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Claude Roy, Défense de la littérature

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

Autant les écrivains qui se veulent à tout prix dégagés, dégagés de tout ce qui arrive de désagréable ou de tragique à leurs compagnons de la terre, autant les écrivains qui vivent dans leur petit coin en cultivant les petites fleurs et les petits oiseaux de leur petit jardin, autant ces écrivains-là sont en général peu engageants à force de pauvreté de cœur, d'économie de curiosité, autant ceux qui conjuguent trop bien le malheur de n'être que des écrivains et le désir d'être davantage (ou autre chose) risquent de n'être plus rien du tout. Il n'est pas déconseillé à un écrivain, au contraire, de se sentir partie liée avec tous les hommes, c'est-à-dire de travailler et de rire, d'aimer et de pêcher la truite, de faire la guerre quand il croit que c'est juste, et d'aider à changer la société quand il pense que c'est nécessaire (et c'est toujours nécessaire). Il y a une grande littérature qui est une littérature de combat, de dénonciation des abus ou des injustices, une littérature de révolte ou de polémique, une littérature d'intervention et de révolution. Mais cette littérature-là n'est jamais l'œuvre d'écrivains qui ont besoin de se faire excuser de n'être que des écrivains, qui, en un mot, ont un « complexe d'infériorité «. Pascal écrit les Provinciales et Fénelon les remontrances au roi, Voltaire écrit l'Essai sur la Tolérance et Hu^o Les Châtiments, Maïakovski écrit ses poèmes sur Lénine et la Révolution, et Bernanos Les Grands Cimetières sous la lune, non pas parce qu'ils sentent la nécessité de se faire décerner un certificat d'utilité publique, mais parce que c'est plus fort qu'eux, qu'il leur faut dire ce qu'ils ont à dire. Ils ne sont pas engagés aux sens où le militaire et le policier sont engagés, c'est-à-dire ont pris l'engagement d'obéir aux ordres de leur supérieur, sans les discuter et au besoin sans chercher à les comprendre, ils ne sont pas engagés d'avance à dire ce qu'on attendait d'eux, ils ne sont pas engagés comme le sont la recrue, l'homme à gages ou le domestique, ils ne sont pas engagés comme un train est engagé sur des rails. Ils n'ont pas pris du service, mais ils ont pris feu et ils ont pris parti. Dans ce sens du mot engagement la question à se poser n'est plus, me semble-t-il : « Un écrivain doit-il s'engager? «, mais plutôt : « Comment un écrivain pourrait-il accepter d'être un homme diminué et un citoyen incomplet, c'est-à-dire ne pas quelquefois s'engager de toute son âme et de toutes ses forces? « Comment peut-on, si un ennemi envahit notre pays, humilie les nôtres, proscrit, persécute ou extermine nos voisins, comment peut-on ne pas réagir? Comment peut-on empêcher son sang de ne faire qu'un tour quand on est le témoin d'une injustice? Comment peut-on supporter paisiblement, en jouant aux quilles ou en chantant des romances, de voir à côté de soi des hommes pauvres et exploités, d'entendre prononcer des mensonges? Il n'y a qu'une façon de n'être pas engagé, c'est de ne pas être vivant, c'est de se faire pierre parmi les pierres ou plume au gré du vent. L'engagement vrai, c'est celui qui consiste à laisser parler sa raison et son cœur quand ils sont blessés par le malheur général et par la déraison des choses. Claude Roy, Défense de la littérature, 1968.

1. Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du développement) ou une analyse (en mettant en relief la structure logique de la pensée). Vous indiquerez nettement votre choix au début de la copie. 2. Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.

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