Contes de la bécasse Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se déchaîna ; et le petit bateau recommença sa course folle, bondissant et culbutant, secouant le triste blessé.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Alors on vida un des barils, plein déjà de la pêche des jours derniers ; et, tout au fond, on déposa le bras.
On
versa du sel dessus, puis on replaça, un à un, les poissons.
Un des matelots fit cette plaisanterie : "Pourvu que je l'vendions point à la criée."
Et tout le monde rit, hormis les deux Javel.
Le vent soufflait toujours.
On louvoya encore en vue de Boulogne jusqu'au lendemain dix heures.
Le blessé
continuait sans cesse à jeter de l'eau sur sa plaie.
De temps en temps, il se levait et marchait d'un bout à l'autre du bateau.
Son frère, qui tenait la barre, le suivait de l'oeil en hochant la tête.
On finit par rentrer au port.
Le médecin examina la blessure et la déclara en bonne voie.
Il fit un pansement complet et ordonna le repos.
Mais Javel ne voulut pas se coucher sans avoir repris son bras, et il retourna bien vite au port pour retrouver
le baril qu'il avait marqué d'une croix.
On le vida devant lui et il ressaisit son membre, bien conservé dans la saumure, ridé, rafraîchi.
Il l'enveloppa
dans une serviette emportée à cette intention, et rentra chez lui.
Sa femme et ses enfants examinèrent longuement ce débris du père, tâtant les doigts, enlevant les brins de sel
restés sous les ongles ; puis on fit venir le menuisier pour un petit cercueil.
Le lendemain l'équipage complet du chalutier suivit l'enterrement du bras détaché.
Les deux frères, côte à
côte, conduisaient le deuil.
Le sacristain de la paroisse tenait le cadavre sous son aisselle.
Javel cadet cessa de naviguer.
Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son
accident, il confiait tout bas à son auditeur : "Si le frère avait voulu couper le chalut, j'aurais encore mon bras,
pour sûr.
Mais il était regardant à son bien."
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UN NORMAND
A Paul Alexis.
Nous venions de sortir de Rouen et nous suivions au grand trot la route de Jumièges.
La légère voiture filait,
traversant les prairies ; puis le cheval se mit au pas pour monter la côte de Canteleu.
C'est là un des horizons les plus magnifiques qui soient au monde.
Derrière nous Rouen, la ville aux églises,
aux clochers gothiques, travaillés comme des bibelots d'ivoire ; en face, Saint-Sever, le faubourg aux
manufactures, qui dresse ses mille cheminées fumantes sur le grand ciel vis-à-vis des mille clochetons sacrés
de la vieille cité.
Ici la flèche de la cathédrale, le plus haut sommet des monuments humains ; et là-bas, la "Pompe à feu" de la
"Foudre", sa rivale presque aussi démesurée, et qui passe d'un mètre la plus géante des pyramides d'Égypte.
Contes de la bécasse
Contes de la bécasse 38.
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