Bernard Pingaud, L'enseignement de la littérature, (Le point de vue d'un écrivain)
Publié le 31/03/2011
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Que peut représenter, pour un écrivain, l'enseignement de la littérature? Nous avons tendance à penser qu'il existe deux activités, rigoureusement complémentaires — certains théoriciens, aujourd'hui, prétendent que c'est la même — dont l'unité constitue la littérature : écrire et lire. On ne voit, a priori, aucune nécessité pour que s'introduisent, entre les deux, ces parasites qui s'appellent les critiques, les professeurs et autres gens tout juste bons à faire écran entre l'écrivain et le lecteur. Au mois de mai, l'an dernier, la notion même d'un enseignement de la littérature était fortement contestée ; et cet hiver encore, dans le texte que Sartre a donné à l'Observateur, on retrouvait, à propos de Baudelaire, l'idée qu'il est impossible d'expliquer un écrivain. A la limite, la thèse de Sartre portait condamnation de tout commentaire sous quelque forme qu'il se présente. Après tout, n'est-il pas normal de laisser les écrivains et les lecteurs face à face ? Ont-ils vraiment besoin d'un intermédiaire pour s'atteindre ?
Je crois cette idée fausse, pour deux raisons : Y une de caractère général, l'autre liée à la conception actuelle de la littérature. D'abord, on en revient par là au principe d'une communication directe, immédiate entre l'auteur et le lecteur, l'écrivain inspiré trouvant spontanément les mots qui sauront toucher son public. Or, nous le savons bien aujourd'hui [...] la communication ne se fait pas toute seule. Elle suppose un certain nombre de médiations. Un écrivain ne tombe pas du ciel : il écrit à une certaine époque, dans un certain milieu, pour un certain public. Il est soumis à un conditionnement sociologique, économique, idéologique. En même temps, un écrivain vient après et à côté d'autres écrivains, les livres se répondent les uns aux autres à l'intérieur d'une histoire propre de la littérature qui s'ajoute à l'histoire tout court et qu'il est indispensable de connaître si l'on veut pénétrer complètement une œuvre littéraire. Dégager ces médiations, situer une œuvre par rapport à toutes ses coordonnées, — ce qui ne veut pas dire, bien entendu, restaurer la vieille critique des « sources «, — telle me paraît être la justification générale d'un enseignement de la littérature. J'ajouterai une raison circonstancielle. Depuis un demi-siècle, la littérature est devenue de plus en plus consciente d'elle-même. Elle est critique en même temps que création, — critique de ses propres mécanismes, « roman du roman « —, comme on l'a dit souvent. Cette littérature de recherche, au sens où l'on parle d'une recherche scientifique, est, par définition, d'accès difficile. Il faut, non seulement pour l'apprécier, mais pour en percevoir le sens, les intentions, une certaine préparation culturelle. Il est frappant, et assez inquiétant, de voir que la plupart des étudiants l'ignorent. Les enquêtes faites à l'occasion des événements de mai 1968 ont montré qu'ils en restaient généralement à Sartre, "Camus, Saint-Exupéry. Peut-être s'intéresseraient-ils davantage aux recherches des écrivains actuels si l'on développait, à leur intention, une pédagogie de la lecture, adaptée aux ambitions nouvelles de la littérature, et qui reste d'ailleurs à définir. En tout cas, les écrivains eux-mêmes ont le plus grand besoin qu'un enseignement de ce genre les aide à retrouver le chemin du public. Sinon, leur activité risque de se dérouler de plus en plus en vase clos; ils écriront de plus en plus pour des écrivains. Or on peut concevoir qu'un savant travaille pour d'autres savants. Mais le propre de la littérature, à travers toutes les médiations que j'ai évoquées, est de s'adresser à n'importe qui. Elle n'est rien si elle n'est, au bout du compte, communication. Bernard Pingaud, L'enseignement de la littérature, (Le point de vue d'un écrivain), 1969. 1. Vous résumerez ce texte en 150 mots (± 10 %). Indiquez le nombre exact de mots utilisés pour le résumé. 2. Vous expliquerez les mots et expressions suivantes : — un certain nombre de médiations ; — une raison circonstancielle ; — leur activité risque de se dérouler de plus en plus en vase clos. 3. Bernard Pingaud déplore la désaffection des jeunes pour la littérature de leur temps. Qu'en pensez-vous ?
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