chacun connaissait déjà la menace : une flotte pacifique formée à Djakarta et qui attendait l'aube pour lever l'ancre vers le paradis blanc.
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
XXXV
Clément
Dioregarda samontre pourlacentième fois.Ellemarquait minuitmoinsdix.Voilà cinqheures déjàques’étaient
tus lesderniers chantsd’ivrognes, souventaccompagnés duchoc sourd d’uncorps fauché parlesommeil etl’alcool.
L’une
de ces brutes semblait avoirtenulecoup pluslongtemps quelesautres, carvers dixheures dusoir, IrisNan-Chan avait
encore gémifaiblement.
Toutd’abord, elleavait crié,trèsvite, alors qu’on venait àpeine d’enfermer Diodans cestoilettes
du troisième étageoùilgisait depuis quarante heures,réduitàun état deprostration voisindel’hébétude.
Puiselleavait
hurlé, souvent, maisseshurlements neparvenaient pasàcouvrir lesrires deceux quil’entouraient, enbas, dans lebar de
l’hôtel.
Ensuite elleavait supplié, etdes bribes deses implorations montaientjusqu’àClément Dioquand s’interrompait un
instant l’épouvantable choeurdesvoix ivres.
Enfin, elleavait ri,car onavait dûlafaire boire, etson rireméconnaissable
avait frappé Dioenplein coeur, leclouant presque inanimé surlesol froid destoilettes, lesyeux secsd’avoir troppleuré.
Durant lesdernières heuresducauchemar, lerire d’Iris Nan-Chan s’étaitéteintpeuàpeu pour faireplace àces
gémissements queDio percevait nettement, carlevacarme s’étaitapaisé, àla façon d’une tempête comblée parl’excès de
ses ravages.
Cesilence detombeau n’avaitplusététroublé queparlepassage surlaroute, versonze heures, d’unecolonne
de camions descendant àtoute allure verslamer, sansdoute lecommando demarine ducol delaFaye quirejoignait ses
positions.
Minuitmoinsdix.Dioentendit despasdans l’escalier, puisdans lecorridor quiconduisait àsa prison...
Tout avait biencommencé, cependant,endépit desavertissements sarcastiquesducapitaine descommandos demarine.
Devant l’hôtelPréjoly, àSaint-Vallier, onavait arrêté savoiture, sansdoute parcequ’elle étaitrouge, étincelante, chromée,
hérissée dephares, d’antennes, ettapissée decuir, objet deluxe quelesmalheureux prisonnierspouvaientenfinpalper de
leurs doigts troplongtemps privésdetout contact raffiné.
Dios’était présenté.
Certainsleconnaissaient.
Sescampagnes,
menées avecsuccès enfaveur del’humanisation radicaledesprisons, l’avaient renducélèbre dansl’univers carcéral.Onse
souvenait del’éditorial quiavait faitbasculer lerégime pénitentiaire : « Lesdétenus dedroit commun sontànos yeux des
politiques, victimesd’unsystème socialqui,après lesavoir produits, serefuse àles rééduquer etse contente deles avilir et
de les rejeter.
Nuld’entre nousn’est sûrd’échapper àla prison.
Aujourd’hui moinsquejamais carsur notre viedetous les
jours, lequadrillage policierseresserre.
Onnous ditque lesprisons sontsurpeuplées.
Maissic’était lapopulation quiétait
emprisonnée ? » Onl’avait acclamé, puisemmené boireunverre àla santé delaliberté.
Luietsa femme s’étaient laissé
faire debonne grâce,l’expérience lesamusait.
Certainsavaientdéjàtropbu,lesArabes etles Noirs enparticulier, lebar
était maculé, jonchédebouteilles etde verres brisés, maistoutcela dans uneambiance bonenfant, unpeu comme un14
Juillet célébrant unevraie prisedelaBastille.
« Etjustement », avaitdemandé Dio,verre derhum enmain, « comment
l’avez-vous prisedel’intérieur, votreBastille ? » Onluiavait raconté.
Motifetmoteur : laflotte duGange.
Lesdétenus en
parlaient beaucoup entreeux,aufoyer delaprison, nemanquaient pasune information, nesautaient pasune ligne de
journal.
