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  Chapitre I La vallée de la Salinas est en Californie du Nord.

Publié le 30/10/2013

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  Chapitre I La vallée de la Salinas est en Californie du Nord. C'est un long sillon à fond plat entre deux chaînes de montagnes. La rivière y déroule ses méandres jusqu'à la baie de Monterey. Je me rappelle mes noms d'enfance pour les plantes et les fleurs secrètes de la Vallée, la cachette de chacun de ses crapauds et l'heure estivale où s'éveillent ses oiseaux. Je me rappelle ses saisons et ses arbres, ses gens et leur démarche ; je me rappelle même ses odeurs. La mémoire olfactive est très riche. Je me rappelle les monts du Gabilan qui dominaient la Vallée à l'Est, monts clairs et gais, pleins de soleil et de joliesse, monts fascinants dont on avait envie de gravir les sentiers tièdes comme on désire escalader les genoux d'une mère chérie. C'étaient de séduisantes montagnes sous leur parure d'herbe brûlée. À l'Ouest, la chaîne de Santa Lucia se découpait sur le ciel, écran entre la mer et la Vallée, masse sombre et secrète inamicale et dangereuse. J'ai toujours eu peur de l'Ouest, j'ai toujours aimé l'Est. Je ne saurais dire pourquoi. Peut-être parce que le matin naissait des Gabilans et que la nuit tombait des crêtes de Santa Lucia. Peut-être les sentiments que j'éprouvais pour les deux montagnes étaient-ils liés à la naissance et à la mort du jour. De chaque côté de la Vallée, des torrents dévalaient les gorges pour se jeter dans la Salinas. Au cours des hivers pluvieux, les torrents s'enflaient et venaient grossir la Salinas qui, bouillonnante et furieuse, quittait son lit pour détruire. Elle entraînait la terre des fermes riveraines ; elle arrachait et charriait granges et maisons ; elle prenait au piège et noyait dans son flot bourbeux vaches, cochons et moutons, et les roulait vers la mer. Puis, avec la fin du printemps, la rivière regagnait son lit et les bancs de sable apparaissaient. En été, elle se terrait. De l'élément liquide, seules subsistaient des flaques à l'emplacement des tourbillons hivernaux. L'herbe reculait et les saules se redressaient, empanachés de débris. La Salinas n'était qu'une rivière saisonnière et capricieuse, tour à tour dangereuse et timide - mais nous n'avions que celle-là et nous en étions fiers. On peut être fier de n'importe quoi si c'est tout ce que l'on a. Moins on possède, plus il est nécessaire d'en tirer vanité. Entre les deux chaînes de montagnes, au pied des contreforts, le sol de la Vallée est de niveau, car c'était, il y a des siècles, le fond d'un fjord d'une centaine de milles de long. L'embouchure de la rivière - où se trouve actuellement Moss Landing - formait, il y a des centaines d'années, le goulet de ce long bras de mer. Un jour, à l'intérieur des terres, mon père creusa un puits. La sonde rencontra d'abord une couche d'humus, puis des graviers. Ensuite vint du sable blanc mêlé de coquilles et même de débris d'os de baleine. Sous la couche de vingt pieds de sable, c'était à nouveau la terre végétale. La sonde traversa une pièce de séquoia, ce bois rouge qui ne pourrit pas. Avant d'être une mer, la Vallée avait été une forêt. Parfois, la nuit, je devinais la forêt de séquoias et la mer qui l'avait engloutie. Sur les terres plates la couche d'humus était épaisse et fertile. Il suffisait d'un bon hiver pluvieux pour qu'elle se couvrît d'herbe et de fleurs. La floraison de printemps, les années humides, était un spectacle incroyable. Le fond de la Vallée et les contreforts des collines se paraient d'un tapis de lupins et de pavots. Une femme m'a dit un jour que, pour mettre en valeur un bouquet de fleurs colorées, il fallait y ajouter quelques espèces blanches. Chaque pétille de lupin est cerné de blanc et les champs sont d'un bleu inimaginable. Des atolls de pavots émergeaient ça et là, d'une couleur brûlante. Si l'or en fondant émettait des vapeurs et que l'on puisse les recueillir, peut-être auraient-elles la couleur du pavot de Californie. Ensuite venait la saison de la moutarde jaune. Elle était si haute