assez puissant pour résister, même à une explosion nucléaire (l'histoire a été écrite avant l'invention de la bombe H, au fait). Aujourd'hui, où nous envisageons réellement une défense nucléaire, nous parlons de défense active. Nous parlons de l'utilisation de rayons laser informatisés pour abattre les missiles balistiques intercontinentaux dès leur lancement et dès leur passage au-delà de l'atmosphère. Franchement, je ne crois pas que ça marchera non plus, mais c'est considérablement plus avancé que mes élucubrations d'il y a trente-cinq ans sur la question, en 1951. En général, je fais mes meilleures prédictions quand on m'a fait une suggestion (une suggestion pas voilée du tout). Dans mes histoires de robots, je les imaginais si énormes qu'ils étaient immobiles et ne pouvaient que penser et communiquer le résultat de leurs cogitations. J'en avais un comme cela dans ma toute première histoire de robots. Dans les suivantes, je les appelais des « cerveaux ». L'idée ne m'était pas venue de les appeler des ordinateurs. Mes robots, donc, avaient un « cerveau » qui les faisait travailler, et je ne parlais jamais d'informatique. Je devais bien les rendre « science-fictionesques », naturellement, alors je les appelais des « cerveaux positroniques ». Les positrons avaient été détectés pour la première fois quatre ans avant que j'écrive ma première nouvelle « robotique ». Les positrons étaient des particules passionnantes, apportant avec elles des visions d'« antimatière ». Pour cette raison, je trouvais que l'expression « cerveaux positroniques » sonnait bien. Ils n'étaient pas très différents des cerveaux électroniques, à cela près que les positrons pouvaient naître et disparaître en un millionième de seconde à travers tous les électrons qui les entouraient, et où qu'ils fussent sur la Terre. Cela me donna l'idée qu'ils pourraient bien être responsables de la vitesse de la pensée. Bien sûr, les rapports d'énergie -- l'énergie exigée pour produire des positrons en quantité et l'énergie dégagée quand ils sont détruits en quantité -- sont effroyables, si considérables que l'idée d'un cerveau positronique est impensable, selon toute probabilité. Mais je l'ignorais. Ce fut seulement après l'invention des ordinateurs, quand le grand public prit conscience de leur existence, qu'ils commencèrent à exister aussi dans mes nouvelles ; même alors, je ne concevais pas la possibilité de la miniaturisation. Je parlais d'ordinateurs de poche, mais je les voyais à peine plus puissants qu'une règle à calcul. Mais je finis par saisir la miniaturisation ; naturellement, ce fut après qu'elle eut déjà commencé. Dans « La Dernière Question » (The Last Question), je débutais avec mon habituel ordinateur Multivac, grand comme ne ville car je ne pouvais concevoir d'ordinateur plus puissant qu'en imaginant de plus en plus de pièces et 'éléments. Mais c'est dans cette nouvelle que je commençai à miniaturiser, et à miniaturiser bien au-delà de oute possibilité, je crois. Cependant, je pense que les lecteurs sont toujours prompts à pardonner au malheureux auteur de scienceiction d'avoir été dépassé par les événements. Comme je le disais plus haut, ma série des Lucky Starr n'a pas souffert en devenant désuète. D'ailleurs, on lit encore avidement La Guerre des mondes de H.G. Wells, près 'un siècle après sa parution et malgré son image incroyablement fausse de Mars (fausse à la lueur de la planète ars que nous connaissons aujourd'hui). L'image de Mars, relativement récente, présentée par Edgar Rice Burroughs, une génération après Wells, et par Ray Bradbury, en 1950, n'est en rien comparable à la réalité, mais ela n'empêche personne de lire avec plaisir Les Conquérants de Mars et les Chroniques martiennes. C'est parce qu'il entre davantage que de la science dans une histoire de science-fiction. Il y entre de 'histoire ; et si la science qu'elle contient est faussée par des découvertes postérieures, ou parce que l'intrigue xige absolument des libertés fantaisistes, nous avons tendance à pardonner et à fermer les yeux. Par exemple, dans ma nouvelle « La Boule de billard » (The Billard Ball), je fais pénétrer une boule de billard dans une région de l'espace où elle se déplace instantanément à la vitesse de la lumière. C'est, sans aucun doute, impossible mais, pour ce qui est de la transgression des lois scientifiques, il y a plus impossible encore. La boule de billard a un volume fini. Elle pénètre dans cette région par une de ses parties, et cette partie se déplace aussitôt à la vitesse de la lumière et se sépare du reste. En-un mot, la boule de billard est réduite à des atomes, u à des particules encore moins substantielles, et pourtant, dans l'histoire, elle conserve son intégrité. Ma