Devoir de Philosophie

Carl HEMPEL (1905-1997) Un raisonnement scientifique Pour illustrer de façon simple certains aspects importants de la recherche dans les sciences, prenons les travaux de Semmelweis sur la fièvre puerpérale.

Publié le 21/10/2016

Extrait du document

scientifique
Carl HEMPEL (1905-1997) Un raisonnement scientifique Pour illustrer de façon simple certains aspects importants de la recherche dans les sciences, prenons les travaux de Semmelweis sur la fièvre puerpérale. Ignace Semmelweis, médecin d'origine hongroise, réalisa ses travaux à l'hôpital général de Vienne de 1844 à 1848. Comme médecin attaché à l'un des deux services d'obstétrique - le premier - de l'hôpital, il se tourmentait de voir qu'un pourcentage élevé des femmes qui y accouchaient contractaient une affection grave et souvent fatale connue sous le nom de fièvre puerpérale. En 1844, sur les 3 157 femmes qui avaient accouché dans ce service n° 1, 260, soit 8,2 %, moururent de cette maladie ; en 1845 le taux de mortalité fut de 6,4 % et en 1846 il atteignit 11,4%. Ces chiffres étaient d'autant plus alarmants que, dans l'autre service d'obstétrique du même hôpital, qui accueillait presque autant de femmes que le premier, la mortalité due à la fièvre puerpérale était bien plus faible : 2,3, 2 et 2,7 % pour les mêmes années. Dans un livre qu'il écrivit ensuite sur les causes et sur la prévention de la fièvre puerpérale, Semmelweis a décrit ses efforts pour résoudre cette effrayante énigme. Il commença par examiner différentes explications qui avaient cours à l'époque : il en rejeta certaines d'emblée, parce qu'elles étaient incompatibles avec des faits bien établis ; les autres, il les soumit à des vérifications spécifiques. Une opinion très répandue imputait les ravages de la fièvre puerpérale à des « influences épidémiques », que l'on décrivait vaguement comme des « changements atmosphériques, cosmiques et telluriques » qui atteignaient toute une zone déterminée et causaient la fièvre puerpérale chez les femmes en couches. Mais, se disait Semmelweis, comment de telles influences peuvent-elles atteindre depuis des années l'un des services et épargner l'autre ? Et comment concilier cette opinion avec le fait que, tandis que cette maladie sévissait dans l'hôpital, on en constatait à peine quelques cas dans Vienne et ses environs ? Une véritable épidémie comme le choléra ne serait pas aussi sélective. Enfin, Semmelweis remarque que certaines des femmes admises dans le premier service, habitant loin de l'hôpital, avaient accouché en chemin : pourtant, malgré ces conditions défavorables, le pourcentage de cas mortels de fièvre puerpérale était moins élevé dans le cas de ces « naissances en cours de route » que ne l'était la moyenne dans le premier service. Selon une autre thèse, l'entassement était une cause de décès dans le premier service. Semmelweis remarque cependant que l'entassement était plus grand dans le second service, en partie parce que les patientes s'efforçaient désespérément d'éviter d'être envoyées dans le premier. II écarte aussi deux hypothèses du même genre, qui avaient cours alors, en remarquant qu'entre les deux services il n'y avait aucune différence de régime alimentaire, ni de soins. En 1846, une commission d'enquête attribua la cause du plus grand nombre des cas de cette maladie survenus dans le premier service aux blessures que les étudiants en médecine, qui tous y faisaient leur stage pratique d'obstétrique, auraient infligées aux jeunes femmes en les examinant maladroitement. Semmelweis réfute cette thèse en remarquant ceci : a) les lésions occasionnées par l'accouchement lui-même sont bien plus fortes que celles qu'un examen maladroit peut causer ; b) les sages-femmes, qui recevaient leur formation pratique dans le second service, examinaient de la même façon leurs patientes sans qu'il en résultât les mêmes effets néfastes ; c) quand, à la suite du rapport de la Commission, on diminua de moitié le nombre des étudiants en médecine et qu'on réduisit au minimum les examens qu'ils faisaient sur les femmes, la mortalité, après une brève chute, atteignit des proportions jusqu'alors inconnues. On échafauda diverses explications psychologiques. Ainsi, on remarqua que le premier service était disposé de telle façon qu'un prêtre apportant les derniers sacrements à une mourante devait traverser cinq salles avant d'atteindre la pièce réservée aux malades : la vue du prêtre, précédé d'un servant agitant une clochette, devait avoir un effet terrifiant et