lorsque mon grand-père arriva dans la Vallée qu'un homme à cheval la dépassait seulement de la tête. Sur les terres hautes, l'herbe était semée de boutons d'or, de primevères et de pensées jaunes à coeur noir. Un peu plus tard, on voyait apparaître des bouquets de castillèje rouge et jaune. C'était la flore des grands espaces exposés au soleil. Sous les chênes verts, dans la lumière tamisée, les cheveux de Vénus embaumaient. Sur les bords des ruisseaux pendaient des bouquets de cétéracs. Et puis, il y avait les jacinthes, petites lanternes d'un blanc ivoire, fleurs magiques et rares dont l'aspect même éveillait l'idée de péché. L'enfant qui en trouvait une se sentait magnifié, isolé du monde pour toute la journée. Quand venait le mois de juin, l'herbe s'étiolait et la Vallée tournait au brun, mais un brun où n'entrait que de l'or, du safran et du rouge. Alors, jusqu'aux prochaines pluies, la terre se desséchait et les cours d'eau tarissaient. Des craquelures apparaissaient sur le sol uni. La Salinas était épongée par son lit de sable. Le vent soufflait dans la Vallée, soulevant poussière et paille, gagnant en force et en âpreté comme il descendait vers le Sud. Il desséchait la gorge, irritait la peau et brûlait les yeux. Les hommes aux champs portaient des lunettes et se protégeaient le nez par un mouchoir noué sous les yeux. Le vent tombait le soir. La couche de terre végétale était épaisse au fond de la Vallée, mais elle s'amincissait sur les contreforts. Plus on montait, plus elle s'amenuisait, dénudant la roche, pour n'être plus, à la limite de la garrigue, qu'un tapis de silex qui brûlait les yeux sous le soleil. Jusqu'ici je n'ai parlé que des années fastes où les pluies étaient abondantes. Mais il y avait aussi les années sèches, terreur de la Vallée. L'eau suivait un cycle étalé sur trente ans : d'abord venait cinq ou six magnifiques années humides avec dix-neuf à vingt-cinq pouces d'eau ; c'était un débordement d'herbe. Puis, six ou sept bonnes années avec leurs douze à seize pouces ; ensuite c'étaient les années sèches avec leurs maigres sept à huit pouces. La terre durcissait, les plantes ne trouvaient pas la force de pousser et la pelade dénudait la Vallée. Les chênes verts semblaient pétrifiés et l'armoise était grise. Le sol se fendillait, les ruisseaux tarissaient, le bétail mâchonnait des ramilles sèches ; les vaches maigrissaient et quelquefois crevaient de faim. Les gens, s'ils voulaient boire, devaient aller chercher leur eau dans des barriques. Alors les fermiers et les éleveurs maudissaient leur Vallée. Des familles vendaient pour une bouchée de pain et s'en allaient. C'était immanquable : pendant les années sèches, les gens oubliaient les années prospères et, dès que la pluie revenait, ils oubliaient la sécheresse. Il en était toujours ainsi. Telle était la longue vallée de la rivière Salinas. Son histoire était celle de tout le pays. Il y avait d'abord eu des Indiens, mais d'une race dégénérée, sans énergie, incapables d'inventer ou de cultiver, se nourrissant de pucerons, de sauterelles et de coquillages, trop paresseux pour chasser ou pêcher, mangeant ce qui se présentait, ne cultivant pas et broyant des glands en guise de farine. Leurs guerres mêmes n'étaient que pitoyables pantomimes. Puis vinrent les conquérants espagnols, gens durs, voraces et réalistes. Zélateurs farouches et joailliers experts, ils collectèrent les âmes et les pierres précieuses. Ils passèrent au crible les monts et les vallées, ils ratissèrent les horizons. Certains d'entre eux s'établirent sur des terres grandes comme des royaumes, dons de rois d'Espagne ignorant la valeur du cadeau. Ils vécurent une vie de féodaux pauvres. Leurs troupeaux paissaient en liberté et se multipliaient. Périodiquement, les propriétaires tuaient les bêtes pour en tirer le cuir des bottes et le suif des chandelles et laissaient la viande aux vautours et aux coyotes. Lorsqu'ils arrivèrent, les Espagnols durent baptiser tout ce qu'ils voyaient. C'est le
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« inimaginable. Desatolls depavots émergeaient çaetlà, d’une couleur brûlante.

