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Claire de Lune ligne, une seule ligne, sachant d'avance les reproches et les plaintes contenues la-dedans.

Publié le 11/04/2014

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Claire de Lune ligne, une seule ligne, sachant d'avance les reproches et les plaintes contenues la-dedans. Comme on ne croyait guere a sa perseverance, on fit durer l'epreuve tout l'hiver, et c'est seulement au printemps que sa demande fut agreee. Le mariage eut lieu a Paris dans les premiers jours de mai. Il etait decide qu'ils ne feraient point le classique voyage de noces. Apres un petit bal, une sauterie de jeunes cousines qui ne se prolongerait point au dela de onze heures, pour ne pas eterniser les fatigues de cette journee de ceremonies, les jeunes epoux devaient passer leur premiere nuit commune dans la maison familiale, puis partir seuls, le lendemain matin, pour la plage chere a leurs coeurs, ou ils s'etaient connus et aimes. La nuit etait venue, on dansait dans le grand salon. Ils s'etaient retires tous les deux dans un petit boudoir japonais, tendu de soies eclatantes, a peine eclaire, ce soir-la, par les rayons alanguis d'une grosse lanterne de couleur, pendue au plafond comme un oeuf enorme. La fenetre entr'ouverte laissait entrer parfois des souffles frais du dehors, des caresses d'air qui passaient sur les visages, car la soiree etait tiede et calme, pleine d'odeurs de printemps. Ils ne disaient rien; ils se tenaient les mains en se les pressant parfois de toute leur force. Elle demeurait, les yeux vagues, un peu eperdue par ce grand changement dans sa vie, mais souriante, remuee, prete a pleurer, souvent prete aussi a defaillir de joie, croyant le monde entier change par ce qui lui arrivait, inquiete sans savoir de quoi, et sentant tout son corps, toute son ame envahis d'une indefinissable et delicieuse lassitude. Lui la regardait obstinement, souriant d'un sourire fixe. Il voulait parler, ne trouvait rien et restait la, mettant toute son ardeur en des pressions de mains. De temps en temps, il murmurait: "Berthe!" et chaque fois bile levait les yeux sur lui d'un mouvement doux et tendre; ils se contemplaient une seconde, puis son regard a elle, penetre et fascine par son regard a lui, retombait. Ils ne decouvraient aucune pensee a echanger. On les laissait seuls; mais parfois, un couple de danseurs jetait sur eux, en passant, un coup d'oeil furtif, comme s'il eut ete temoin discret et confident d'un mystere. Une porte de cote s'ouvrit, un domestique entra, tenant sur un plateau une lettre pressee qu'un commissionnaire venait l'apporter. Jacques prit en tremblant ce papier, saisi d'une peur vague et soudaine, la peur mysterieuse des brusques malheurs. Il regarda longtemps l'enveloppe dont il ne connaissait point l'ecriture, n'osant pas l'ouvrir, desirant follement ne pas lire, ne pas savoir, mettre en sa poche cela, et se dire: "A demain. Demain, je serai loin, peu m'importe!" Mais, sur un coin, deux grands mots soulignes: TRES URGENT, le retenaient et l'epouvantaient. Il demanda: "Vous permettez, mon amie?" dechira la feuille collee et lut. Il lut le papier, palissant affreusement, le parcourut d'un coup et, lentement, sembla l'epeler. Quand il releva la tete, toute sa face etait bouleversee. Il balbutia: "Ma chere petite, c'est ... c'est mon meilleur ami a qui il arrive un grand, un tres grand malheur. Il a besoin de moi tout de suite ... tout de suite ... pour une affaire de vie ou de mort. Me permettez-vous de m'absenter vingt minutes? je reviens aussitot." Elle begaya, tremblante, effaree: "Allez, mon ami!" n'etant pas encore assez sa femme pour oser l'interroger, pour exiger savoir. Et il disparut. Elle resta seule, ecoutant danser dans le salon voisin. Il avait pris un chapeau, le premier trouve, un pardessus quelconque, et il descendit en courant l'escalier. Au moment de sauter dans la rue, il s'arreta encore sous le bec de gaz du vestibule et relut la lettre. L'ENFANT 17 Claire de Lune Voici ce qu'elle disait: "Monsieur, "Une fille Ravet, votre ancienne maitresse, parait-il, vient d'accoucher d'un enfant qu'elle pretend etre a vous. La mere va mourir et implore votre visite. Je prends la liberte de vous ecrire et de vous demander si vous pouvez accorder ce dernier entretien a cette femme, qui semble etre tres malheureuse et digne de pitie. "Votre serviteur, "Dr BONNARD." Quand il penetra dans la chambre de la mourante, elle agonisait deja. Il ne la reconnut pas d'abord. Le medecin et deux gardes la soignaient, et partout a terre trainaient des seaux pleins de glace et des linges pleins de sang. L'eau repandue inondait le parquet; deux bougies brulaient sur un meuble; derriere le lit, dans un petit berceau d'osier, l'enfant criait, et, a chacun de ses vagissements, la mere, torturee, essayait un mouvement, grelottante sous les compresses gelees. Elle saignait; elle saignait, blessee a mort, tuee par cette naissance. Toute sa vie coulait; et, malgre la glace, malgre les soins, l'invincible hemorragie continuait, precipitait son heure derniere. Elle reconnut Jacques et voulut lever les bras: elle ne put pas, tant ils etaient faibles, mais sur ses joues livides des larmes commencerent a glisser. Il s'abattit a genoux pres du lit, saisit une main pendante et la baisa frenetiquement: puis, peu a peu, il s'approcha tout pres, tout pres du maigre visage qui tressaillait a son contact. Une des gardes, debout, une bougie a la main, les eclairait, et le medecin, s'etant recule, regardait du fond de la chambre. Alors d'une voix deja lointaine, en haletant, elle dit: "Je vais mourir, mon cheri; promets-moi de rester jusqu'a la fin. Oh! ne me quitte pas maintenant, ne me quitte pas au dernier moment!" Il la baisait au front, dans ses cheveux, en sanglotant. Il murmura: "Sois tranquille, je vais rester." Elle fut quelques minutes avant de pouvoir parler encore, tant elle etait oppressee et defaillante. Elle reprit: "C'est a toi, le petit. Je te le jure devant Dieu, je te le jure sur mon ame, je te le jure au moment de mourir. Je n'ai pas aime d'autre homme que toi ... Promets-moi de ne pas l'abandonner." Il essayait de prendre encore dans ses bras ce miserable corps dechire, vide de sang. Il balbutia, affole de remords et de chagrin: "Je te le jure, je l'eleverai et je l'aimerai. Il ne me quittera pas." Alors elle tenta d'embrasser Jacques. Impuissante a lever sa tete epuisee, elle tendait ses levres blanches dans un appel de baiser. Il approcha sa bouche pour cueillir cette lamentable et suppliante caresse. Un peu calmee, elle murmura tout bas: "Apporte-le, que je voie si tu l'aimes." Et il alla chercher l'enfant. Il le posa doucement sur le lit, entre eux, et le petit etre cessa de pleurer. Elle murmura: "Ne bouge plus !" Et il ne remua plus. Il resta la, tenant en sa main brulante cette main que secouaient des frissons d'agonie, comme il avait tenu, tout a l'heure, une autre main que crispaient des frissons d'amour. De temps en temps, il regardait l'heure, d'un coup d'oeil furtif, guettant l'aiguille qui passait minuit, puis une heure, puis deux heures. L'ENFANT 18