Surune carte dumonde, ilsplantaient chaquesoirunnouveau petitdrapeau.
L’aumônier sejoignait souvent àeux,
élevant ledébat ainsiquesonrôle l’exigeait.
Ilyvoyait unesorte desymbole, unseul messie àun million detêtes.
C’était
une image simple, propreàémouvoir desreclus hypersensibles quil’avaient aussitôtadoptée.
L’ambiance devenaitpresque
religieuse, d’unefaçontellement inhabituelle quelesmatons, saisisd’une sortedecrainte superstitieuse, seterraient,
assurant commedesombres leservice minimum quotidiendelaprison.
Touts’était passétrèssimplement.
Àl’issue dela
veillée duvendredi saint,alorsquelesgardiens dormaient dansleurs quartiers pourrespecter ladignité dusommeil des
détenus, l’aumônier avaitouvert lui-même lesportes delaprison, disantqueleChrist étaitmort pourtousetd’abord pour
les larrons...
« Ilavait promis qu’illeferait, maisquand même, onn’en revenait pas !Dieu saitoùilest, maintenant ? Je
vais vous dire,sile Gange débarque etqu’on lelaisse entrer, iln’y aura pasune porte deprison quirestera fermée cejour-
là... » Puisonavait causé.
Detout.
Delasociété quiestdégueulasse, desbourgeois quisont pourris defric, desouvriers
abrutis derrière leursmachines.
L’alcoolaidant,leton montait, maischezdeshommes rendusàla vie, cette excitation
semblait bienpardonnable.
« Moi »,expliquait unjeune gars,« j’avais mismon avenir enéquation : quaranteansàtrimer
comme uncon surune machine, outrois minutes àrisquer surungros coup pouremporter lepaquet.
J’airisqué, j’aiperdu
et on m’a fourré encabane : elleestpas dégueulasse, lasociété ? » Etcemême gars,uneheure plustard, ivre,levisage
mauvais : « Bon !C’estpastout ça !Ons’emmerde, ici.Leblablabla, c’estterminé ! Sion semarrait unpeu ? Sion se
marrait vraiment, lescopains ? D’abord,onvadanser.
Hein !majolie ! » Iln’était plustemps defaire retraite.
Lesdétenus
se battaient pourdanser, s’arrachant IrisNan-Chan desbras l’undel’autre, sibrutalement quesarobe tombait en
lambeaux.
Diotenta desefrayer unchemin jusqu’à safemme àtravers lameute enfolie.
« Toi, d’abord », ditquelqu’un,
« tu n’es qu’un bourgeois pourridefric.
Vous avezvusavoiture, àcette ordure ! Vouscroyez qu’ilnous défendait ? Pasdu
tout.
Ilfaisait monter sontirage etgagnait desmontagnes defric surnotre dos.Aujourd’hui, onserembourse.
Allez !
madame ! onpasse àla suite »...
Quelques détenuss’interposèrent.
Ils’ensuivit unecourte bataille oùles « récupérables »
eurent rapidement ledessous.
Sansdoute étaient-ils troppeunombreux ? Etl’on conduisit àcoups depied Clément Dio
aux toilettes dutroisième étage...
Les pass’arrêtèrent devantlaporte.
Dioentendit quel’on tournait laclef.
L’homme semblaitencoreivre,mais avait repris
ses esprits.
« Vouspouvez sortirdelà », dit-il d’untonmorne ethésitant, « lafête estfinie. » Ilréfléchit etajouta : « Je
crois qu’on s’excuse...
Onn’aurait pasdûvous enfermer, nous,desex-prisonniers.
Maisfautcomprendre : quandlaroue
tourne, fautqu’elle tourne...
Heu...Votrefemme estenbas.
Jecrois qu’on aété unpeu fortaudébut.
Maisrassurez-vous,
elle n’est pasabîmée.
Elledort.
Onluiafait boire unbon coup etaprès cela,toutaété beaucoup mieux.Heu...Moi,jene
l’ai pas touchée...
Salut ! »
L’hôtel empestait levin, letabac etles vomissures froides.Laplupart desvitres étaient cassées, onavait dûlancer des
bouteilles autravers.
Dansleschambres auxportes ouvertes, desdétenus ronflaient, affaléssurleslits non défaits.
Dio.
»
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