Sil’or en fondant émettait desvapeurs etque l’on puisse lesrecueillir, peut-êtreauraient-elles la couleur dupavot deCalifornie.

Ensuitevenaitlasaison delamoutarde jaune.Elleétait si haute lorsque mongrand-père arrivadanslaVallée qu’unhomme àcheval la dépassait seulement delatête.

Surlesterres hautes, l’herbeétaitsemée deboutons d’or, de primevères etde pensées jaunesàcœur noir.Unpeu plus tard, onvoyait apparaître des bouquets decastillèje rougeetjaune.

C’était laflore desgrands espaces exposés au soleil.

Sous leschênes verts,danslalumière tamisée, lescheveux deVénus embaumaient.

Sur les bords desruisseaux pendaient desbouquets decétéracs.

Etpuis, ilyavait les jacinthes, petiteslanternes d’unblanc ivoire, fleursmagiques etrares dontl’aspect même éveillait l’idéedepéché.

L’enfant quientrouvait unesesentait magnifié, isolédu monde pourtoute lajournée. Quand venaitlemois dejuin, l’herbe s’étiolait etlaVallée tournait aubrun, maisun brun oùn’entrait quedel’or, dusafran etdu rouge.

Alors,jusqu’aux prochaines pluies, la terre sedesséchait etles cours d’eautarissaient.

Descraquelures apparaissaient surle sol uni.

LaSalinas étaitépongée parson litde sable.

Levent soufflait danslaVallée, soulevant poussièreetpaille, gagnant enforce eten âpreté comme ildescendait versle Sud.

Ildesséchait lagorge, irritait lapeau etbrûlait lesyeux.

Leshommes auxchamps portaient deslunettes etse protégeaient lenez parunmouchoir nouésouslesyeux.

Le vent tombait lesoir. La couche deterre végétale étaitépaisse aufond delaVallée, maiselles’amincissait sur les contreforts.

Plusonmontait, pluselles’amenuisait, dénudantlaroche, pourn’être plus, àla limite delagarrigue, qu’untapisdesilex quibrûlait lesyeux souslesoleil. Jusqu’ici jen’ai parlé quedesannées fastesoùles pluies étaient abondantes.

Maisily avait aussi lesannées sèches, terreurdelaVallée.

L’eausuivait uncycle étalésurtrente ans : d’abord venaitcinqousix magnifiques annéeshumides avecdix-neuf àvingt-cinq pouces d’eau ;c’étaitundébordement d’herbe.Puis,sixousept bonnes annéesavec leurs douze àseize pouces ; ensuitec’étaient lesannées sèchesavecleurs maigres septà huit pouces.

Laterre durcissait, lesplantes netrouvaient paslaforce depousser etla pelade dénudait laVallée.

Leschênes vertssemblaient pétrifiésetl’armoise étaitgrise. Le sol sefendillait, lesruisseaux tarissaient, lebétail mâchonnait desramilles sèches ; les vaches maigrissaient etquelquefois crevaientdefaim.

Lesgens, s’ilsvoulaient boire, devaient allerchercher leureaudans desbarriques.

Alorslesfermiers etles éleveurs maudissaient leurVallée.

Desfamilles vendaient pourunebouchée depain ets’en allaient.

C’étaitimmanquable : pendantlesannées sèches, lesgens oubliaient lesannées prospères et,dès que lapluie revenait, ilsoubliaient lasécheresse.

Ilen était toujours ainsi.

Telle étaitlalongue valléedelarivière Salinas.

Sonhistoire étaitcelle detout lepays.

Il y avait d’abord eudes Indiens, maisd’une racedégénérée, sansénergie, incapables d’inventer oudecultiver, senourrissant depucerons, desauterelles etde coquillages, trop paresseux pourchasser oupêcher, mangeant cequi seprésentait, necultivant pas et broyant desglands enguise defarine.

Leursguerres mêmesn’étaient quepitoyables pantomimes.

Puis vinrent lesconquérants espagnols,gensdurs, voraces etréalistes.

Zélateurs farouches etjoailliers experts,ilscollectèrent lesâmes etles pierres précieuses.

Ils passèrent aucrible lesmonts etles vallées, ilsratissèrent leshorizons.

Certainsd’entre eux s’établirent surdes terres grandes commedesroyaumes, donsderois d’Espagne ignorant lavaleur ducadeau.

Ilsvécurent uneviedeféodaux pauvres.

Leurstroupeaux paissaient enliberté etse multipliaient.

Périodiquement, lespropriétaires tuaientles bêtes pourentirer lecuir desbottes etlesuif deschandelles etlaissaient laviande aux vautours etaux coyotes. Lorsqu’ils arrivèrent, lesEspagnols durentbaptiser toutcequ’ils voyaient.

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