« Voici ce qu'elle disait: “Monsieur, “Une fille Ravet, votre ancienne maitresse, parait-il, vient d'accoucher d'un enfant qu'elle pretend etre a vous. La mere va mourir et implore votre visite.

Je prends la liberte de vous ecrire et de vous demander si vous pouvez accorder ce dernier entretien a cette femme, qui semble etre tres malheureuse et digne de pitie. “Votre serviteur, “Dr BONNARD.” Quand il penetra dans la chambre de la mourante, elle agonisait deja.

Il ne la reconnut pas d'abord.

Le medecin et deux gardes la soignaient, et partout a terre trainaient des seaux pleins de glace et des linges pleins de sang. L'eau repandue inondait le parquet; deux bougies brulaient sur un meuble; derriere le lit, dans un petit berceau d'osier, l'enfant criait, et, a chacun de ses vagissements, la mere, torturee, essayait un mouvement, grelottante sous les compresses gelees. Elle saignait; elle saignait, blessee a mort, tuee par cette naissance.

Toute sa vie coulait; et, malgre la glace, malgre les soins, l'invincible hemorragie continuait, precipitait son heure derniere. Elle reconnut Jacques et voulut lever les bras: elle ne put pas, tant ils etaient faibles, mais sur ses joues livides des larmes commencerent a glisser. Il s'abattit a genoux pres du lit, saisit une main pendante et la baisa frenetiquement: puis, peu a peu, il s'approcha tout pres, tout pres du maigre visage qui tressaillait a son contact.

Une des gardes, debout, une bougie a la main, les eclairait, et le medecin, s'etant recule, regardait du fond de la chambre. Alors d'une voix deja lointaine, en haletant, elle dit: “Je vais mourir, mon cheri; promets-moi de rester jusqu'a la fin.

Oh! ne me quitte pas maintenant, ne me quitte pas au dernier moment!” Il la baisait au front, dans ses cheveux, en sanglotant.

Il murmura: “Sois tranquille, je vais rester.” Elle fut quelques minutes avant de pouvoir parler encore, tant elle etait oppressee et defaillante.

Elle reprit: “C'est a toi, le petit.

Je te le jure devant Dieu, je te le jure sur mon ame, je te le jure au moment de mourir.

Je n'ai pas aime d'autre homme que toi ...

Promets-moi de ne pas l'abandonner.” Il essayait de prendre encore dans ses bras ce miserable corps dechire, vide de sang.

Il balbutia, affole de remords et de chagrin: “Je te le jure, je l'eleverai et je l'aimerai.

Il ne me quittera pas.” Alors elle tenta d'embrasser Jacques.

Impuissante a lever sa tete epuisee, elle tendait ses levres blanches dans un appel de baiser.

Il approcha sa bouche pour cueillir cette lamentable et suppliante caresse. Un peu calmee, elle murmura tout bas: “Apporte-le, que je voie si tu l'aimes.” Et il alla chercher l'enfant. Il le posa doucement sur le lit, entre eux, et le petit etre cessa de pleurer.

Elle murmura: “Ne bouge plus !” Et il ne remua plus.

Il resta la, tenant en sa main brulante cette main que secouaient des frissons d'agonie, comme il avait tenu, tout a l'heure, une autre main que crispaient des frissons d'amour.

De temps en temps, il regardait l'heure, d'un coup d'oeil furtif, guettant l'aiguille qui passait minuit, puis une heure, puis deux heures.

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