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  Chapitre XLVI Il arrive parfois qu'il pleuve en novembre dans la vallée de la Salinas.

Publié le 30/10/2013

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  Chapitre XLVI Il arrive parfois qu'il pleuve en novembre dans la vallée de la Salinas. C'est un fait si rare que le Journal ou L'Index, ou les deux à la fois, lui font l'honneur d'un éditorial. En l'espace d'une nuit, les collines se couvrent d'un vert tendre, et l'air sent bon. Du point de vue strictement agricole, la pluie à cette époque n'est pas particulièrement bonne, à moins qu'elle ne continue, ce qui est extrêmement inhabituel. La plupart du temps, la sécheresse revient et les pousses se fanent, ou une petite gelée les frise, et c'est autant de graines perdues. Les années de guerre furent humides. Beaucoup de gens disaient que les couches supérieures de l'atmosphère étaient ébranlées par les coups de canon tirés en Europe. On en discutait sérieusement dans les journaux et entre amis. Nous n'envoyâmes pas beaucoup de troupes en France durant ce premier hiver, mais des millions de soldats à l'entraînement s'apprêtaient à partir. La guerre, toute horrible qu'elle fût, était passionnante. Les Allemands n'avaient pas été repoussés. En fait, ils avaient repris l'initiative, avançant méthodiquement sur Paris, et Dieu sait quand ils pourraient être arrêtés, si toutefois c'était possible. Si nous devions être sauvés, c'était le général Pershing qui s'en chargerait. Sa magnifique silhouette martiale apparaissait chaque jour dans tous les journaux. Il avait une mâchoire de granit, et sa tunique ne faisait pas de plis. C'était le parangon du parfait soldat. Nul ne savait ce qu'il pensait réellement. Nous savions que nous ne pouvions pas perdre, et pourtant nous semblions aller à la défaite. On ne trouvait plus de farine blanche, à moins d'acheter quatre fois plus de farine noire. Ceux qui pouvaient se le permettre mangeaient du pain blanc et donnaient la farine noire en pâtée à leurs volailles. Dans la vieille salle d'armes, la Milice communale, composée d'hommes de plus de cinquante ans, faisait l'exercice deux fois par semaine, en veste d'uniforme et bonnet de campagne. Ils se jetaient des ordres les uns aux autres et se chamaillaient sans cesse pour savoir qui commanderait les autres. William C. Burt mourut sur le plancher de la salle d'armes au beau milieu d'un pugilat. Son coeur ne l'avait pas supporté. Il y avait aussi les « Hommes Minute « que l'on appelait ainsi parce qu'ils faisaient de petits discours d'une minute pour le salut de l'Amérique, dans les salles de cinématographe et les églises. Ils portaient aussi des atours martiaux. Les femmes roulaient des bandages, paradaient dans des uniformes de la Croix-Rouge, et se prenaient pour des anges de charité. Chacune tricotait quelque chose pour quelqu'un. La mode était aux poignets, petits tubes de laine destinés à empêcher le vent de pénétrer dans les manches des soldats, et aux passe-montagnes avec un trou à l'emplacement des yeux. Ces derniers étaient conçus pour empêcher les casques de métal de geler sur la tête. Chaque parcelle de beau cuir était utilisée pour la fabrication des bottes et des élégants ceinturons Sam Browne, réservés aux officiers, ceinturons composés d'une large ceinture et d'une sangle qui traversait la poitrine et passait sous l'épaulette gauche. Ils étaient copiés sur ceux des Britanniques qui avaient sans doute oublié leur fonction première, soutenir une lourde épée, je suppose. On ne portait plus d'épée qu'à la parade, mais un officier ne voulait pas mourir sur le champ de bataille sans un ceinturon Sam Browne. Ceux de bonne qualité coûtaient vingt-cinq dollars. Les Britanniques nous apprirent beaucoup de choses, et, si nous les copiâmes, c'est parce qu'ils étaient de valeureux combattants. Les hommes commencèrent à porter leur mouchoir dans leur manche, et certains petits gandins de lieutenants ne se promenèrent plus sans un jonc à la main. Toutefois, il est une mode à laquelle nous résistâmes longtemps : la montre bracelet. C'était vraiment trop idiot. Nous avions aussi nos ennemis de l'intérieur, et nous exercions une grande vigilance. San José faisait la chasse aux espions et Salinas n'allait pas se laisser damer le pion - Salinas était une grande ville. Depuis vingt ans qu'il était installé à Salinas, Mr. Fenchel faisait des costumes sur mesure. C'était un petit homme rondouillard avec un accent rigolo. Il travaillait toute la journée dans sa petite boutique d'Alisal Street, et, le soir, il rentrait à pied vers sa petite maison de Central Avenue. Il en repeignait sans cesse les murs et la clôture blanche qui délimitait son jardin. Personne n'avait remarqué son accent jusqu'au jour où la guerre éclata. Soudain nous comprîmes. C'était un accent allemand. Nous avions enfin un Allemand bien à nous. Cela ne lui servit à rien de se ruiner à acheter des Bons de la Défense. C'était trop facile ! La milice régionale ne voulait pas l'arrêter. Introduire un espion dans les locaux de la Défense nationale ? Jamais ! Et qui aurait porté un costume taillé par un ennemi ? Personne ! Mr. Fenchel continua d'aller à sa boutique, mais toute la journée il cousait, bordait, couturait le même morceau de tissu. Nous fûmes extrêmement cruels avec Mr. Fenchel. C'était notre Allemand. Il passait devant notre maison tous les jours et il y avait eu une époque où il s'adressait à chaque homme, chaque femme, chaque enfant, chaque bête, et où tout le monde lui répondait. Désormais, plus personne ne lui parlait, et, en y repensant, je revois son pauvre visage où se peignaient la tristesse, la solitude et l'amour-propre blessé. Ma petite soeur et moi jouâmes notre rôle envers Mr. Fenchel, et c'est un de ces souvenirs amers que je ne puis évoquer sans avoir le front en sueur et la gorge serrée. Un soir que nous étions dans notre jardin, nous le vîmes avancer sur le trottoir d'en face à petits pas. Son chapeau noir bien propre était posé droit sur sa tête. Je ne me rappelle pas si nous nous étions concertés, mais cela ne m'étonnerait pas, car nous réalisâmes avec brio notre attaque. Lorsqu'il s'approcha, ma soeur et moi traversâmes la rue, côte à côte. Mr. Fenchel leva la tête et nous vit qui nous dirigions vers lui. Nous nous arrêtâmes dans le ruisseau à son passage. Un sourire éclaira son visage, et il dit : « Ponzoir Chon, Ponzoir Mary. « Nous restâmes immobiles côte à côte, puis nous lançâmes en choeur : « Hoch der Kaiser ! « Je revois son visage, ses grands yeux bleus, son regard innocent et stupéfait. Il voulut dire quelque chose, puis il se mit à pleurer. Il n'essaya même pas de se défendre, de dire qu'il n'était pas Allemand. Rien. Il resta immobile, sanglotant. Alors Mary et moi tournâmes les talons, traversâmes la rue et rentrâmes dans notre jardin. Nous nous sentions horriblement coupables. Aujourd'hui encore. Nous étions trop jeunes pour nous attaquer à Mr. Fenchel. Aussi ce furent des hommes solides - une trentaine environ - qui s'en chargèrent. Un samedi soir, ils se réunirent dans un bar, et, en colonne, par quatre dévalèrent Central Avenue en criant : « Hurrah ! Hurrah ! « Ils arrachèrent la clôture blanche de Mr. Fenchel et mirent le feu à sa maison. Aucun de ces enfants de pute de salauds de fils de Kaiser ne ferait la loi chez nous. Désormais Salinas pouvait tenir la dragée haute à San José. Ceci eut le don d'exciter ceux de Watsonville. Ils trempèrent dans le goudron et emplumèrent un Polonais qu'ils avaient pris pour un Allemand. Il avait un accent. Nous autres, à Salinas, nous fîmes ce que l'on fait inévitablement lorsqu'il y a la guerre et nous pensâmes de même. Nous poussâmes des cris de joie lorsque les nouvelles

