Comment Gargantua feut institué par Ponocrates en telle discipline qu'il ne perdoit heure du jour

« Le temps ainsi employé, luy froté, nettoyé refraischy d'habillemens, tout doulcement retournait, et pessans par quelques prez ou aultres lieux herbuz, visitaient les arbres et plantes, les conferens avec les livres des anciens qui en ont escrlpt, ( ...

) et en emportaient leur planes mains au logis, desquelles avoit la charge un jeune page, nommé Rhizotome, ensemble des marrochons, des pioches, cerfouettes, beches, tran­ ches et aultres Instruments requis à bien arborizer.

Eulx arrivez au logis, ce pendent qu'on aprestoit le souper, repetaient quelques passaiges de ce qu'avait esté leu et s'assoient à table (.

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) Durant icelluy repas estoit continuée par la leçon du disner tant que bon sem· blolt ; le reste estolt consommé en bons propous, tous lettrez et utiles.

Après graces rendues, se adonnaient à chanter musicalement, à jouer d'Instru­ ments harmonieux, ou de ces petitz passetemps qu'on talet es chartes, es dez et guobeletz, et là demouroient, faisans grand chere et s'esbaudlssans aulcunes foys jus­ ques à l'heure de dormir ; quelques foys allaient visiter les compaignies des gens lettrez, ou de gens que eussent veu pays estranges.

En pleine nulct, devant que soy retirer, allaient au lieu de leur logis le plus descouvert veolr la face du ciel, et là notolent les cometes, sy aulcunes estolent, les figures, situations, aspectz, oppositions et conjunctions des astres.

Puis avec son precepteur recapitulait brlefvement, à la mode des Pythagorlc­ ques, tout ce qu'Il avolt leu, veu, sceu, talet et entendu au decours de toute la Journée.

SI priolent Dieu le createur, en l'adorant et ratifiant leur foy envers Juy, et le glorifiant de sa bonté Immense, et, luy rendant grace de tout le temps passé, se recom­ mandaient à sa divine clemence pour tout l'advenir.

Ce talet, entroient en leur repous.

Chap.

XXIII.

(extraits).

Comment Gargantua employait le temps quand l'air estoit pluvieux S'JI advenolt que l'air feust pluvieux et Jntemperé, tout le temps d'avant dlsner eatoit employé comme de coustume, excepté qu'JI falsolt allumer un beau et clair feu pour corriger l'lntemperle de l'air.

Mais après dlsner, en lieu des exercltatlons, Jlz demourolent en la maison et, par maniere de apotheraple, s'esbatolent à boteler du foin, à fendre et scier du boys, et à batre les gerbes en la grange ; puys estudlolent en l'art de palncture et sculpture.

( ••• ) Semblablement, ou allolent veolr comment on tlrolt les metaulx, ou comment on fondolt l'artlllerye, ou allolent veolr les lapidaires, orfevres et tailleurs de pierreries, ou les alchymlstes et monoyeurs, ou les haultellsslers, les tlssotlers, les velotlers, les horologlers, mlralllers, Imprimeurs, organistes, tinturlers et aultres telles sortes d'ouvriers, et, partout donnana le vin, aprenolent et conslderolent l'Industrie et Invention dea mestlera.

Allolent ouTr les leçons publlcques, les actes aolennelz, les repetitions, les declamations, les playdoyez des gentllz advocatz, les conclons dea prescheurs evange­ llquu.

Paaaolt par les salles et lieux ordonnez pour l'escrime, et là contre les meistres esaayolt de toua bastons, et leurs monstrolt par evidence que autant, voyre plus, en sçavolt que lceulx.

Et, au lieu de arboriser, visitaient les boutlcques des drogueurs, ·herbiers et apothecalrea.

( ...

) Ainsi fut gouverné Gargantua, et contlnuolt ce procès de Jour en Jour, profitant comme entendez que peut faire un Jeune homme, scelon son âge, de bon sena en tel exercice ainsi continué, lequel, combien que semblast pour le commencement difficile, en la continuation tant doulx fut, legler et delectable, que mleulx ressemblait un passe­ temps de roy que l'eatude d'un escholler.

Touteafoya Ponocrates, pour le sejourner de ceste vehemente Intention des esperltz, advlaolt une foys le moys quelque ]our bien clair et serain, auquel bougeaient au matin de la ville et allolent ou à Gentlfy, ou à Bololgne, ou à Montrouge, ou au pont Charenton, ou à Vanves, ou à Salnct Clou.

Et là passaient toute la Journée à taire la plus grande chère dont llz se pouvolent advlser, ralllans, gaudlssans, beuvans d'sul­ tana, Jouans, chantans, dansans, se voytrans en quelque beau pré, denlceans dea pasae­ reaulx, prenans des cailles, peschans aux grenouilles et escrevlsses.

Mals, encores que Icelle Journée feust passée sans livres et lectures, polnct elle n'eatolt passée sans profit, car en beau pré Jlz recololent par cueur quelques plalsans vers de l'Agriculture de VIrgile, de Heslode, du Rustlcque de · Polltlan, desert~ volent quelques plalsans épigrammes en latin, pula les mettaient par rondeaux et ballades en langue françoyae.

RABELAIS -Gargantua (1·534) chap.

XXIV (extraits) - Ed.

Les Belles Lettres, p.

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