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Bernard Lecomte, Journal La Croix

Publié le 31/03/2011

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L'avenir de nos relations sociales est inscrit dans le développement accéléré des techniques de communication qui marient de plus en plus le téléphone, l'écran et l'ordinateur. Comme l'apparition du téléphone et de la T.S.F., il y a un siècle, cette évolution va changer non seulement la forme des relations entre les hommes, mais aussi leurs fondements. [...] Il est naturel qu'à l'aube de cette nouvelle révolution, chacun s'inquiète et s'interroge sur ses conséquences à l'échelle humaine. La communication, étymologiquement, c'est la mise en commun, la mise en relation des hommes ou des collectivités.

La route, la poste, le chemin de fer, le télégraphe ont développé des solidarités nouvelles. La radio, le cinéma, la télévision ont élargi le champ culturel de cette communication démultipliée, jusqu'à tisser un réseau de relations sociales aussi serré que le système nerveux dans le corps humain. En raccourcissant les distances, en accélérant les contacts, en multipliant les sources d'information (locales, étrangères), les nouvelles formes de communication ont pour premier effet de rapprocher les hommes. Nul ne peut ignorer aujourd'hui un tremblement de terre en Turquie, une révolution en Pologne, une menace nucléaire sur l'Europe. Nul ne peut rester à l'écart de la montée de la faim dans le monde, des nouvelles formes de pauvreté en France, des risques écologiques qui pèsent sur nos sociétés. Qui peut contester que cela soit un progrès ? Ce qui modifie ces données, c'est la généralisation de l'écran, symbole de cet avenir impalpable. Tous les moyens de transmission à venir (les ondes hertziennes, relayées au sol ou provenant de l'espace, ou la fibre optique, véhiculant des textes ou des images) aboutiront à des postes de télévision, à des consoles, à des cadrans portatifs, à des murs d'images — à des écrans. Or, l'étymologie, là aussi, tient lieu de révélateur : un écran, à l'origine, est un objet qui dissimule ou qui protège. L'image elle-même, si elle frappe l'esprit, si elle stimule l'imaginaire, reste une abstraction. Installez un chien devant la télévision, l'image d'un autre chien le laissera de glace. L'image informe, comme un texte, mais c'est le cerveau du téléspectateur qui fonctionne, qui lui donne son sens, par rapport à sa propre connaissance du monde. Et c'est encore sa propre expérience, son acquis personnel, qui lui font reconnaître le vrai du faux, la réalité de la fiction : sans cette expérience préalable, l'homme ne « voit « pas de différence entre un reportage sur la guerre Irak-Iran et un western sur la conquête de l'Ouest, qui ont la même force émotionnelle. Laquelle, au rythme de la prolifération des images, va en se banalisant.  

Le danger se situe dans la réduction de l'expérience propre à chaque individu, clé de sa perception « humaine « des images qui prolifèrent. L'individu qui se contenterait de ces données abstraites ressemblerait peu à peu au chien de tout à l'heure, absorbant passivement des informations désincarnées. Or ce risque point à l'horizon. [...] Demain, l'on pourra remplir la majorité des activités quotidiennes sans avoir besoin de se déplacer : démarches administratives, achats, remise de documents professionnels, alarme, information générale ou locale ; les négociations syndicales, les réunions de conseils d'administration pourront se tenir en multiplex par visiophone; l'enseignement, la santé même suivront le mouvement. Que restera-t-il des contacts humains devenus désuets, comme l'accolade, la poignée de main, le coup de téléphone, la lettre manuscrite? Quelle part auront le toucher, la voix, l'écriture, dans ce qui fait l'essentiel de l'expérience humaine ? La montée de l'individualisme, la tendance croissante au repli sur soi (sa famille, sa communauté) vont de pair avec ce phénomène de déshumanisation des relations sociales qui se profile à l'horizon. En se gardant de tout mélanger, en se gardant aussi de condamner a priori une évolution d'ailleurs inéluctable, il importe d'y réfléchir. L'homme statique n'est pas pour demain, et son instinct le poussera à inventer les formes nouvelles d'une communication sociale chaleureuse, affective, plus conforme à sa nature profonde. Encore faut-il entretenir et développer dans la conscience des générations futures ce qui tempérera l'invasion des images, et qui fait la dignité de l'homme : le sens de l'autre. Bernard Lecomte, Journal La Croix, 4 avril 1984.

1. Vous résumerez le texte en 180 mots, une marge de 10 % en plus ou en moins étant admise. Vous indiquerez, à la fin, le nombre de mots.

2. Vous expliquerez les deux expressions suivantes : — solidarités nouvelles ; — informations désincarnées. 3. L'auteur exprime ici son inquiétude face à « ce phénomène de déshumanisation des relations sociales « qui, selon lui, « se profile à l'horizon «. Dans un développement composé, vous direz, en justifiant et en illustrant vos analyses, si vous partagez ou non ce sentiment.   

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