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  Chapitre XXIII               Les Hamilton étaient des gens étranges, tendus comme des cordes d'instruments de musique.

Publié le 30/10/2013

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  Chapitre XXIII               Les Hamilton étaient des gens étranges, tendus comme des cordes d'instruments de musique. Quelques-uns, accordés trop haut, cassaient. C'est fréquent de par le monde. C'était Una, entre ses filles, qui apportait à Samuel le plus de joie. Même petite, elle avait un appétit de savoir, comme en ont les enfants pour une tartine de confiture à l'heure du goûter. Una et son père conspiraient ; ils achetaient des livres, les lisaient et se communiquaient leurs remarques. Una était la plus sérieuse de tous les Hamilton. Elle rencontra et épousa un garçon aux doigts tachés par des produits chimiques - du nitrate d'argent, la plupart du temps. C'était un de ces hommes qui vivent dans la pauvreté pour éviter l'hébétude de la richesse. Son domaine était la photographie. Il croyait que le monde extérieur pouvait être reporté sur papier avec les couleurs que l'oeil humain perçoit. Il s'appelait Anderson et se livrait peu. Comme la plupart des chercheurs, il n'éprouvait que terreur pour la spéculation. La méthode intuitive n'était pas la sienne. Il taillait une marche, s'y installait et en creusait une autre, à la façon d'un alpiniste sur les glaciers. Il éprouvait un grand mépris, né d'une certaine peur, pour ces Hamilton qui croyaient avoir des ailes et faisaient des chutes retentissantes. Anderson ne tomba jamais, ne glissa jamais et ne vola jamais. Il cheminait lentement vers le sommet et, là-haut, dit-on, il trouva ce qu'il voulait : la pellicule couleur. Il épousa sans doute Una parce qu'elle était la moins expansive et cela le rassurait. Comme il était effrayé et embarrassé par sa famille, il emmena sa femme vers le Nord, dans un pays noir et perdu, quelque part aux frontières de l'Orégon. Il doit avoir vécu une vie très primitive avec ses flacons et ses papiers. Una écrivait des lettres mornes, dépourvues de joie, mais elle ne pleurait pas sur son sort. Elle allait bien et elle espérait qu'il en était de même pour sa famille. Son mari était près de la découverte. Et elle mourut, et son corps fut renvoyé à sa famille. Je n'ai jamais connu Una. Elle disparut alors que j'étais très jeune, mais George Hamilton me parla d'elle bien des années après. Ses yeux se remplirent de larmes et sa voix se cassa. « Una n'était pas aussi belle que Mollie, mais elle avait des mains et des pieds merveilleux. Ses chevilles étaient souples comme une tige d'herbe et elle se mouvait comme une herbe. Ses doigts étaient longs et ses ongles étroits, en forme d'amande. Elle avait une peau merveilleuse, translucide, presque rayonnante. « Elle ne riait ni ne jouait comme nous. Il y avait quelque chose qui la singularisait, elle avait toujours l'air d'écouter. Lorsqu'elle lisait, on aurait dit qu'elle entendait de la musique et, lorsque nous lui posions une question, elle répondait sans détours, sans pittoresque, sans « peut-être «, comme il est de coutume chez nous. Nous étions des cabotins. Il y avait en Una quelque chose de pur et de simple. « Ils l'ont ramenée à la maison. Ses ongles étaient cassés jusqu'à la chair et ses doigts étaient ridés et usés. Et ses pieds... « Georges dut s'arrêter, puis il reprit avec la violence d'un homme qui veut masquer ses sanglots : « Ses pieds étaient cassés et déchirés. Elle n'avait pas porté de chaussures depuis longtemps et sa peau était à vif comme celle d'une bête écorchée. Nous pensons que ce fut un accident. Il y avait tant de produits chimiques. C'est notre avis. « Mais Samuel pensa que l'accident s'appelait douleur et désespoir. La mort d'Una secoua Samuel comme un tremblement