Balzac, romancier des « espèces sociales »
Publié le 14/01/2018
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magnifique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l'ensemble de la zoologie, n'y avait-il pas une œuvre de ce genre à faire pour la Société ? Mais la Nature a posé, pour les variétés animales, des bornes entre lesquelles la Société ne devait pas se tenir. Quand Buffon peignait le lion, il achevait la lionne en quelques phrases ; tandis que dans la Société la femme ne se trouve pas toujours être la femelle du mâle. Il peut y avoir deux êtres parfaitement dissemblables dans un ménage. La femme d'un marchand est quelquefois digne d'être celle d'un prince, et souvent celle d'un prince ne vaut pas celle d'un artiste. L':Stat Social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature plus la Société. La description des Espèces Sociales était donc au moins double de celle des Espèces Animales, à ne considérer que les deux sexes. Enfin, entre les animaux, il y a peu de drames, la confusion ne s'y met guère ; ils courent sus les uns aux autres, voilà tout. Les hommes courent bien aussi les uns sur les autres ; mais leur plus ou moins d'intelligence rend le combat autrement compliqué. Si quelques savants n'admettent pas encore que l'Animalité se transborde dans l'Humanité par un immense courant de vie, l'épicier devient certainement pair de France, et le noble descend parfois au dernier rang social. Puis, Buffon a trouvé la vie excessivement simple chez les animaux. L'animal a peu de mobilier, il n'a ni arts ni sciences ; tandis que l'homme, par une loi qui est à rechercher, tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu'il approprie à ses besoins. Quoique Leuwenhoëk, Swammerdam, Spallanzani, Réaumur, Charles Bonnet, Muller, Haller et autres patients zoographes aient démontré combien les mœurs des animaux étaient intéressantes, les habitudes de chaque animal sont, à nos yeux du moins, constamment semblables en tout temps ; tandis que les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeures d'un prince, d'un banquier, d'un artiste, d'un bourgeois, d'un prêtre et d'un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations.
Ainsi l'œuvre à faire devait avoir une triple forme : les hommes, les femmes et les choses, c'est-à-dire les personnes et la représentation matérielle qu'ils donnent de leur pensée ; enfin l'homme et la vie.
Avant-propos à La Comédie humaine, 1842, Balzac, Pléiade, I, pp. 3 sq.
Balzac, romancier des « espèces sociales »
En 1842, Balzac publie toutes ses œuvres sous ce titre prestigieux : La Comédie humaine, Il entend conférer à cet ensemble de romans une unité organique. L'éditeur Hetzel lui demanda une préface. Balzac proposa d'abord de reproduire, en tête de La Comédie humaine, les deux Introductions de F. Davin. Puis il accepta de rédiger l’Avant propos où il retrace la genèse et la nouveauté de ses intentions.
L'idée première de La Comédie humaine fut d'abord chez moi comme un rêve ( ... ).
Cette idée vint d'une comparaison entre l’Humanité et l’Animalité. ( . . . )
( . . . ). Je vis que, sous ce rapport, la Société ressemblait à la Nature. La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d’État, un commerçant, un marin, un poète, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l'âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques. Si Buffon a fait un
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ma gni fique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l'ensemble
de la zoolog ie, n'y avait-il pas une œuvre de ce genre à faire pour la Soc iété ?
Mais la Nature a posé, pour les variétés animales, des bornes entre lesqu elles
la Soc iété ne dev ait pas se tenir.
Quand Buffon peignait le lion, il ache vait
la lionne en quelques phrases ; tand is que dans la Soc iété la femm e ne se
trouve pas tou jou rs être la femelle du mâle .
Il peu t y avoir deux êtres parfai
tement disse mblables dans un ména ge.
La femme d'un marchand est
quelquefois digne d'être celle d'un prince, et souvent celle d'un prince ne
vaut pas celle d'un artiste.
L' :Stat Social a des hasa rds que ne se per met
pas la Natu re, car il est la Nature plus la Socié té.
La descript ion des Espèces
So ciales était donc au moins double de celle des Espèces Animales, à ne
con sidérer que les deux sexes.
Enfin, entre les animaux, il y a peu de dra mes,
la con fusi on ne s'y met guère; ils cou rent sus les uns aux autre s, voilà tout.
Les homm es cou rent bien aussi les uns sur les autres ; mais leur plus ou
moins d'intell igence rend le combat autrement compli qué.
Si quelques sava nts
n'adm ettent pas enco re que l'Animalité se transborde dans l'Humanité par
un imm ense courant de vie, l' épicier devient certainement pair de France,
et le nob le descend parfois au dernier rang social .
Puis, Buffon a tro uvé la
vie excessivemen t simple chez les animaux.
L'animal a peu de mobili er,
il n'a ni arts ni sciences ; ta ndis que l'hom me, par une loi qui est à rechercher,
tend à représe nter ses mœ urs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu'i l approp rie
à ses besoins.
Quoique Leuwenho ëk, S wam merdam, Spallanzan i , Ré aumur ,
Cha rles Bo nnet, Muller, Haller et autres patients zoographes aient démontré
co mbien les mœurs des animau x étaient intéressantes, les habitudes de
cha que animal sont, à nos yeux du moins, consta mment semblables en tou t
temps ; tandis que les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeu res
d'u n prince, d'un banq uier, d'un artis te, d'un bourgeois, d'un prêtre et
d'un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré des civili
sat ions.
Ainsi l'œuvre à faire devait avoir une triple forme : les homm es, les
fe mmes et les choses, c'est-à- dire les personnes et la représe ntation matérielle
qu'i ls donnen t de leur pensée ; enfin l'homme et la vie .
Avant-propos à La Comédie humaine,
1842, Balzac, Pléiade, I, pp .
3 sq..
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