CAMUS (1913-1960) L'absence du sentiment religieux Aujourd'hui maman est morte.
Publié le 21/10/2016
Extrait du document
«
tout ce temps, le concierge a parl? et ensuite, j'ai vu le directeur?: il m'a re?u dans son bureau.
C'est un petit
vieux avec la l?gion d'Honneur.
Il m'a regard? de ses yeux clairs.
Puis il m'a serr? la main qu'il a gard?e si
longtemps que je ne savais pas trop comment la retirer.
Il a consult? un dossier et m'a dit?: ??Mme?Meursault
est entr?e ici il y a trois ans.
Vous ?tiez son seul soutien.?? J'ai cru qu'il me reprochait quelque chose et j'ai
commenc? ? lui expliquer.
Mais il m'a interrompu?: ??Vous n'avez pas ? vous justifier, mon cher enfant.
J'ai lu
le dossier de votre m?re.
Vous ne pouviez subvenir ? ses besoins.
Il lui fallait une garde.
Vos salaires sont
modestes.
Et tout compte fait, elle ?tait plus heureuse ici.?? J'ai dit?: ??Oui, monsieur le Directeur.?? Il a
ajout?: ??Vous savez, elle avait des amis, des gens de son ?ge.
Elle pouvait partager avec eux des int?r?ts qui
sont d'un autre temps.
Vous ?tes jeune et elle devait s'ennuyer avec vous.??
00020000070700000C1E701,C'?tait vrai.
Quand elle ?tait ? la maison, maman passait son temps ? me suivre
des yeux en silence.
Dans les premiers jours o? elle ?tait ? l'asile, elle pleurait souvent.
Mais c'?tait ? cause de
l'habitude.
Au bout de quelques mois, elle aurait pleur? si on l'avait retir?e de l'asile.
Toujours ? cause de
l'habitude.
C'est un peu pour cela que dans la derni?re ann?e je n'y suis presque plus all?.
Et aussi parce que
cela me prenait mon dimanche - sans compter l'effort pour aller ? l'autobus, prendre des tickets et faire deux
heures de route.
Le directeur m'a encore parl?.
Mais je ne l'?coutais presque plus.
Puis il m'a dit?: ??Je suppose que vous
voulez voir votre m?re.?? Je me suis lev? sans rien dire et il m'a pr?c?d? vers la porte.
Dans l'escalier, il m'a
expliqu?: ??Nous l'avons transport?e dans notre petite morgue.
Chaque fois qu'un pensionnaire meurt, les
autres sont nerveux pendant deux ou trois jours.
Et ?a rend le service difficile.?? Nous avons travers? une cour
o? il y avait beaucoup de vieillards bavardant par petits groupes.
Ils se taisaient quand nous passions.
Derri?re
nous, les conversations reprenaient.
On aurait dit un jacassement assourdi de perruches.
? la porte d'un petit
b?timent, le directeur m'a quitt?: ??Je vous laisse, monsieur Meursault.
Je suis ? votre disposition dans mon
bureau.
En principe, l'enterrement est fix? ? dix heures du matin.
Nous avons pens? que vous pourrez ainsi
veiller la disparue.
Un dernier mot?: votre m?re a, para?t-il exprim? souvent ? ses compagnons le d?sir d'?tre
enterr?e religieusement.
J'ai pris sur moi de faire le n?cessaire.
Mais je voulais vous en informer.?? Je l'ai
remerci?.
Maman, sans ?tre ath?e, n'avait jamais pens? de son vivant ? la religion..
»
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