garda soigneusement.
"Un jour\24\24elle avait alors onze ans\24\24comme elle passait par ce pays, elle rencontra derrière le cimetière le
petit Chouquet qui pleurait parce qu'un camarade lui avait volé deux liards.
Ces larmes d'un petit bourgeois,
d'un de ces petits qu'elle s'imaginait, dans sa frêle caboche de déshéritée, être toujours contents et joyeux, la
bouleversèrent.
Elle s'approcha, et, quand elle connut la raison de sa peine, elle versa entre ses mains toutes
ses économies, sept sous, qu'il prit naturellement, en essuyant ses larmes.
Alors, folle de joie, elle eut l'audace
de l'embrasser.
Comme il considérait attentivement sa monnaie, il se laissa faire.
Ne se voyant ni repoussée,
ni battue, elle recommença ; elle l'embrassa à pleins bras, à plein coeur.
Puis elle se sauva.
"Que se passa-t-il dans cette misérable tête ? S'est-elle attachée à ce mioche parce qu'elle lui avait sacrifié sa
fortune de vagabonde, ou parce qu'elle lui avait donné son premier baiser tendre ? Le mystère est le même
pour les petits que pour les grands.
"Pendant des mois, elle rêva de ce coin de cimetière et de ce gamin.
Dans l'espérance de le revoir elle vola ses
parents, grappillant un sou par-ci, un sou par-là, sur un rempaillage, ou sur les provisions qu'elle allait
acheter.
"Quand elle revint, elle avait deux francs dans sa poche, mais elle ne put qu'apercevoir le petit pharmacien,
bien propre, derrière les carreaux de la boutique paternelle, entre un bocal rouge et un ténia.
"Elle ne l'en aima que davantage, séduite, émue, extasiée par cette gloire de l'eau colorée, cette apothéose des
cristaux luisants.
"Elle garda en elle son souvenir ineffaçable, et, quand elle le rencontra, l'an suivant, derrière l'école, jouant
aux billes avec ses camarades, elle se jeta sur lui, le saisit dans ses bras, et le baisa avec tant de violence qu'il
se mit à hurler de peur.
Alors, pour l'apaiser, elle lui donna son argent : trois francs vingt, un vrai trésor, qu'il
regardait avec des yeux agrandis.
"Il le prit et se laissa caresser tant qu'elle voulut.
"Pendant quatre ans encore, elle versa entre ses mains toutes ses réserves, qu'il empochait avec conscience en
échange de baisers consentis.
Ce fut une fois trente sous, une fois deux francs, une fois douze sous (elle en
pleura de peine et d'humiliation, mais l'année avait été mauvaise) et la dernière fois, cinq francs, une grosse
pièce ronde, qui le fit rire d'un rire content.
Elle ne pensait plus qu'à lui ; et il attendait son retour avec une certaine impatience, courait au-devant d'elle
en la voyant, ce qui faisait bondir le coeur de la fillette.
Contes de la bécasse
Contes de la bécasse 32.
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