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Buffon, Histoire naturelle (extrait)

Publié le 23/04/2013

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La volumineuse Histoire naturelle, entreprise encyclopédique écrite et dirigée par le naturaliste français Buffon avec l’aide d’une nombreuse équipe de savants et d’écrivains, est un monument du siècle des Lumières, au même titre que l’Encyclopédie. L’établissement d’une classification exhaustive des espèces connues forge la gloire de l’anthropologie scientifique. Buffon exprime également l’hypothèse de la variabilité des espèces vivantes (comme dans cet extrait avec le cheval, datant de 1753), base de la théorie du transformisme de Lamark et Geoffroy Saint-Hilaire, voire de celle de la sélection naturelle de Darwin.

Histoire naturelle de Buffon

 

« Le cheval «

 

 

Il y a dans la nature un prototype général dans chaque espèce sur lequel chaque individu est modèle, mais qui semble, en se réalisant, s’altérer ou se perfectionner par les circonstances ; en sorte que, relativement à de certaines qualités, il y a une variation bizarre en apparence dans la succession des individus, et en même temps une constance qui paraît admirable dans l’espèce entière : le premier animal, le premier cheval, par exemple, a été le modèle extérieur et le moule intérieur sur lequel tous les chevaux qui sont nés, tous ceux qui existent et tous ceux qui naîtront ont été formés ; mais ce modèle, dont nous ne connaissons que les copies, a pu s’altérer ou se perfectionner en communiquant sa forme et se multipliant : l’empreinte originaire subsiste en son entier dans chaque individu ; mais quoiqu’il y en ait des millions, aucun de ces individus n’est cependant semblable en tout à un autre individu, ni par conséquent au modèle dont il porte l’empreinte : cette différence qui prouve combien la Nature est éloignée de rien faire d’absolu, et combien elle sait nuancer ses ouvrages, se trouve dans l’espèce humaine, dans celles de tous les animaux, de tous les végétaux, de tous les êtres en un mot qui se reproduisent ; et ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il semble que le modèle du beau et du bon soit dispersé par toute la terre, et que dans chaque climat il n’en réside qu’une portion qui dégénère toujours, à moins qu’on ne la réunisse avec une autre portion prise au loin ; en sorte que pour avoir de bon grain, de belles fleurs, etc., il faut en échanger les graines et ne jamais les semer dans le terrain qui les a produits ; et de même, pour avoir de beaux chevaux, de bons chiens, etc., il faut donner aux femelles du pays des mâles étrangers, et réciproquement aux mâles du pays des femelles étrangères ; sans cela les grains, les fleurs, les animaux dégénèrent, ou plutôt prennent une si forte teinture du climat, que la matière domine sur la forme et semble l’abâtardir : l’empreinte reste, mais défigurée par tous les traits qui ne lui sont pas essentiels ; en mêlant au contraire les races, et surtout en les renouvelant toujours par des races étrangères, la forme semble se perfectionner, et la Nature se relever et donner tout ce qu’elle peut produire de meilleur.

 

 

Source : Buffon (Georges), Histoire naturelle, Paris, Gallimard, coll. « Folio «, 1984.

 

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