Contes de la bécasse A peine la jeune fille était-elle sortie que Rivet entra.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
"Vous ne me reconnaissez pas ?" dit-elle.
Je balbutiai : "Mais...
non...
madame.
\24\24Henriette Bonnel.
\24\24Ah !" Et je me sentis devenir pâle.
Elle semblait parfaitement à son aise, et souriait en me regardant.
Dès qu'elle m'eut laissé seul avec son mari, il me prit les mains, les serrant à les broyer : "Voici longtemps,
cher monsieur, que je veux aller vous voir.
Ma femme m'a tant parlé de vous.
Je sais...
oui, je sais en quelle
circonstance douloureuse vous l'avez connue, je sais aussi comme vous avez été parfait, plein de délicatesse,
de tact, de dévouement dans l'affaire..." Il hésita, puis prononça plus bas, comme s'il eût articulé un mot
grossier : "...
Dans l'affaire de ce cochon de Morin."
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LA FOLLE
A Robert de Bonnières.
Tenez, dit M.
Mathieu d'Endolin, les bécasses me rappellent une bien sinistre anecdote de la guerre.
Vous connaissez ma propriété dans le faubourg de Cormeil.
Je l'habitais au moment de l'arrivée des
Prussiens.
J'avais alors pour voisine une espèce de folle dont l'esprit s'était égaré sous les coups du malheur.
Jadis, à
l'âge de vingt-cinq ans, elle avait perdu, en un seul mois, son père, son mari et son enfant nouveau-né.
Quand la mort est entrée une fois dans une maison, elle y revient presque toujours immédiatement, comme si
elle connaissait la porte.
La pauvre jeune femme, foudroyée par le chagrin, prit le lit, délira pendant six semaines.
Puis, une sorte de
lassitude calme succédant à cette crise violente, elle resta sans mouvement, mangeant à peine, remuant
seulement les yeux.
Chaque fois qu'on voulait la faire lever, elle criait comme si on l'eût tuée.
On la laissa
donc toujours couchée, ne la tirant de ses draps que pour les soins de sa toilette et pour retourner ses matelas.
Une vieille bonne restait près d'elle, la faisant boire de temps en temps ou mâcher un peu de viande froide.
Que se passait-il dans cette âme désespérée ? On ne le sut jamais ; car elle ne parla plus.
Songeait-elle aux
morts ? Rêvassait-elle tristement, sans souvenir précis ? Ou bien sa pensée anéantie restait-elle immobile
comme de l'eau sans courant ?
Pendant quinze années, elle demeura ainsi fermée et inerte.
La guerre vint ; et, dans les premiers jours de décembre, les Prussiens pénétrèrent à Cormeil.
Je me rappelle cela comme d'hier.
Il gelait à fendre les pierres ; et j'étais étendu moi-même dans un fauteuil,
immobilisé par la goutte, quand j'entendis le battement lourd et rythmé de leurs pas.
De ma fenêtre, je les vis
passer.
Contes de la bécasse
Contes de la bécasse 10.
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