CHAPITRE PREMIER Une nuit sur deux, Quentin Albert descendait le Yang-tsé-kiang
Publié le 05/11/2013
Extrait du document
«
l’affermir
danslespremiers jours.Cen’est queparlasuite, trèstard, qu’ilavait prisdesremèdes encachette.
Les nuits qu’ilnedescendait pasleYang-tsé-kiang, Quentinserevoyait couchéàplat ventre dansunherbage
de lacôte normande, latête appuyée contrel’argenterie, marquéeH.S.,del’hôtel Stella.Desouples fusées
vénéneuses sebalançaient au-dessusdestroupes allemandes quiabandonnaient lesbains demer.
Lefeu roulait
dans leciel, l’ombre s’émouvait surlaterre.
Auflanc desétables, deschars d’assaut froissaient leurslitières ; des
projecteurs s’allumaient enjets depoignards, àhauteur d’homme ; quatresoldats décoiffés apparaissaient
cloués aumur calciné contrelequelilssedéboutonnaient ingénument,lenez surletorchis, aucoude àcoude,
comme desotages.
Auloin, verslerivage, lesperles delaManche seretournaient l’uneaprès l’autre dansleurs
écrins fumants.
Quentin,blottisousunpommier, souffraitdesetaire.
Ces images illustraient untournant desavie, l’option àlaquelle laguerre enson crépuscule l’avaitcontraint,
sans crier gare.
Elleavait mislongtemps àle rejoindre, cetteguerre fardéedejeunesse qu’ilappelait sousla
couette, dèsque Suzanne avaittourné ledos.
Etvoilà qu’elle étaitvenue, toutepourrie, rôderautour delui, le
provoquer, ledésigner àl’impuissance.
Quandons’est bien misdans latête quecesont lesputains quinous
choisissent, l’existencen’estpassimplifiée pourautant.
Aulendemain dudébarquement, l’ennemiavaitordonné
l’évacuation totaledeTigreville.
L’hôtelStella,transformé enbastringue parl’occupation, sechangea en
blockhaus sansqu’Albert eûtàintervenir.
Poursagrande gueule, soumise àrude épreuve durantquatreannées,
ce fut lecoup degrâce.
Ilrefusa d’accompagner safemme, repliéesurLisieux avecdeux malles etles papiers de
famille, demeura seulàla limite delazone interdite, énormesouslecataclysme.
Dumatin ausoir onlevoyait
tituber entrelesgravats, affubléd’uncasque colonial dontils’autorisait pourgravir sonperron ettraiter en
marmitons lessentinelles, sesanciens clients.Aucouchant délicieusement nomade,ilse réfugiait dansune
ferme désertée, serrantdansunbaluchon detrimardeur lestrésors qu’ils’employait àdistraire audésastre
imminent.
Hautes,désolées, lescampagnes attendaient.
Paslongtemps.
Lesnuits, modestes, s’ingéniaient à
raccourcir pourlaisser toutelascène auxjournées historiques.
Bientôtl’aubedéployait sesfilets.
Étendu dansla
luzerne, Alberts’amusait àdénombrer lesmerveilles piégéesauxnasses dusommeil : amantsencoretièdes,
comestibles sil’on prend soind’enlever lecœur ; ivrognes dontlesescalopes ontbeaucoup macérédansles
marinades aromatiques ; célibatairessurcanapés, odieuxauxblanchisseuses.
Cesgrappes denoyés, àpeine
moins réelsqueceux quelamarée alignait surlagrève, remontaient àla surface desamémoire etilles
accueillait avecdesmots oubliés.
L’homme estunlent etpatient plongeur.
Pourlapremière foisdepuis son
service militaire, labelle étoile luiétait rendue, commeenChine.
Mieux, le13 juillet 1944,uneconjuration deprojectiles s’assembla surTigreville, enjeudérisoire.
Desvillas
qui n’avaient pasvulesoleil depuis l’impératrice Eugénies’ouvraient commedesmaisons depoupées ausoleil
de minuit ; leclocher fenduendeux découpait surl’horizon unesilhouette deplongeoir ; lecasino depacotille
sautait àtout-va.
Danslebrouillard sulfureuxquienveloppait lafalaise, Quentin devinaquel’œuvre desavie
étroite menaçait des’écrouler, etavec ellelebavardage etl’écœurement desjours.
L’oiseau del’avenir,
malheureux danssacage, sereprit àchanter surlaplus haute note.Ladéchirure allègreetpoignante d’un
divorce s’installa chezAlbert.
Cequ’il n’avait paseul’audace ouledégoût d’entreprendre, bouclersonsac,
claquer desportes, luidont lemétier profond étaitdemaintenir lasienne ouverte, labataille étaitentrain dele
prendre àsa charge.
Là-bas, descomparses semassacraient pourrectifier sondestin.
Lavieille guerre crochue
adoptait enfincevisage magique oùun coup decanon, comme uncoup debaguette, changelescitrouilles en
carrosses eten charrettes àbras.
Lebel oiseau del’avenir s’endonnait àcœur joie.
Pourtant, Quentinsesentait peuenclin auxgalipettes, surtoutensociété.
Ceque l’aventure laissaitprésager
de comparutions devantlestribunaux intimes,touscesjurys quotidiens quivous voient venir,lavanité enlui de
cette grande espérance d’entreprendre sinoble chezl’adolescent, l’accablèrent brutalement.
Jadis,laRépublique
lui avait offert sapart detropiques, desaké, decongaïs.
Bon.Mais quand ons’en remet àla R.A.F.
ouàla
Luftwaffe dusoin debriser deschaînes detrente ans,c’est qu’on estfait pour elles.
Verstrois heures dumatin,
comme ilévoquait Suzanneenexil, assise sursesvalises, aupied d’une basilique, victimedésignée pourles
soupes populaires, laperspective des’en aller surleschemins aveccette innocente luiparut atroce.
Les
événements semblaientdécidésàne pas leconsulter ; ilavait troppeud’arguments àjeter surletapis, saufà
offrir enholocauste lejardin farouche del’ivresse, cesarpents tourmentés oùilavait satanière.
Iln’hésita pasà
jouer sonroyaume enl’éclair d’uninstant : « Sijerentre dansmonhôtel, siSuzanne àla tombée dujour rallume
l’enseigne, quiestnotre signedevie, siun voyageur attiréparcette veilleuse medemande saclef, jamais plusje
ne toucherai àun verre, jamais plus !… » Lenom deDieu invoqué surceserment d’ivrogne s’étaitperdudansle
fracas dubombardement, àtravers lequelQuentin, lafigure enfouie soussonbataclan, écoutaitpassionnément
bruire contre sonoreille lepouls métallique despetites cuillères.
À quelque tempsdelà, chassé parlescombats defossés enchemins creux,ildécréta qu’ilnecéderait plusun
mètre deterrain devantcetteadversité innommable quil’éloignait dechez lui.Une accalmie sedessinant, ilse
posta surlebord delaroute pourfairedel’auto-stop, ainsiqu’ilenavait usédurant lesdernières années.Le
véhicule quiseprésenta, unechenillette anglaisepourchanger, acceptadeleprendre àbord.
Revenant à.
»
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