conscience me tourmentait, mais j'ai supporté les remords et fait ce que j'avais à faire. Dans « Le Petit Garçon très laid » (The Ugly Little Boy), je donne une version du voyage dans le temps alors que je crois fermement que tout voyage dans le temps est impossible. Cependant, j'ai mis de côté cette certitude, car le voyage dans le temps n'est qu'accessoire dans cette nouvelle. C'est avant tout une histoire d'amour. De même, je doute qu'un jour des êtres humains deviendront des vortex d'énergie, et pourtant, je les présente ainsi dans « Les Yeux ne servent pas qu'à voir » (Eyes do more than see). Qu'est-ce que cela peut faire ? Le véritable sujet, c'est la beauté des choses matérielles. Je pense que vous voyez où je veux en venir. Il se peut qu'en lisant les histoires qui vont suivre, vous trouviez des détails scientifiques qui sont faux en eux-mêmes, ou qui ont été rendus faux par des découvertes ostérieures. Mais si vous m'écrivez pour me le reprocher, je vous en prie, dites-moi aussi que vous avez aimé l'histoire quand même. Vous risquez de ne pas l'aimer, bien sûr, mais j'espère néanmoins que ce sera le cas. Un dernier mot. Mes recueils de nouvelles sont rarement illustrés, et cela ne me gêne pas, car je ne suis pas très visuel. Je suis un homme de mots. Néanmoins, cette série actuelle a été illustrée par Ralph McQuarrie et je dois reconnaître que cela augmente incommensurablement la beauté du livre, et souligne même le sens des istoires, en plaçant le lecteur dans le bon contexte visuel. L'illustration de couverture, qui a inspiré ma nouvelle Le Robot qui rêvait » (Robot Dreams) écrite pour ce recueil, est belle et humanise un robot d'une manière que e n'avais encore jamais vue. Rien de tout cela n'est surprenant, sans doute, puisque Ralph est un des meilleurs t des plus influents artistes de science-fiction ; il a travaillé à de grandes productions comme La Guerre des toiles et L'Empire riposte. En 1986, il a remporté l'Oscar des meilleurs effets spéciaux pour le film Cocoon. Je e sens honoré de sa participation à cet ouvrage. LE ROBOT QUI RÊVAIT (ROBOT DREAMS) -- La nuit dernière, j'ai rêvé, dit calmement LVX-1. Susan Calvin ne fit aucune réflexion mais sa figure ridée, vieillie par la sagesse et l'expérience, se crispa mperceptiblement. -- Vous avez entendu ça ? demanda nerveusement Linda Rash. C'est bien ce que je vous ai dit. Elle était petite, brune et très jeune. Sa main droite se fermait et s'ouvrait continuellement. Calvin hocha la tête et ordonna d'une voix posée : -- Elvex, tu ne bougeras pas, tu ne parleras pas et tu ne nous entendras pas tant que je n'aurai pas de nouveau prononcé ton nom. Pas de réponse. Le robot resta assis, comme s'il était fondu d'un seul bloc de métal, et il allait rester ainsi jusqu'à ce qu'il entende son nom. -- Quel est votre code d'entrée d'ordinateur, docteur Rash ? demanda Calvin. Tapez-le vous-même si vous préférez. Je veux examiner le schéma du cerveau positronique. Linda tâtonna un moment sur les touches. Elle interrompit la séquence pour recommencer de zéro. Le fin graphisme apparut sur l'écran. -- Votre permission, s'il vous plaît, dit Calvin, pour manipuler votre ordinateur. La permission fut accordée par un hochement de tête silencieux. Naturellement ! Que pouvait faire Linda, robopsychologue débutante qui avait encore à faire ses preuves, contre la Légende vivante ? Lentement, Susan Calvin examina l'écran, de haut en bas, de droite à gauche, puis en remontant et, brusquement, elle tapa une combinaison clef si vite que Linda ne vit pas ce qu'elle faisait, mais le schéma montra une autre partie de lui-même, qui avait été agrandie. Et l'examen continua, les doigts noueux dansant à toute vitesse sur les touches. Aucun changement n'apparut dans l'expression du vieux visage. Elle considérait les modifications du schéma comme si d'immenses calculs se faisaient dans sa tête. Linda s'émerveillait. Il était impossible d'analyser un schéma sans l'aide d'un ordinateur auxiliaire, mais la vieille savante ne faisait que regarder. Aurait-elle un ordinateur implanté sous le crâne ? Ou était-ce son cerveau qui, depuis des dizaines d'années, ne faisait que concevoir, étudier et analyser les schémas cérébraux positroniques ? Saisissait-elle cet ensemble comme Mozart saisissait la notation d'une symphonie ? Enfin, Calvin demanda : -- Qu'est-ce que vous avez donc fait, Rash ? Linda avoua, un peu penaude : -- Je me suis servie de la géométrie fractale. -- Oui, je l'ai bien compris. Mais pourquoi ? -- Ça n'avait jamais été fait. J'ai pensé que ça produirait un schéma cérébral avec une complexité accrue, se rapprochant peut-être du cerveau humain. -- Quelqu'un a-t-il été consulté ? Est-ce uniquement une idée à vous ?