« Les Britanniques nousapprirent beaucoup dechoses, et,sinous lescopiâmes, c’est parce qu’ilsétaient devaleureux combattants.

Leshommes commencèrent àporter leur mouchoir dansleurmanche, etcertains petitsgandins delieutenants nesepromenèrent plus sans unjonc àla main.

Toutefois, ilest une mode àlaquelle nousrésistâmes longtemps : lamontre bracelet.

C’étaitvraiment tropidiot. Nous avions aussinosennemis del’intérieur, etnous exercions unegrande vigilance. San José faisait lachasse auxespions etSalinas n’allaitpasselaisser damer lepion – Salinas étaitunegrande ville. Depuis vingtansqu’il était installé àSalinas, Mr.Fenchel faisaitdescostumes sur mesure.

C’étaitunpetit homme rondouillard avecunaccent rigolo.

Iltravaillait toutela journée danssapetite boutique d’AlisalStreet,et,lesoir, ilrentrait àpied verssapetite maison deCentral Avenue.

Ilen repeignait sanscesse lesmurs etlaclôture blanche qui délimitait sonjardin.

Personne n’avaitremarqué sonaccent jusqu’au jouroùlaguerre éclata.

Soudain nouscomprîmes.

C’étaitunaccent allemand.

Nousavions enfinun Allemand bienànous.

Celanelui servit àrien deseruiner àacheter desBons dela Défense.

C’étaittropfacile ! La milice régionale nevoulait pasl’arrêter.

Introduire unespion dansleslocaux dela Défense nationale ? Jamais !Etqui aurait portéuncostume tailléparunennemi ? Personne ! Mr.Fenchel continua d’alleràsa boutique, maistoute lajournée ilcousait, bordait, couturait lemême morceau detissu. Nous fûmes extrêmement cruelsavecMr.Fenchel.

C’étaitnotreAllemand.

Ilpassait devant notremaison touslesjours etilyavait euune époque oùils’adressait àchaque homme, chaquefemme, chaqueenfant,chaque bête,etoù tout lemonde luirépondait. Désormais, pluspersonne nelui parlait, et,enyrepensant, jerevois sonpauvre visage où sepeignaient latristesse, lasolitude etl’amour-propre blessé. Ma petite sœuretmoi jouâmes notrerôleenvers Mr.Fenchel, etc’est undeces souvenirs amersquejene puis évoquer sansavoir lefront ensueur etlagorge serrée. Un soir quenous étions dansnotre jardin, nouslevîmes avancer surletrottoir d’enface à petits pas.Sonchapeau noirbien propre étaitposé droit sursatête.

Jene me rappelle pas sinous nous étions concertés, maiscelanem’étonnerait pas,carnous réalisâmes avec brionotre attaque. Lorsqu’il s’approcha, masœur etmoi traversâmes larue, côte àcôte.

Mr.Fenchel levala tête etnous vitqui nous dirigions verslui.Nous nousarrêtâmes dansleruisseau àson passage.

Un sourire éclairasonvisage, etildit : « Ponzoir Chon,Ponzoir Mary. » Nous restâmes immobiles côteàcôte, puisnous lançâmes enchœur : « Hoch derKaiser ! » Je revois sonvisage, sesgrands yeuxbleus, sonregard innocent etstupéfait.

Ilvoulut dire quelque chose,puisilse mit àpleurer.

Iln’essaya mêmepasdesedéfendre, dedire qu’il n’était pasAllemand.

Rien.Ilresta immobile, sanglotant.

AlorsMaryetmoi tournâmes lestalons, traversâmes larue etrentrâmes dansnotre jardin.

Nousnous sentions horriblement coupables.Aujourd’hui encore. Nous étions tropjeunes pournous attaquer àMr.

Fenchel.

Aussicefurent deshommes solides –une trentaine environ–qui s’en chargèrent.

Unsamedi soir,ilsseréunirent dans unbar, et,encolonne, parquatre dévalèrent CentralAvenue encriant : « Hurrah ! Hurrah ! » Ilsarrachèrent laclôture blanche deMr.

Fenchel etmirent lefeu àsa maison.

Aucundeces enfants depute desalauds defils deKaiser neferait laloi chez nous.

Désormais Salinaspouvait tenirladragée hauteàSan José. Ceci eutledon d’exciter ceuxdeWatsonville.

Ilstrempèrent danslegoudron et emplumèrent unPolonais qu’ilsavaient prispour unAllemand.

Ilavait unaccent. Nous autres, àSalinas, nousfîmes ceque l’on faitinévitablement lorsqu’ilya la guerre et nous pensâmes demême.

Nouspoussâmes descris dejoie lorsque lesnouvelles. »

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