Contes de la bécasse Il alla chercher la paille et leur en fit un prie-Dieu.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
clairs, toujours mobiles, des yeux d'être effaré que la peur ne quitte pas.
Elle était jolie pourtant, fort jolie,
toute blonde d'un blond gris, d'un blond timide ; comme si ses cheveux, avaient été un peu décolorés par ses
craintes incessantes.
"Parmi les amis de M.
de Courcils qui venaient constamment au château, se trouvait un ancien officier de
cavalerie, veuf, homme redouté, tendre et violent, capable des résolutions les plus énergiques, M.
de
Bourneval, dont je porte le nom.
C'était un grand gaillard maigre, avec de grosses moustaches noires.
Je lui
ressemble beaucoup.
Cet homme avait lu, et ne pensait nullement comme ceux de sa classe.
Son
arrière-grand-mère avait été une amie de J.-J.
Rousseau, et on eût dit qu'il avait hérité quelque chose de
cette liaison d'une ancêtre.
Il savait par coeur le Contrat social, la Nouvelle Héloïse et tous ces livres
philosophants qui ont préparé de loin le futur bouleversement de nos antiques usages, de nos préjugés, de nos
lois surannées, de notre morale imbécile.
"Il aima ma mère, paraît-il, et en fut aimé.
Cette liaison demeura tellement secrète que personne ne la
soupçonna La pauvre femme, délaissée et triste, dut s'attacher à lui d'une façon désespérée, et prendre dans
son commerce toutes ses manières de penser, des théories de libre sentiment, des audaces d'amour
indépendant ; mais, comme elle était si craintive qu'elle n'osait jamais parler haut, tout cela fut refoulé,
condensé, pressé en son coeur qui ne s'ouvrit jamais.
"Mes deux frères étaient durs pour elle, comme leur père, ne la caressaient point, et, habitués à ne la voir
compter pour rien dans la maison, la traitaient un peu comme une bonne.
"Je fus le seul de ses fils qui l'aima vraiment et qu'elle aima.
"Elle mourut.
J'avais alors dix-huit ans.
Je dois ajouter, pour que vous compreniez ce qui va suivre, que son
mari était doté d'un conseil judiciaire, qu'une séparation de biens avait été prononcée au profit de ma mère,
qui avait conservé, grâce aux artifices de la loi et au dévouement intelligent d'un notaire, le droit de tester à sa
guise.
"Nous fûmes donc prévenus qu'un testament existait chez ce notaire, et invités à assister à la lecture.
"Je me rappelle cela comme d'hier.
Ce fut une scène grandiose, dramatique, burlesque, surprenante, amenée
par la révolte posthume de cette morte, par ce cri de liberté, cette revendication du fond de la tombe de cette
martyre écrasée par nos moeurs durant sa vie, et qui jetait, de son cercueil clos, un appel désespéré vers
l'indépendance.
"Celui qui se croyait mon père, un gros homme sanguin éveillant l'idée d'un boucher, et mes frères, deux forts
garçons de vingt et de vingt-deux ans, attendaient tranquilles sur leurs sièges.
M.
de Bourneval, invité à se
présenter, entra et se plaça derrière moi.
Il était serré dans sa redingote, fort pâle, et il mordillait souvent sa
moustache, un peu grise à présent.
Il s'attendait sans doute à ce qui allait se passer.
"Le notaire ferma la porte à double tour et commença la lecture, après avoir décacheté devant nous
l'enveloppe scellée à la cire rouge et dont il ignorait le contenu."
Brusquement mon ami se tut, se leva, puis il alla prendre dans son secrétaire un vieux papier, le déplia, le
baisa longuement, et il reprit :
"Voici le testament de ma bien-aimée mère :
"Je, soussignée, Anne-Catherine-Geneviève-Mathilde de Croixluce, épouse légitime de
Jean-Léopold-Joseph-Gontran de Courcils, saine de corps et d'esprit, exprime ici mes dernières volontés.
Contes de la bécasse
Contes de la bécasse 44.
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