de terre silencieux. Il ne prononça pas la moindre belle phrase, il s'assit seul et berça sa douleur. Il avait l'impression que sa négligence était coupable. Son corps qui, jusque-là, avait joyeusement lutté contre le temps, céda un peu. Sa peau ferme devint vieille, ses veux clairs se voilèrent et ses larges épaules s'affaissèrent. Liza, elle, acceptait et pouvait assister à la tragédie. Elle savait qu'il n'y avait rien à attendre de ce côté-ci. Mais, pour Samuel, qui avait élevé une vigoureuse muraille de rire contre les lois naturelles, la mort d'Una était une brèche. Il devint un vieil homme. Ses autres enfants prospéraient. George était dans les assurances, Will devenait riche, et Joe, parti pour l'Est, était en train d'inventer une nouvelle profession qui s'appelait « publicité «. Ses grands défauts devenaient des qualités. Il pouvait donner corps à ses rêves, c'est tout ce que demande la publicité. Joe devenait un grand homme dans un nouveau domaine. Les filles étaient mariées, à part Dessie qui avait une boutique de couture en plein essor, à Salinas. Seul Tom n'avait jamais pris son départ. Samuel avait dit à Adam Trask que Tom luttait avec la grandeur. Le père observait son (ils et il sentait affluer et refluer la peur, les victoires et les défaites, car il les avait connues. Tom n'avait pas la douceur lyrique ou l'aspect joyeux de son père, mais, lorsqu'il s'approchait, on sentait une présence, une force, une chaleur et une intégrité intransigeante. Sous cette cuirasse, il y avait une faille, une pudeur. Il avait des moments de gaieté comparables à ceux de son père et puis, tout à coup, il claquait comme une corde de violon. Alors Tom s'enfonçait en tournoyant dans d'obscures profondeurs. C'était un homme au teint foncé ; son visage brûlé par le soleil, était d'un rouge sombre comme si un sang norvégien ou vandale eût coulé dans ses veines. Ses cheveux, sa barbe et sa moustache étaient du même rouge, et ses yeux rieurs étaient d'un bleu étonnant. Il était puissant, large d'épaules et mince de hanches. Il pouvait courir, sauter, soulever des poids, monter à cheval aussi bien que quiconque, mais il n'avait pas le goût de la compétition. Will et George, qui étaient des joueurs, essayèrent souvent d'attirer leur frère dans les pièges de la spéculation. Tom disait : « J'ai essayé et cela me semble ennuyeux. Je crois savoir pourquoi : pour moi, la victoire n'est pas un triomphe et la défaite, pas une catastrophe ; or ces deux sentiments sont nécessaires à l'aventure. Elle n'est qu'accessoirement un moyen de gagner de l'argent. Si elle ne ressemble ni à la vie et la mort, ni à la joie et la peine, il me semble... tout au moins à moi... que c'est... ce n'est rien du tout. Je m'y lancerais si je ressentais quelque chose, en bien ou en mal. « Will ne comprenait pas : sa vie n'était que lutte et spéculation. Il aimait Tom et il essaya de lui inculquer ce qu'il trouvait lui-même agréable. Il essaya de l'intéresser à ses affaires, de lui inoculer le poison du commerce fait de tromperie, de bluff et de manoeuvres. Tom revenait à la ferme désarmé. Il ne jugeait pas, il comprenait qu'à un certain endroit il avait perdu la piste. Il aurait dû aimer le combat, mais il ne pouvait pas se jouer la comédie. Samuel disait que Tom avait les yeux plus grands que le ventre, qu'il s agît de nourriture ou d'amour. Samuel avait raison, mais je crois qu'il ne connaissait qu'un aspect de son fils. Peut-être Tom se livrait-il plus facilement aux enfants. Je vous ferai de lui un portrait de mémoire, agrémenté de souvenirs impersonnels et d'hypothèses que j'ai bâties. Qui sait si l'image sera ressemblante ? Nous vivions à Salinas et nous savions que Tom était arrivé - presque toujours la nuit - quand, sous nos oreillers, Mary et moi trouvions au matin des paquets de chewing-gum.

« fut unaccident.

Ilyavait tantdeproduits chimiques.

C’estnotre avis. » Mais Samuel pensaquel’accident s’appelait douleuretdésespoir. La mort d’Una secoua Samuel commeuntremblement deterre silencieux.

Ilne prononça paslamoindre bellephrase, ils’assit seuletberça sadouleur.

Ilavait l’impression quesanégligence étaitcoupable. Son corps qui,jusque-là, avaitjoyeusement luttécontre letemps, cédaunpeu.

Sapeau ferme devint vieille, sesveux clairs sevoilèrent etses larges épaules s’affaissèrent.

Liza, elle, acceptait etpouvait assister àla tragédie.

Ellesavait qu’iln’yavait rienàattendre de cecôté-ci.

Mais,pourSamuel, quiavait élevé unevigoureuse muraillederire contre les lois naturelles, lamort d’Una étaitunebrèche.

Ildevint unvieil homme. Ses autres enfants prospéraient.

Georgeétaitdans lesassurances, Willdevenait riche,et Joe, parti pourl’Est, étaitentrain d’inventer unenouvelle profession quis’appelait « publicité ».

Sesgrands défauts devenaient desqualités.

Ilpouvait donnercorpsàses rêves, c’esttoutceque demande lapublicité.

Joedevenait ungrand homme dansun nouveau domaine. Les filles étaient mariées, àpart Dessie quiavait uneboutique decouture enplein essor, à Salinas.

SeulTom n’avait jamaisprissondépart. Samuel avaitditàAdam TraskqueTom luttait aveclagrandeur.

Lepère observait son (ils etilsentait afflueretrefluer lapeur, lesvictoires etles défaites, carilles avait connues.

Tom n’avait pasladouceur lyriqueoul’aspect joyeuxdeson père, mais, lorsqu’il s’approchait, onsentait uneprésence, uneforce, unechaleur etune intégrité intransigeante.

Souscette cuirasse, ilyavait unefaille, unepudeur.

Ilavait desmoments de gaieté comparables àceux deson père etpuis, toutàcoup, ilclaquait commeune corde deviolon.

AlorsToms’enfonçait entournoyant dansd’obscures profondeurs. C’était unhomme auteint foncé ; sonvisage brûléparlesoleil, étaitd’unrouge sombre comme siun sang norvégien ouvandale eûtcoulé danssesveines.

Sescheveux, sabarbe et sa moustache étaientdumême rouge, etses yeux rieurs étaient d’unbleuétonnant.

Il était puissant, larged’épaules etmince dehanches.

Ilpouvait courir,sauter, soulever des poids, monter àcheval aussibienquequiconque, maisiln’avait paslegoût dela compétition.

WilletGeorge, quiétaient desjoueurs, essayèrent souventd’attirer leur frère danslespièges delaspéculation. Tom disait : « J’ai essayé etcela mesemble ennuyeux.

Jecrois savoir pourquoi : pourmoi,lavictoire n’est pasuntriomphe etladéfaite, pasune catastrophe ; orces deux sentiments sont nécessaires àl’aventure.

Ellen’est qu’accessoirement unmoyen degagner del’argent.

Si elle neressemble niàla vie etlamort, niàla joie etlapeine, ilme semble… toutau moins àmoi… quec’est… cen’est riendutout.

Jem’y lancerais sije ressentais quelque chose, enbien ouenmal. » Will necomprenait pas :savie n’était quelutte etspéculation.

Ilaimait Tometilessaya de lui inculquer cequ’il trouvait lui-même agréable.Ilessaya del’intéresser àses affaires, delui inoculer lepoison ducommerce faitdetromperie, debluff etde manœuvres.

Tom revenait àla ferme désarmé.

Ilne jugeait pas,ilcomprenait qu’àuncertain endroit il avait perdu lapiste.

Ilaurait dûaimer lecombat, maisilne pouvait passejouer la comédie.

Samuel disaitqueTom avait lesyeux plusgrands queleventre, qu’ilsagît denourriture ou d’amour.

Samuelavaitraison, maisjecrois qu’ilneconnaissait qu’unaspect deson fils.

Peut-être Tomselivrait-il plusfacilement auxenfants.

Jevous feraidelui un portrait demémoire, agrémenté desouvenirs impersonnels etd’hypothèses quej’ai bâties.

Quisaitsil’image seraressemblante ? Nous vivions àSalinas etnous savions queTom étaitarrivé –presque toujours lanuit – quand, sousnosoreillers, Maryetmoi trouvions aumatin despaquets dechewing-gum.. »

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