Carl Jung, Psychologie de l'inconscient
Publié le 16/03/2011
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« Il n'y a pas lieu de supposer qu'Adler ait rencontré des cas de névrose entièrement différents de ceux que Freud eut à traiter. Tous deux sont partis manifestement de matériaux cliniques analogues; mais comme ils virent, de par leur génie propre, les choses sous un aspect différent, ils développèrent des conceptions et des théories diamétralement opposées : Adler voit et conçoit comment un sujet qui se sent en infériorité et amoindri cherche à s'assurer une supériorité illusoire par des « protestations «, des « arrangements « et autres artifices appropriés, moyens qu'il utilise indifféremment vis-à-vis de ses parents, de ses éducateurs, de ses supérieurs, des autorités, auxquels il fait appel en face de situations difficiles ou pour « s'adapter « à des institutions, bref en présence de quelque obstacle que ce soit. La sexualité elle-même figure au nombre des artifices utilisables. Cette conception se fonde sur une exceptionnelle mise en relief du sujet, tandis que le caractère propre et l'importance de l'objet s'estompent complètement. Celui-ci n'entre guère en ligne de compte qu'en tant que porteur de tendances oppressives possibles à l'adresse du sujet. Je ne crois pas me tromper en supposant que l'amour et ses liens, de même que les autres désirs concernant les objets, constituent également aux yeux d'Adler des grandeurs essentielles ; mais, dans sa théorie des névroses, ils ne jouent pas le rôle principal que leur a conféré Freud. Freud, par contre, voit et conçoit ses malades dans une dépendance constante des objets importants de la vie et en rapport permanent avec eux. Le père et la mère jouent un rôle considérable; aux yeux de cet auteur, tout ce qui peut exister de conditionnement important dans la vie du malade et tout ce qui peut exercer une influence importante sur lui se ramène directement, par un rapport immédiat de cause à effet, à ces potentialités primordiales. Une pièce de résistance de sa théorie est la notion de transfert, c'est-à-dire ces rapports particuliers qui s'installent du malade au médecin. Toujours l'être aspire à un certain objet aux attributs précis, ou se défend de lui, et cela chaque fois en fonction d'un schéma de relations humaines acquis dans la première enfance, selon le modèle que lui offraient le père et la mère dans leurs relations entre eux et avec lui. Ce qui provient du sujet, c'est pour l'essentiel une soif aveugle de plaisir et de satisfaction, soif diffuse qui ne se colore de qualités déterminées qu'en fonction d'objets spécifiques. Chez Freud, ce sont les objets qui se voient dotés des significations majeures, qui possèdent presque exclusivement la force déterminante, tandis que le sujet reste curieusement insignifiant, n'étant en somme que la source d'une aspiration au plaisir et un théâtre d'angoisse. Comme nous l'avons déjà dit, Freud connaît bien des « instincts du moi «, mais déjà cette terminologie souligne qu'ily a un monde entre la représentation qu'il se fait du sujet et cette puissance déterminante qu'est pour Adler ce même sujet. Certes, à coup sûr, nos deux chercheurs conçoivent le sujet en relation avec l'objet; mais qu'ils voient cette relation sous des angles différents! Chez Adler, l'accent porte sur un sujet qui cherche à se mettre en sécurité et à dominer les objets et les choses quels qu'ils soient; chez Freud, au contraire, l'accent porte entièrement sur les objets qui, à cause de leurs propriétés spécifiques et précises, sont favorables ou défavorables aux aspirations hédoniques du sujet. Cette divergence ne peut guère être attribuée à autre chose qu'à une différence de tempérament, à un contraste entre deux types de mentalité humaine, dont l'un fait dériver l'efficience majeure essentiellement du sujet, tandis que l'autre fait au contraire dériver de l'objet les effets déterminants. Une opinion intermédiaire, grosso modo celle du sens commun, admettrait que l'activité humaine est conditionnée par le sujet autant que par l'objet. Nos deux chercheurs répondraient sans doute à cette objection que leur théorie ne vise pas à expliquer la psychologie de l'homme normal, mais qu'il s'agit d'une théorie des névroses. Si notre façon de voir l'opposition des deux savants est juste, il eût fallu souhaiter que Freud ait dû traiter et expliquer un certain nombre de ses cas de névroses à la manière d'Adler et qu'Adler ait dû se résoudre à prendre en sérieuse considération, pour certains de ses cas, les conceptions de son maître. Mais cela ne s'est produit ni d'un côté, ni de l'autre. La constatation de ce dilemme m'a amené à poser la question suivante : y a-t-il au moins deux types humains différents dont l'un s'attache davantage à l'objet qu'à lui-même et l'autre davantage à lui-même qu'à l'objet? Peut-on, de la sorte, expliquer que l'homme d'un de ces types ne voit qu'une chose, tandis que l'homme du type opposé ne voit que l'autre, et qu'en raison de cet état de choses ils aboutissent à des conclusions contradictoires? Comme nous le disions, il n'y avait pas lieu de supposer que le sort choisissait et triait Jes malades de façon si subtile que seuls ceux d'un certain groupe typologique s'adressaient chaque fois au praticien du même groupe. Certes, depuis longtemps, j'avais été surpris de constater, aussi bien à mon propos qu'à propos de mes confrères, qu'il est des cas avec lesquels, d'emblée, on se trouve de plain pied, tandis qu'il en est d'autres qui vous font l'impression d'être beaucoup plus étrangers. Pour le traitement, il est d'une importance déterminante de savoir si une bonne relation entre le malade et le médecin est possible ou non. S'il ne s'établit pas, dans un laps de temps relativement court, un certain rapport naturel de confiance qui va de soi, le malade ferait mieux de choisir un autre médecin. Je n'ai jamais craint ni manqué d'adresser et de recommander à un confrère un malade avec la nature duquel je me sentais trop peu d'affinité ou qui n'avait pas ma sympathie, et ceci dans l'intérêt le plus immédiat du malade. Car je suis sûr que, dans un cas de cette sorte, je n'aurais pas fourni du bon travail. Chacun a ses limitations personnelles, et le psychothérapeute en particulier fera bien de ne jamais les perdre de vue. De trop grandes divergences personnelles ou, a fortiori, des incompatibilités déterminent à une très grande échelle des résistances qui sont superflues et dont on ne saurait même dire qu'elles sont sans fondement. La controverse Freud Adler n'est au fond qu'un simple paradigme et un cas particulier des conflits que peuvent soulever les nombreux types d'attitude possible. Cari Jung, Psychologie de l'inconscient.
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