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« Chacun marche gaiement au crime sous la bannière de son saint »

Publié le 02/03/2011

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La famine, la peste et la guerre sont les trois ingrédients les plus fameux de ce bas monde. On peut ranger dans la classe de la famine toutes les mauvaises nourritures où la disette nous force d'avoir recours pour abréger notre vie dans l'espérance de la soutenir. On comprend dans la peste, toutes les maladies contagieuses, qui sont au nombre de deux ou trois mille. Ces deux présents nous viennent de la Providence ; mais la guerre qui réunit tous ces dons, nous vient de l'imagination de trois ou quatre cents personnes, répandues sur la surface de ce globe, sous le nom de princes ou de ministres ; et c'est peut-être pour cette raison que dans plusieurs dédicaces on les appelle les images vivantes de la Divinité. [...] Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement, avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n'en remercie point Dieu; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que pour comble de grâce quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. La religion naturelle a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née n'en a pas la volonté, une âme tendre s'en effraie. Elle se représente un Dieu juste et vengeur ; mais la religion artificielle encourage à toutes les cruautés qu'on exerce de compagnie, conjurations, séditions, brigandages, embuscades, surprises de villes, pillages, meurtres. Chacun marche gaiement au crime sous la bannière de son saint. On paie partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières ; les uns sont vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau écourté ; les autres ont une chemise par-dessus une robe ; quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée, pardessus leur chemise. Le reste de l'année ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points et par antithèses que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin sur leurs joues fraîches, seront l'objet éternel des vengeances éternelles de l'Éternel ; que Polyeucte et Athalie sont les ouvrages du démon ; qu'un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée un jour de carême, fait immanquablement son salut ; et qu'un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables. [... ] Les malheureux harangueurs parlent sans cesse contre l'amour qui est la seule consolation du genre humain, et la seule manière de le réparer ; ils ne disent rien des efforts abominables que nous faisons pour le détruire. [...] Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingles, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière. Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à 20 ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux qui s'ouvrent pour la dernière fois voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirant sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas? DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE, ARTICLE « GUERRE «, 1764.   

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