Avant tout une œuvre d'art est bien une aventure de l'esprit. Eugène Ionesco
Publié le 31/03/2011
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Et s'il faut absolument que l'art ou le théâtre serve à quelque chose, je dirai qu'il devrait servir à rapprendre aux gens qu'il y a des activités qui ne servent à rien et qu'il est indispensable qu'il y en ait : la construction d'une machine qui bouge, l'univers devenant spectacle, vu comme un spectacle, l'homme devenant à la fois spectacle et spectateur : voilà le théâtre. Voilà aussi le nouveau théâtre libre et « inutile « dont nous avons tellement besoin, un théâtre vraiment libre. (...) Mais les gens, aujourd'hui, ont une peur atroce et de la liberté et de l'humour ; ils ne savent pas qu'il y a pas de vie possible sans liberté et sans humour, que le moindre geste, la plus simple initiative, réclament le déploiement des forces imaginatives qu'ils s'acharnent, bêtement, à vouloir enchaîner et emprisonner entre les murs aveugles du réalisme le plus étroit, qui est la mort et qu'ils appellent vie, qui est la ténèbres et qu'ils appellent lumière. Je prétends que le monde manque d'audace et c'est la raison pour laquelle nous souffrons. Et je prétends aussi que le rêve et l'imagination, et non la vie plate, demandent de l'audace et détiennent et révèlent les vérités fondamentales, essentielles. Et même que (pour faire une concession aux esprits qui ne croient qu'à l'utilité pratique) si les avions sillonnent aujourd'hui le ciel, c'est parce que nous avions rêvé l'envol avant de nous envoler. Il a été possible de voler parce que nous rêvions que nous volions. Et voler est une chose inutile. Ce n'est qu'après coup qu'on en a démontré ou inventé la nécessité, pour nous excuser de l'inutilité profonde, essentielle, de la chose. Inutilité qui était pourtant un besoin. Difficile à faire admettre, je le sais. Regardez les gens courir affairés, dans les rues. Ils ne regardent ni à droite, ni à gauche, l'air préoccupé, les yeux fixés à terre, comme des chiens. Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car ils font le trajet, connu à l'avance, machinalement. Dans toutes les grandes villes du monde c'est pareil. L'homme moderne, universel, c'est l'homme pressé, il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu'une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art ; et un pays où on ne comprend pas l'art est un pays d'esclaves ou de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n'y a pas l'humour, où il n'y a pas de rire, il y a la colère et la haine. Car ces gens affairés, anxieux, courant vers un but qui n'est pas un but humain ou qui n'est qu'un mirage, peuvent tout d'un coup, aux sons de je ne sais quels clairons, à l'appel de n'importe quel fou ou démon se laisser gagner par un fanatisme délirant, une rage collective quelconque, une hystérie populaire. Les rhinocérites, à droite, à gauche, les plus diverses, constituent les menaces qui pèsent sur l'humanité qui n'a pas le temps de réfléchir, de reprendre ses esprits ou son esprit, elles guettent les hommes d'aujourd'hui qui ont perdu le sens et le goût de la solitude. Car la solitude n'est pas séparation mais recueillement, alors que les groupements, les sociétés ne sont, le plus souvent, comme on l'a déjà dit, que des solitaires réunis. Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, 1961. 1. Vous résumerez le texte en 175 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés. 2. Expliquez le sens dans le texte des expressions suivantes ; — l'utilité de l'inutile, l'inutilité de l'utile ; — un fanatisme délirant.
3. Pensez-vous avec l'auteur qu'aujourd'hui « le monde manque d'audace « ?
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