décourageant sur les patientes des cinq salles et les rendre ainsi plus vulnérables à la fièvre puerpérale. Dans le second service, ce facteur défavorable ne jouait pas, car le prêtre pouvait aller directement dans la pièce réservée aux malades. Semmelweis décida de tester la valeur de cette conjecture. Il convainquit le prêtre de faire un détour, de supprimer la clochette, pour se rendre discrètement et sans être vu dans la salle des malades. Mais la mortalité dans le premier service ne diminua pas. En observant que dans le premier service les femmes accouchaient sur le dos, et dans le second sur le côté, Semmelweis eut une nouvelle idée : il décida, « comme un homme à la dérive qui se raccroche à un brin de paille », de vérifier, bien que cette supposition lui parût peu vraisemblable, si cette différence de méthode avait un effet. Il introduisit dans le premier service l'utilisation de la position latérale, mais là encore, la mortalité n'en fut pas modifiée. Finalement, au début de 1847, un accident fournit à Semmelweis l'indice décisif pour résoudre son problème. Un de ses confrères, Kolletschka, lors d'une autopsie qu'il pratiquait avec un étudiant, eut le doigt profondément entaillé par le scalpel de ce dernier et il mourut après une maladie très douloureuse, au cours de laquelle il eut les symptômes mêmes que Semmelweis avait observés sur les femmes atteintes de la fièvre puerpérale. Bien que le rôle des micro-organismes dans les affections de ce genre ne fût pas encore connu à cette époque, Semmelweis comprit que la « matière cadavérique » que le scalpel de l'étudiant avait introduite dans le sang de Kolletschka avait causé la maladie fatale de son confrère. La maladie de Kolletschka et celle des femmes de son service évoluant de la même façon, Semmelweis arriva à la conclusion que ses patientes étaient mortes du même genre d'empoisonnement du sang : lui, ses confrères et les étudiants en médecine avaient été les vecteurs de l'élément responsable de l'infection. Car lui et ses assistants avaient l'habitude d'entrer dans les salles d'accouchement après avoir fait des dissections dans l'amphithéâtre d'anatomie et d'examiner les femmes en travail en ne s'étant lavé que superficiellement les mains, si bien qu'elles gardaient souvent une odeur caractéristique. Semmelweis mit alors son idée à l'épreuve. Il raisonna ainsi : s'il avait raison, la fièvre puerpérale pourrait être évitée en détruisant chimiquement l'élément infectieux qui adhérait aux mains. Il prescrivit donc à tous les étudiants en médecine de laver leurs mains dans une solution de chlorure de chaux avant d'examiner une patiente. La mortalité due à la fièvre puerpérale commença rapidement à baisser et, en 1848, elle tomba à 1,27 % dans ce premier service contre 1,33 dans le second. Comme confirmation supplémentaire de son idée, ou de son hypothèse, comme nous dirons aussi, Semmelweis remarque qu'elle rend compte du fait que la mortalité dans le second service avait toujours été nettement inférieure : les patientes étaient entre les mains de sages-femmes dont la formation ne comportait pas, en anatomie, de dissections de cadavres. L'hypothèse expliquait aussi la mortalité plus faible lors des « naissances en cours de route » : les femmes qui arrivaient avec leur bébé dans les bras étaient rarement examinées après leur admission et avaient par là même plus de chances d'éviter l'infection. De même, l'hypothèse rendait compte du fait que les nouveau-nés victimes de la fièvre puerpérale avaient tous pour mère une femme qui avait contracté la maladie pendant le travail ; car alors l'infection pouvait se transmettre au bébé avant la naissance par le sang irriguant la mère et l'enfant, alors que c'était impossible si la mère restait en bonne santé. D'autres expériences cliniques conduisirent bientôt Semmelweis à élargir son hypothèse. Une fois, par exemple, lui et ses assistants, après s'être désinfecté soigneusement les mains, examinèrent la première une femme en travail, qui souffrait d'un cancer purulent du col de l'utérus ; puis ils examinèrent douze autres femmes dans la même salle, après seulement un lavage de routine, sans nouvelle désinfection. Onze des douze patientes moururent de la fièvre puerpérale. Semmelweis en conclut qu'elle peut être causée, non seulement par la matière cadavérique, mais aussi par une « matière putride provenant d'organismes vivants ». 000200000060000021CA5B,Éléments d'épistémologie (1966), tr. B. Saint-Sernin, Paris, © Armand Colin, 1972, p. 5-9.
scientifique

