Contes de la bécasse ******************************** EN MER A Henry Céard.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Donc le grand engin de pêche fut passé par-dessus bord, et deux hommes à l'avant, deux hommes à l'arrière,
commencèrent à filer sur les rouleaux les amarres qui le tenaient.
Soudain il toucha le fond : mais une haute
lame inclinant le bateau, Javel cadet, qui se trouvait à l'avant et dirigeait la descente du filet, chancela, et son
bras se trouva saisi entre la corde un instant détendue par la secousse et le bois où elle glissait.
Il fit un effort
désespéré, tâchant de l'autre main de soulever l'amarre, mais le chalut traînait déjà et le câble roidi ne céda
point.
L'homme crispé par la douleur appela.
Tous accoururent.
Son frère quitta la barre.
Ils se jetèrent sur la corde,
s'efforçant de dégager le membre qu'elle broyait.
Ce fut en vain.
"Faut couper", dit un matelot, et il tira de sa
poche un large couteau, qui pouvait, en deux coups, sauver le bras de Javel cadet.
Mais couper, c'était perdre le chalut, et ce chalut valait de l'argent, beaucoup d'argent, quinze cents francs ; et
il appartenait à Javel aîné, qui tenait à son avoir.
Il cria, le coeur torturé : "Non, coupe pas, attends, je vais lofer." Et il courut au gouvernail mettant toute la
barre dessous.
Le bateau n'obéit qu'à peine, paralysé par ce filet qui immobilisait son impulsion, et entraîné d'ailleurs par la
force de la dérive et du vent.
Javel cadet s'était laissé tomber sur les genoux, les dents serrées, les yeux hagards.
Il ne disait rien.
Son frère
revint, craignant toujours le couteau d'un marin : "Attends, attends, coupe pas, faut mouiller l'ancre."
L'ancre fut mouillée, toute la chaîne filée, puis on se mit à virer au cabestan pour détendre les amarres du
chalut.
Elles s'amollirent, enfin, et on dégagea le bras inerte, sous la manche de laine ensanglantée.
Javel cadet semblait idiot.
On lui retira la vareuse et on vit une chose horrible, une bouillie de chairs dont le
sang jaillissait à flots qu'on eût dit poussés par une pompe.
Alors l'homme regarda son bras et murmura :
"Foutu."
Puis, comme l'hémorragie faisait une mare sur le pont du bateau, un des matelots cria : "Il va se vider, faut
nouer la veine."
Alors ils prirent une ficelle, une grosse ficelle brune et goudronnée, et, enlaçant le membre au-dessus de la
blessure, ils serrèrent de toute leur force.
Les jets de sang s'arrêtaient peu à peu, et finirent par cesser tout à
fait.
Javel cadet se leva, son bras pendait à son côté.
Il le prit de l'autre main, le souleva, le tourna, le secoua.
Tout
était rompu, les os cassés ; les muscles seuls retenaient ce morceau de son corps.
Il le considérait d'un oeil
morne, réfléchissant.
Puis il s'assit sur une voile pliée, et les camarades lui conseillèrent de mouiller sans
cesse la blessure pour empêcher le mal noir.
On mit un seau auprès de lui, et de minute en minute, il puisait dedans au moyen d'un verre, et baignait
l'horrible plaie en laissant couler dessus un petit filet d'eau claire.
"Tu serais mieux en bas", lui dit son frère.
Il descendit, mais au bout d'une heure il remonta, ne se sentant pas
bien tout seul.
Et puis, il préférait le grand air.
Il se rassit sur sa voile et recommença à bassiner son bras.
La pêche était bonne.
Les larges poissons à ventre blanc gisaient à côté de lui, secoués par des spasmes de
mort ; il les regardait sans cesser d'arroser ses chairs écrasées.
Contes de la bécasse
Contes de la bécasse 36.
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