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Charge de cuirassiers (1862). (Épisode de la bataille de Waterloo.) - HUGO

Publié le 14/06/2011

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hugo

Hugo prosateur reste encore poète épique. On s'en convaincra en comparant ce passage au récit de cette même charge dans Thiers.

Napoléon donna l'ordre aux cuirassiers de Milhaud d'enlever le plateau de Mont-Saint-Jean. Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d'un quart de lieue. C'étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons. Ils portaient le casque sans crins, et la cuirasse de fer battu, avec des pistolets d'arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin, toute l'armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant : Veillons au salut de l'Empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l'autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellermann et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer. L'aide de camp Bernard leur porta l'ordre de l'empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s'ébranlèrent. Alors on vit un spectacle formidable. Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonnes par division, descendit d'un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d'un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s'enfonça dans le fond redoutable où tant d'hommes déjà. étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l'autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l'épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient graves, menaçants, imperturbables; dans les intervalles de la mousqueterie et de l'artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes; la division Wathier avait la droite, la division Delort avait la gauche. On croyait voir de loin s'allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d'acier. Cela traversa la bataille comme un prodige. Rien de semblable ne s'était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskova par la grosse cavalerie; Murat y manquait, mais Ney s'y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n'eût qu'une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau de polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissements orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible : là-dessus les cuirasses, comme des écailles sur l'hydre. Derrière la crête du plateau, à l'ombre de la batterie masquée, l'infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l'épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis subitement une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : « Vive l'Empereur! « toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l'entrée d'un tremblement de terre....

(Les Misérables, IIe partie, livre I, §§ 9 et 10. Hetzel, éditeur.) QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. -- Une admirable page d'épopée en prose. — Victor Hugo ne nous donne-t-il pas, au moyen de quelques expressions sobres et caractéristiques, l'impression de la force redoutable des cuirassiers? Quelles sont ces expressions? Montrez que, négligeant les détails inutiles, il s'attache à représenter l'ensemble des cavaliers, -- un ensemble d'une saisissante unité (la masse des cuirassiers s'avançait d'un même mouvement, n'avait qu'une âme); Quelle était l'attitude des cavaliers? Ils montaient graves, menaçants, imperturbables...); Quelle partie de l'Expiation vous rappelle ce récit? Qu'entendait l'armée anglaise, massée derrière la crête du plateau? Les cuirassiers la voyaient-ils? Montrez que V. Hugo sait graduer l'intérêt; L'esprit du lecteur est-il bien pleinement satisfait? Ne voudrait-il pas connaître le résultat du choc qui va se produire entre les deux armées? Quelle impression laisse en vous cette lecture?

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du récit : a) L'ordre de Napoléon; b) La description des cuirassiers; c) La charge : tableau plein de grandeur; d) Le danger : l'armée anglaise invisible derrière le plateau; En quoi consistait l'armure des cuirassiers? Qui prit la direction de la charge? Quelle partie de terrain avaient à traverser les cuirassiers? En combien de colonnes étaient-ils divisés? Par quelles expressions V. Hugo peint-il l'aspect général de la charge, vue de loin? (Pêle-mêle de casques...); Quel était le caractère de ce tumulte? Quel danger allaient courir les cuirassiers? De quoi était fait le bruit qu'entendaient les Anglais?

III. -- Le style; — les expressions. — Indiquez quelques-unes des longues phrases périodiques de ce récit (exemple : Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent...); Montrez, par l'analyse de cette dernière phrase, que le mouvement du style est approprié aux mouvements des cuirassiers; Pourquoi, dans la phrase commençant par : Derrière la crête du plateau..., le verbe attendait est-il placé tout à fait à la fin? Indiquez quelques-unes des images employées par V. Hugo (deux ailes de fer, — deux immenses couleuvres d' acier,— cette marée d'hommes, et Montrez qu'elles ont une grande force évocatrice, c'est-à-dire qu'elles nous donnent réellement la vision des êtres et des choses; Quel est le sens des expressions : des pistolets d'arçon — un anneau de polype?

IV. — La grammaire. — Indiquez quelques composés du mot charge; Quelle est la composition des mots mousqueterie, artillerie? Distinguez les propositions contenues dans la phrase commençant par Derrière la crête du plateau...; Nature et fonction de chacun des mots suivants : ce qui allait venir.

Rédaction.— Par quoi vous frappe le morceau qui vient d'être étudié? —Faites-en ressortir le caractère épique.

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