« service, habitant loin de l'h?pital, avaient accouch? en chemin : pourtant, malgr? ces conditions d?favorables, le pourcentage de cas mortels de fi?vre puerp?rale ?tait moins ?lev? dans le cas de ces ??naissances en cours de route?? que ne l'?tait la moyenne dans le premier service.

Selon une autre th?se, l'entassement ?tait une cause de d?c?s dans le premier service.

Semmelweis remarque cependant que l'entassement ?tait plus grand dans le second service, en partie parce que les patientes s'effor?aient d?sesp?r?ment d'?viter d'?tre envoy?es dans le premier.

II ?carte aussi deux hypoth?ses du m?me genre, qui avaient cours alors, en remarquant qu'entre les deux services il n'y avait aucune diff?rence de r?gime alimentaire, ni de soins.

En 1846, une commission d'enqu?te attribua la cause du plus grand nombre des cas de cette maladie survenus dans le premier service aux blessures que les ?tudiants en m?decine, qui tous y faisaient leur stage pratique d'obst?trique, auraient inflig?es aux jeunes femmes en les examinant maladroitement.

Semmelweis r?fute cette th?se en remarquant ceci : a) les l?sions occasionn?es par l'accouchement lui-m?me sont bien plus fortes que celles qu'un examen maladroit peut causer ; b) les sages-femmes, qui recevaient leur formation pratique dans le second service, examinaient de la m?me fa?on leurs patientes sans qu'il en r?sult?t les m?mes effets n?fastes ; c) quand, ? la suite du rapport de la Commission, on diminua de moiti? le nombre des ?tudiants en m?decine et qu'on r?duisit au minimum les examens qu'ils faisaient sur les femmes, la mortalit?, apr?s une br?ve chute, atteignit des proportions jusqu'alors inconnues.

On ?chafauda diverses explications psychologiques.

Ainsi, on remarqua que le premier service ?tait dispos? de telle fa?on qu'un pr?tre apportant les derniers sacrements ? une mourante devait traverser cinq salles avant d'atteindre la pi?ce r?serv?e aux malades : la vue du pr?tre, pr?c?d? d'un servant agitant une clochette, devait avoir un effet terrifiant et d?courageant sur les patientes des cinq salles et les rendre ainsi plus vuln?rables ? la fi?vre puerp?rale.

Dans le second service, ce facteur d?favorable ne jouait pas, car le pr?tre pouvait aller directement dans la pi?ce r?serv?e aux malades.

Semmelweis d?cida de tester la valeur de cette conjecture.

Il convainquit le pr?tre de faire un d?tour, de supprimer la clochette, pour se rendre discr?tement et sans ?tre vu dans la salle des malades.

Mais la mortalit? dans le premier service ne diminua pas.

En observant que dans le premier service les femmes accouchaient sur le dos, et dans le second sur le c?t?, Semmelweis eut une nouvelle id?e?: il d?cida, ??comme un homme ? la d?rive qui se raccroche ? un brin de paille??, de v?rifier, bien que cette. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles